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Les dessous de l’intervention turque à Afrin

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Le 19 janvier dernier, l’armée turque a commencé à bombarder la région d’Afrin, aux mains des YPG kurdes syriens. Deux jours plus tard, l’opération au sol a commencé, avec l’aide de rebelles syriens, sous le nom opération Rameau d’olivier. Quels sont les enjeux de cette guerre  ?

Une réalité stratégique complexe

Pour Erdogan, l’utilisation de l’outil militaire n’est pas une nouveauté. Après la tentative avortée de coup d’État en juillet 2016, le Président turc avait annoncé vouloir sécuriser sa frontière sud en reprenant Jarablus, dans l’opération Bouclier de l’Euphrate, où l’armée turque a poussé jusqu’à Al Bab. Le but était de déloger Daesh du nord de la Syrie, mais aussi d’empêcher la réunification des cantons contrôlés par les Kurdes, Afrin à l’ouest, Qamishli et Kobane à l’est.

La prise de Jarablus par l’armée turque se fit sans combats d’après les médias étrangers, en revanche il fallut plusieurs mois pour prendre Al Bab à Daesh. Cette première opération avait également deux raisons intérieures. Tout d’abord, après la tentative de coup d’État, Erdogan devait ré-affirmer son autorité et l’outil militaire était le moyen le plus efficace. Cette opération permettait par ailleurs de mettre l’armée au pas, alors qu’elle était auparavant réticente à intervenir en Syrie.

La Turquie a décidé de passer à l’action à Afrin

Depuis l’opération Euphrate Shield, les YPG sont décrits comme des terroristes à combattre par Ankara. Désormais, le stade des déclarations est passé. C’est l’action – aérienne et au sol – qui prime, avec l’implication des rebelles syriens qui ont leur sanctuaire à Idlib, au sud d’Afrin, mais sont également présents à Jarablus et Al Bab sous contrôle de l’armée turque. Une telle intervention n’a été possible qu’avec l’accord de la Russie. Moscou est pragmatique dans cette situation, ne soutenant que ses intérêts directs. Les Kurdes sont alliés des Américains. La priorité de Moscou étant de maintenir Assad, Une intervention turque contre Afrin ne concerne donc pas le Kremlin. Néanmoins, il est évident qu’il y a eu des négociations entre les Russes et les Turcs, et que les seconds ont dû faire des concessions aux premiers sur un autre sujet, probablement la présence de Hayat Tahrir Al-Sham à Jarablus. Plus surprenant est le silence de Washington, allié aux YPG et présent militairement dans le Rojava oriental, qui cherche malgré tout à ménager Ankara, membre de l’OTAN.

Le régime syrien, en revanche, est hostile à cette intervention. Si l’accueil de milices chiites iraniennes, irakiennes ou de troupes russes sur son sol a été chaleureux, à aucun moment Damas n’a validé l’intervention turque à Jarablus, ni celle contre Afrin. Pour le clan Assad, une telle intervention est une violation de l’intégrité du territoire syrien. Du côté iranien, Téhéran a émis quelques réserves quant à cette intervention. Suite aux manifestations où la population iranienne a ostensiblement critiqué la politique étrangère du gouvernement, au détriment de la situation économique qui se détériore, Téhéran a besoin d’une paix rapide en Syrie, favorable à Bachar Al-Assad. Une reprise des conflits contre les Kurdes, armés et capables de résister longtemps, qui ne se sont pas opposés aux forces gouvernementales, et qui n’ont jamais eu de tentation clairement indépendantiste, est une perte de temps précieux pour l’Iran.

Quelles perspectives pour ce conflit  ?

La difficile prise d’Al Bab rappelle que l’armée turque était mal préparée pour la première offensive contre l’État islamique. Erdogan avait justifié les difficultés par un soutien international au terrorisme contre la Turquie. Entre temps, Ankara a continué à acheter du matériel militaire, notamment à la Russie et à la France. Ce matériel ne sera peut être pas suffisant pour une victoire rapide : suite aux purges massives qui ont largement touché l’armée, d’anciens éléments ont été remplacés par des nouveaux avec peu d’expérience. Les YPG en revanche ont une bonne expérience de la lutte en guérilla, mais également dans l’administration du terrain, contrôlant une donnée importante  : l’appui de la population. L’intervention turque est très impopulaire auprès des Kurdes d’Afrin. Pour y remédier, Erdogan a prévu de « ré-arabiser » la ville avec l’aide des réfugiés installés en Turquie. À l’inverse, les principaux partis politiques turcs, excepté le HDP pro-kurde, sont solidaires de l’intervention turque, qui a pour l’instant un écho plutôt favorable. Les voix opposées à la guerre ont déjà été arrêtées et les institutions religieuses sont mises à contribution, permettant un contrôle efficace sur la population turque.

Pour légitimer cette intervention, le soutien des rebelles syriens est essentiel à la Turquie. Mais d’après plusieurs sources, comme le Syrian Observatory for Human Rights, organe neutre qui suit de près les évolutions sur le terrain, ou encore CNN, les villages conquis par l’armée turque et occupés ensuite par les rebelles ont plusieurs fois été perdus, repris par les YPG. De plus, les rebelles sont divisés entre soutien à la Turquie et leur propre lutte à Ghouta contre le gouvernement. La prise d’Afrin semble donc très difficile, et ne représente qu’une partie du Kurdistan syrien. Ankara a déjà déclaré que l’opération continuerait ensuite sur Manbij, la partie orientale où des forces américaines sont stationnées, ce qui semble d’autant plus irréalisable aujourd’hui.

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