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Le sommet de l’OCS 2018 : entre ambitions et réalités

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Alors que l’attention de la communauté internationale a été essentiellement dirigée vers le sommet du G7 à Charlevoix au Canada, de l’autre côte du Pacifique, les dirigeants des États membres de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) se sont rencontrés à Qingdao en Chine. La tentation de faire le parallèle entre les deux sommets étant trop forte, de nombreux médias n’ont pas tardé à comparer les deux sommets en constatant le « désarroi »[1] et la « division »[2] des participants au sommet du G7 et la « montée » du bloc « Est »[3]. Pourtant, contrairement aux conclusions les plus évidentes, la situation semble être beaucoup plus subtile. L’ « esprit de Shanghai » qui a régné lors du sommet de l’OCS a confirmé les intérêts communs à court terme que partagent ses États membres. Dans une plus longue perspective, ils restent divisés sur plusieurs questions majeures.  

L’arrivée des nouveaux membres a marqué non seulement la réconfiguration géopolitique de l’OCS, mais aussi le déplacement de son vecteur de développement et a ouvert ainsi des opportunités pour un éventuel « rééquilibrage » des pouvoirs.
Les dirigeants des États membres de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) se sont rencontrés à Qingdao en Chine le 10 juin 2018.

Vers un nouvel ordre international?

Délibérément ou non, le format de l’OCS se pose comme une alternative à l’ordre des affaires internationales actuel promu par les États du G7. Les participants au sommet, dont Xi Jinping, ont ouvertement appelé à « se diriger vers un nouveau type de relations internationales », vers un « ordre international plus juste et équitable ».[4]

En particulier, les États membres de l’OCS ont démontré leur unité vis-à-vis des décisions récentes prises par le président américain Donald Trump. Les mesures protectionnistes visant à contenir l’expansion économique de l’Empire du Milieu ont eu pour conséquence de placer les deux géants économiques au bord de la guerre commerciale. Rejointe par les autres États membres de l’OCS, la Chine cherche à promouvoir la mondialisation dans le domaine économique et le libre-échange qui, à court et à long terme, assurent la mise en place de son initiative Belt and Road (BRI).

De plus, l’Iran, membre observateur à l’OCS, a profité du sommet pour dénoncer une nouvelle fois le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire de 2015. Le président Hassan Rohani a notamment reçu le soutien de Vladimir Poutine, son allié sur le front syrien, qui cherche à renforcer sa posture sur le terrain diplomatique après avoir été exclu de G8 en 2014. La Russie multiplie notamment ses efforts visant à se proposer comme un garant de l’accord sur le nucléaire iranien et à se montrer ainsi active en matière d’affaires internationales. D’autre part, l’Iran a reçu l’appui de la Chine, un importateur majeur du pétrole iranien.

Le tandem russo-chinois mis en cause

Cependant, il serait erroné d’ignorer les différends existants entre les États membres de l’OCS, apparus dès le stade initial de sa formation. Cette organisation a été créée en 2001 et réunissait au départ la Russie, la Chine et les quatre États centrasiatiques à l’exception du Turkménistan. Sa mission initiale consistait à assurer la sécurité dans la région de l’Asie centrale et, plus précisément, à lutter contre les trois « forces » : le terrorisme, l’extrémisme et le séparatisme.[5] Pourtant, à l’exception de quelques entraînements militaires communs, l’OCS n’a pas réussi à atteindre de résultats tangibles en matière de sécurité. Elle s’est montrée notamment incapable de prévenir la violence lors des affrontements ethniques au Sud du Kirghizistan en 2010. La Chine et la Russie continuent de plus à investir dans la sécurité régionale de manière indépendante, en dehors de l’OCS,  respectivement dans le cadre du Mécanisme de coopération et de coordination quadrilatéral et de l’Organisation du traité de sécurité collective.[6]

De surcroît, les objectifs mêmes de l’OCS font l’objet de débats entre ses deux « États fondateurs ». Comme le constate Alexandre Malachenko, « la Chine ne considère pas l’OCS comme un outil politique, alors que la Russie avait l’intérêt de renforcer le côté politique de l’OCS et d’en faire une organisation capable de mener un dialogue avec les puissances occidentales […] et même de se présenter comme leur rival. »[7] La Chine s’investit dans le développement du volet économique de l’OCS afin de promouvoir son initiative Belt and Road et ne cherche pas à rivaliser avec les puissances occidentales, ses partenaires clefs.

Les nouveaux enjeux de l’OCS suite à son élargissement

L’élargissement de l’OCS a marqué un changement radical dans sa configuration. L’inclusion de nouveaux États tels l’Inde et le Pakistan permet à l’Organisation d’accroître son poids politique et économique, mais, dans le même temps, elle rend la recherche du compromis au sein de l’OSC plus problématique.

Il convient de noter que l’Inde, qui a pour la première fois assisté au sommet de l’OCS en tant que membre à part entière, a refusé d’apporter son soutien à l’initiative chinoise Belt and Road et a appelé à « respecter la souveraineté dans la gestion des projets d’infrastructure ».[8] En plus des différends territoriaux avec la Chine, l’Inde exprime sa désapprobation vis-à-vis du projet de Pékin concernant le Corridor économique Chine-Pakistan (CPEC). Le fait que le CPEC traverse le territoire du Cachemire, contesté par l’Inde et le Pakistan, par ailleurs également membre de l’OCS, aggrave davantage les relations déjà tendues entre ces deux États.

***

D’un côté, le sommet de Qingdao a indéniablement témoigné des efforts importants consentis par les dirigeants des États membres dans le but d’« encourager l’harmonie et l’unité par les recherches du terrain commun ».[9]  De l’autre, les différends non-négligeables entre eux jettent une ombre sur l’« esprit de Shanghai ». Ainsi, force est de constater que, dans son état actuel, l’OCS ne se présente pas encore comme une organisation avec des objectifs et des priorités claires. Il est pourtant certain que l’OCS de Qingdao n’est plus l’OCS des années 2000 où le potentiel politique et économique était principalement partagé entre la Chine et la Russie. L’arrivée de nouveaux membres a marqué non seulement la reconfiguration géopolitique de l’OCS, mais aussi le déplacement de son vecteur de développement et a ouvert ainsi des opportunités pour un éventuel « rééquilibrage » des pouvoirs.

[1] « China-hosted SCO summit ‘unity’ contrasts with G7 disarray », Al-Jazeera, 10 juin 2018
[2] « Face à un G7 divisé, Xi et Poutine jouent l’unité », Libération, 10 juin 2018
[3] « A West in Crisis, an East Rising? Comparing the G7 and the SCO », The Diplomat, 12 juin 2018
[4] Full text of Chinese President Xi Jinping’s speech at the 18th SCO Qingdao summit, Renmin wang, 11 juin 2018
[5] Sam Dupont, « China’s war on the “Three Evil Forces” », Foreign Policy, 25 juillet 2007
[6] L’Organisation du traité de sécurité collective est une organisation politico-militaire créée en 2002 qui regroupe l’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, la Russie et le Tadjikistan. Le Mécanisme de coopération et de coordination quadrilatéral réunit la Chine, le Pakistan, l’Afghanistan et le Tadjikistan. Par cet accord de 2016, les quatre États se sont engagés à coordonner leurs efforts de lutte antiterroriste. (Alice Ekman, « La Chine dans le monde », CNRS, 2018)
[7] A. Malachenko, « Tsentralnaya Aziya (Asie centrale) », Carnegie, 2012, p. 65
[8] Saibal Dasgupta, « India only SCO member to oppose China’s BRI », The Times of India, 10 juin 2018
[9] Full text of Chinese President Xi Jinping’s speech at the 18th SCO Qingdao summit, Renmin wang, 11 juin 2018

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