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« Préparer l’après-Poutine », conférence de John R. Beyrle à la Ford School of Public Policy, University of Michigan

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Alors que la Russie s’apprête à élire son président et, sans surprise, à reconduire l’inamovible Vladimir Poutine, se pose la question de l’avenir des relations entre Russie et États-Unis, et Occident plus généralement. Pour les États-Unis, il s’agit de réévaluer des relations des plus mauvaises mais aussi d’imaginer une politique vis-à-vis de la Russie, lorsque Poutine aura quitté le Kremlin. Si l’on en croit John R. Beyrle, ambassadeur américain à Moscou entre 2008 et 2012, il importe de multiplier les canaux de discussion et les échanges entre les deux États. L’ère des sommets où les présidents réglaient les différends entre les deux grands a vécu, selon Beyrle.

John Beyrle et Dimitri Medvedev, 2008

Dans la continuité de l’immédiat après-Guerre Froide, les relations entre la Russie poutinienne et les Etats-Unis furent relativement bonnes lors de son premier mandat (2000-2004), Poutine se concentrant avant tout sur la consolidation intérieure de son pouvoir. Rappelons qu’il donna son feu vert à l’installation de bases américaines dans les ex-républiques soviétiques d’Asie Centrale pour soutenir l’intervention en Afghanistan. A partir de la guerre en Irak, et avec la forte remontée des prix des hydrocarbures, Moscou se mit à adopter une position plus critique et plus indépendante vis-à-vis de Washington. Comme devait le montrer le conflit avec la Géorgie en 2008, la Russie ne comptait plus se laisser imposer un calendrier par les Occidentaux. Depuis le retour de Vladimir Poutine au Kremlin en 2012, le rapport russo-américain n’a fait que se détériorer. La politique américaine s’est caractérisée, depuis l’annexion de la Crimée (2014) et le soutien russe aux séparatistes ukrainiens, par une série de sanctions touchant aussi bien l’élite que la population russes.

Selon Beyrle, cette politique n’a cependant que partiellement porté ses fruits. Poutine bénéficie au sein de l’électorat russe d’une aura très forte et a réussi à dépeindre les difficultés économiques de la Russie comme une conséquence de la politique occidentale. Toutefois, l’élite russe commence, elle, à s’inquiéter de l’orientation nationaliste et court-termiste de la politique du président russe, d’après Beyrle. Elle voit d’un œil inquiet l’absence de volonté de réforme économique affichée, alors que les revenus tirés des hydrocarbures sont passés de 40% du budget russe en 2000 à 60% aujourd’hui. Qui plus est, Poutine est parvenu à se mettre à dos une génération entière d’Ukrainiens, l’OTAN et l’électorat américain.

Dans un tel contexte, il convient, selon Beyrle, de reconsidérer la politique américaine à l’égard de Moscou. Tout d’abord, il lui paraît primordial d’approfondir le dialogue entre les deux appareils militaires et de développer des relations entre les ministères de la défense. De même, et malgré les sanctions imposées à la Russie, les entreprises américaines doivent poursuivre leurs investissements en Russie, afin de maintenir des liens, alors que les relations politiques sont exécrables. Enfin, les liens culturels devraient être renforcés, car c’est, d’après Beyrle, le meilleur moyen de favoriser l’évolution de la société russe. Jouer la carte chinoise pour isoler la Russie serait au contraire une grave erreur. Comme l’affirmait Kissinger, les États-Unis doivent « avoir une meilleure relation avec la Russie et la Chine que ces derniers n’ont entre eux« . La Russie n’est, en effet, pas sans s’inquiéter de l’essor et des visées expansionnistes chinois. A l’heure où le peuple russe demande plus que jamais une reconnaissance internationale, jouer sur cette peur aurait un effet néfaste.

Pour Beyrle, ce mandat sera le dernier de Poutine, car il apparaît usé par le pouvoir. Toutefois, il lui semble probable qu’il se retire ensuite dans une position de surplomb, « à la manière de Lee Kwan Yu à Singapour« . La politique américaine ne pourra donc exclure la variable Poutine de son équation russe, mais elle doit prêter attention aux jeunes poulains dont il pourrait s’entourer durant son dernier mandat.

Diplomate de carrière, John Beyrle est diplômé du National War College et a étudié à l’Université d’État de Leningrad. Il entre au Secrétariat d’État en 1983 et se spécialise dans l’Europe centrale et orientale. Membre du Conseil de Sécurité Nationale (1993-1995), il est ensuite ambassadeur en Bulgarie (2005-2008), puis en Russie (2008-2012).

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