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Pourquoi la Russie livre-t-elle des armes au gouvernement centrafricain ?

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Le 28 janvier 2018, alors que la situation en République centrafricaine (RCA) reste très tendue, la Russie a profité d’une nouvelle levée partielle de l’embargo pour livrer une deuxième cargaison d’armes au gouvernement central de Bangui. Ce nouveau don d’armes aux Forces armées centrafricaines (FACA) n’est pas complètement désintéressé. Cette opération est une nouvelle preuve que, depuis quelques années, la Russie a profondément modifié ses relations avec le continent africaine. Elle le considère de nouveau comme prioritaire.

Le président centrafricain Touadéra et le ministre russe des Affaires étrangère Lavrov, lors d’une réunion à Sotchi, en octobre 2017 (source Twitter).

La Russie à la rescousse du gouvernement de Bangui

Malgré un embargo qui pèse sur le pays depuis 2013, Moscou a profité d’une « procédure de silence » du Conseil de sécurité des Nations unies mi-décembre 2017 pour lancer un programme de livraison d’armes. Celui-ci a été planifié en trois phases et visait à équiper les FACA. Fin décembre 2017, une première cargaison avait été déjà livrée et installée dans des entrepôts placés sous sécurité renforcée. Au total, la Russie devrait fournir 900 pistolets Makarov, 5200 fusils d’assaut, 140 fusils de précision, 840 fusils Kalachnikov, 340 lances roquettes et enfin 20 armes antiaériennes. Une multitude de munitions et un panel d’instructeurs seraient également compris dans le contrat. Le gouvernement centrafricain qui considérait l’embargo comme « injuste » est satisfait. Ce matériel permettra d’équiper 1300 membres des FACA qui ont commencé à se déployer dans le pays début février 2018, après avoir été formés par la mission de l’Union européenne (EUTM RCA). Ces militaires agiront conjointement avec la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA) pour lutter contre une multitude de groupes armés qui contrôleraient environ 80% du territoire centrafricain.

Une livraison d’arme qui peut paraître surprenante

Cette opération russe en RCA peut dans un premier temps paraître déconcertante puisque depuis la fin de la Guerre froide, la Russie semblait s’être peu tournée vers l’Afrique subsaharienne. Ses intérêts, à part au niveau de quelques vieux bastions, y restaient mineurs.

Autre élément surprenant, selon le site d’actualité Opex 360, cette livraison conséquente serait un don de la Russie[1]. D’après le conseiller spécial du président centrafricain, Fidèle Gouandjika, la France se serait même fait doubler sur ce dossier[2].

Quelle est l’intérêt de la Russie à soutenir Bangui ?

Ce regain d’intérêt russe pour les questions sécuritaires en Afrique s’explique par plusieurs éléments.

D’une part, la Russie cherche à investir massivement dans plusieurs secteurs stratégiques du développement en Afrique. Dans une récente interview au Point, le chercheur associé de l’IRIS Arnaud Dubien, a déclaré que depuis trois ans, « la coopération russo-africaine avait repris un coup d’accélérateur ». Selon lui, les investissements dans le secteur minier (diamant, uranium, platine) ont une place non négligeable dans la stratégie de Moscou. Dans le cas de la RCA, cette analyse peut paraître pertinente. Des coentreprises pourraient par exemple exploiter des gisements, comme c’est le cas actuellement au Zimbabwe. D’ailleurs, en octobre 2017, lors d’une rencontre à Sotchi entre le président centrafricain, Faustin Archange Touadéra, et le ministre des Affaires étrangères russe, Serguei Lavrov, une coopération pratique avait été lancée et un communiqué de l’ambassade russe indiquait que les deux hommes politiques avaient « constaté le potentiel significatif du partenariat en matière d’exploitation minière ».

D’autre part, Moscou veut protéger ses intérêts en matière de défense. La Russie, grande exportatrice d’armes, compte déjà plusieurs États africains comme pays clients. Elle ne serait donc pas opposée à renforcer sa relation avec la RCA dans ce domaine. C’est pourquoi Vladimir Poutine a renoué avec cette tradition soviétique qui consiste à définir son pays comme « grand soutien militaire » aux régimes africains, comme lorsque l’URSS soutenait ces derniers dans leur lutte pour l’indépendance.

En somme, le don d’armes considérable que Moscou a fait au régime de Bangui, dans le but d’équiper les FACA, est un investissement stratégique à considérer sur le long terme. Une fois que Bangui aura rétabli sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire, elle sera redevable à la Russie qui pourrait bénéficier d’une place privilégiée dans l’exploitation des mines centrafricaines. Cette donation d’armes a également permis à la Russie de renforcer ses intérêts en matière de défense, face à des concurrents directs tels que la Chine, les États-Unis ou la France. En réaction, les États-Unis ont d’ailleurs indiqué, le 6 janvier 2018, par le biais de leur ambassadeur à Bangui qu’ils feraient un don de 12,6 milliards de dollars destiné aux programmes de formation et d’équipement de l’armée centrafricaine.

[1] Lagneau Laurent, « La Russie a été autorisée par l’ONU à livrer des armes à la Centrafrique », Opex 360, 16 décembre 2017.

[2] Pabandji Pacôme, « Centrafrique : la Russie autorisée par l’ONU à vendre des armes aux FACA », Jeune Afrique, 15 décembre 2017.

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