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Affaire Skripal, un épisode supplémentaire dans la dégradation des tensions russo-occidentales

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Le 4 mars 2018, Sergueï Skripal et sa fille sont victimes d’une tentative d’assassinat par empoisonnement sur le territoire du Royaume-Uni. Très vite, les regards se tournent vers la Russie et une escalade verbale a lieu entre les deux pays. À travers les sanctions de Theresa May à l’encontre du Kremlin, cet épisode est une nouvelle fois marqueur du caractère épineux des relations russo-occidentales, et ce, à quelques jours des élections présidentielles en Russie, ce 18 mars 2018.

Les soupçons occidentaux à l’encontre de la Russie

Theresa May et Vladimir Poutine

A l’heure actuelle, aucun élément probant ne permet, de manière incontestable, d’affirmer que la Russie est l’acteur ou le commanditaire de l’empoisonnement. Néanmoins, le gouvernement du Royaume-Uni a rapidement dirigé ses accusations, déclarant qu’« il n’y a pas d’autre conclusion que celle selon laquelle l’État russe est coupable »1. Cette affirmation s’appuie sur un faisceau d’indices laissant entrevoir la main du Kremlin. En effet, la victime se trouve être un ancien agent des services de renseignements russes ayant trahi son pays au profit du Royaume-Uni. Arrêté, puis échangé contre la libération d’espions russes, la tentative d’assassinat à son encontre porterait la marque des services russes, du fait notamment du poison utilisé, le Novitchok, un agent innervant d’origine exclusivement soviétique. Voilà pourquoi certains voient dans cette tentative d’empoisonnement, volontairement publicitaire, la signature du Kremlin. Elle serait ainsi destinée à intimider les transfuges russes mais aussi à humilier les États qui les utiliseraient et les protégeraient2.

Quoiqu’il en soit, les principales puissances occidentales – États-Unis, France, Allemagne – se sont immédiatement rangées derrière le Royaume-Uni, affirmant, à travers un communiqué commun, partager « le constat britannique qu’il n’y a pas d’autre explication plausible [que la responsabilité russe] »3. Ces prises de position soulignent de nouveau la représentation géopolitique d’un bloc occidental opposé à l’antagoniste russe ; un schéma classique de la solidarité atlantique vis-à-vis de Moscou ; et surtout un pas supplémentaire dans les relations tumultueuses entre l’Occident et la Russie depuis l’affaire ukrainienne.

Une escalade difficile à gérer côté britannique

Malgré ces soutiens, la gestion de cette crise s’avère difficile pour Theresa May. Dans une position inconfortable sur la scène politique intérieure et pressée de réagir fermement, la désignation hâtive du coupable russe, et donc d’une menace extérieure, lui permet dans un premier temps d’unifier l’opinion publique et la classe politique derrière son discours. Néanmoins, sa marge de manœuvre semble réduite : à ses paroles tranchées vis-à-vis de la Russie, doivent suivre des actions de même mesure. À ce stade, des sanctions économiques sur le modèle de celles prises à l’encontre de Moscou suite à l’annexion de la Crimée semblent peu probables, du fait du différentiel de gravité entre les deux crises et du risque de répercussions négatives sur l’économie du Royaume-Uni qu’elles pourraient entraîner. De plus, si les « alliés » occidentaux du Royaume-Uni ont témoigné leur soutien, il ne s’agit pour l’instant que d’une position de principe qui n’assure aucunement un engagement plus poussé de leur part.

La première série de mesures britanniques – le renvoi de 23 diplomates russes, sur les 59 officiellement accrédités, le gel des contacts bilatéraux avec la Russie et le boycott, seulement diplomatique, de la prochaine coupe du monde de football en Russie – ne franchit pas le stade du symbole. Leur ampleur détonne dès lors avec le ton employé par Londres et ces mesures ne sont pas de nature à réellement inquiéter Moscou.

L’instrumentalisation russe des accusations occidentales

Le Kremlin semble peu s’inquiéter des propos de Theresa May. Son comportement à travers cette crise est significatif de la permanence de deux caractéristiques de la politique de Vladimir Poutine depuis quelques années, a fortiori depuis la Crimée. En premier lieu, le gouvernement russe n’accorde désormais que peu d’intérêt aux représentations qu’ont les États occidentaux de la Russie. Son regard n’est plus tourné vers l’Ouest mais porte sur la recherche de nouveaux partenariats hors de l’Occident,d’où la faible portée des mesures annoncées par Theresa May. De plus, loin de déstabiliser Moscou, l’unité occidentale dans les accusations portées contre la Russie sert Poutine dans sa politique intérieure. Ce dernier, en clamant l’innocence russe dans l’empoisonnement de Skripal, joue la carte de la victimisation russe face à une énième agression occidentale. Le champ lexical utilisé est révélateur ; on parle de « provocations », de « campagne antirusse », de « russophobie ». À l’approche des élections présidentielles, ce discours est par conséquent de nature à mobiliser l’opinion russe derrière Poutine, lequel a placé au centre de sa politique l’idée d’une Russie forte, libre de toute pression occidentale. Il est ainsi probable que ces accusations ne fassent que renforcer sa légitimité populaire.

Dans cette première phase, ce n’est donc pas tant le gouvernement russe que le gouvernement britannique qui semble en difficulté ; la politique intérieure de chacun des deux pays influençant pour beaucoup les comportements diplomatiques dans la gestion de cette crise. Alors que l’enquête n’a pas encore livré ses conclusions, il est probable, au-delà du symbole, que les conséquences de cette crise restent limitées. Cette tentative d’assassinat politique4 – un événement assez fréquent dans l’histoire des relations internationales – vient toutefois alimenter des ressentiments plus globaux entre la Russie et les puissances occidentales.

1Europe1, « Empoisonnement d’un ex-espion, Londres rompt ses contacts avec Moscou », 14 mars 2018.

http://www.europe1.fr/international/pour-theresa-may-la-russie-coupable-de-lempoisonnement-dun-ex-espion-3599171

2France 5, C dans l’air, « Espions : le poison russe », 13 mars 2018.

https://www.youtube.com/watch?v=ujPrfWRG7QA

3Euronews, « Affaire Skripal : Londres, Berlin, Paris et Washington condamnent l’empoisonnement », 15 mars 2018.

http://fr.euronews.com/2018/03/15/londres-berlin-paris-et-washington-condamnent-l-empoisonnement

4Par analogie, l’empoisonnement d’Alexandre Litvinenko en 2006 au Royaume-Uni également, et pour lequel la Russie était une nouvelle fois placée sur le banc des accusés, ne connut pas de retombées diplomatiques significatives.

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