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Manifestations en Iran : une mise en garde contre le régime

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Le 28 décembre débutaient des manifestations en Iran. Contrairement au mouvement vert de 2009, les revendications étaient moins de type politique qu’économique. La population demandait, entre autres, une meilleure redistribution des richesses, une lutte plus efficace contre le chômage et la corruption. En moins de deux semaines, des regroupements diffus, sans leaders, sont apparus partout dans le pays. Aujourd’hui, le mouvement s’est essoufflé. Mais la colère est toujours là.

Mashhad, bastion du chiisme duodécimain.

Qui a déclenché les premières manifestations le 28 décembre? Les anciens des révoltes de 2009 ? Des modérés ? Des puissances étrangères ? Tout le monde en même temps ? Ce sont en réalité des religieux conservateurs partisans de la ligne « dure » qui ont fait naître les regroupements, dans la ville de Mashhad, en appelant 200 femmes à manifester contre la vie chère. L’objectif est de déstabiliser le gouvernement dit modéré du Président Hassan Rohani. C’est donc une discorde au sein de l’élite, entre conservateurs et modérés, qui a déclenché cette crise.

Une révolte contre la vie chère

En provoquant ces contestations, les ayatollah conservateurs visent un public bien particulier : les classes les plus pauvres de la société iranienne. Ces dernières se sentent exclues de l’ouverture économique qu’est en train d’amorcer leur pays. En d’autres termes, le sociologue Farhad Khosrokhavar a appelé cela la révolte des « va-nu-pieds » dans une tribune au journal Le Monde. L’objectif des « anti-Rohani » est de provoquer la colère de la population contre le gouvernement, en proclamant que l’ouverture amorcée par le camp modéré n’est pas la bonne solution.

Après l’accord sur le nucléaire de 2015, Hassan Rohani a promis que la situation économique allait s’améliorer. Si l’Iran va (relativement) mieux, une grande partie de la population ne le ressent pas encore. Et le peuple s’impatiente. Des mouvements ont ainsi émergé partout dans le pays aussi bien dans la région du Baloutchistan, au sud, qu’au bord de la mer Caspienne, au nord. Mais les conservateurs initiateurs des révoltes se sont rapidement fait dépasser.

Les slogans contre la vie chère ont bientôt fait place à « Mort à Rohani! », « Mort à Khamenei ! ». Les manifestants dénonçaient également la corruption qui gangrène le pays depuis des décennies. Chose inédite, les protestataires s’en sont pris à la politique extérieure du régime, demandant à ce que le gouvernement s’occupe davantage de leur situation que de la Syrie ou du Liban. Le pays dépense en effet des sommes colossales dans ce États pour financer les milices chiites et plus généralement, y garder une influence. L’Iran n’a, en effet, pas le même poids économique que son grand rival saoudien. Si Riyad peut se permettre de financer des guerres coûteuses à l’extérieur tout en achetant la paix sociale dans son pays, l’Iran est obligé de puiser dans ses réserves intérieures pour maintenir sa stratégie extérieure. Cette revendication est un pied de nez adressé aux Mollahs iraniens, véritable décisionnaire de la politique extérieure du pays.

Le chômage est également un facteur d’explication primordiale. L’éducation est, en effet, un des secteurs où le régime des mollahs a le mieux réussi. 85% de la population est lettrée. Parallèlement, le taux de chômage avoisine les 30% chez les jeunes. Cette difficulté d’entrée sur le marché du travail crée un sentiment de frustration et de colère qu’on a pu retrouver dans la rue.

Des revendications plus économiques que politiques

Plus qu’une volonté de changement de régime, il faut donc voir dans ces manifestations un « ras-le-bol » généralisé des classes les plus pauvres. C’est ici que se situe la principale différence avec le Mouvement vert de 2009, impulsé lui par la classe moyenne tehéranaise, qui réclamait davantage de libertés et de démocratie, après la réélection contestée du président conservateur Mahmoud Ahmadinejad.

Le régime s’est montré hésitant quant à la ligne à tenir pour contrer les manifestations. Les dégâts ont finalement été assez limités. Le gouvernement savait que déclencher une vague de répressions sans limite aurait pu se retourner contre lui, entraînant un cycle de vengeance entre les manifestants et les forces de l’ordre. On compte tout de même au minimum 12 morts, et les sources officielles annoncent 3700 prisonniers.

Globalement, les manifestations ont été limitées dans l’espace et dans le temps. Le souvenir traumatisant des révoltes de 2009 et ses 150 morts est encore présent dans la tête de nombreux Iraniens.

Une société divisée

Il ne faut cependant pas croire que des manifestations de plus grande ampleur auraient forcément abouti à un assouplissement du régime. Au contraire, cela aurait pu donner l’occasion au guide suprême Khamenei de déclencher l’état d’urgence et ainsi supprimer le peu de pouvoir que possède le président Rohani. C’est en effet ce dernier qui a joué la carte de la modération durant les manifestations, appelant au calme et promettant des réformes, notamment sur le port du voile. C’est d’ailleurs la police, reliée au ministère de l’Intérieur et donc à Rohani, qui s’est occupée « d’encadrer » la plupart des protestations, limitant ainsi les dégâts. En 2009, c’était les Bassidji, milice populaire liée aux gardiens de la Révolution, les Pasdarans, qui étaient chargés de réprimer les contestations.

Les manifestations, si elles n’ont pas eu d’impact concret important, ont dévoilé au grand jour une société iranienne divisée et tiraillée dans ses contradictions. Le régime n’est pas menacé, mais sérieusement mis en garde.

Pour s’en sortir indemne, le pouvoir religieux a mis en cause une volonté des puissance étrangères occidentales, et d’Israël, de vouloir déstabiliser l’Iran. Les tweets intempestifs de Donald Trump, appelant le peuple à manifester contre ce « régime corrompu » a d’autant plus légitimé la parole du guide suprême. Il joue en effet sur l’idée d’une ingérence étrangère permanente afin de justifier son pouvoir, seul bouclier contre les « envahisseurs ». Avec cette réaction du président américain, Ali Khamenei ne pouvait pas rêver mieux.

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Pablo MENGUY

Ancien étudiant en école de journalisme, aujourd'hui en master à l'Institut français de Géopolitique (IFG).

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