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Iran : le dangereux jeu de la « roulette russe » diplomatique du Président Trump

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A l’instar de la relation américaine avec la Corée du Nord, la relation entre l’Iran et les États-Unis ne fait qu’osciller entre escalade et désescalade des tensions depuis la décision du Président Trump de sortir de l’accord sur le nucléaire iranien.

L'Iran face à la diplomatie de Trump
Portraits des présidents Trump et Rohani

Les limites de la stratégie iranienne du Président américain

C’est à la suite d’une initiative du président Obama que les membres du Conseil de sécurité de l’ONU et l’Iran ont signé, le 14 juillet 2015, un accord sur le programme nucléaire iranien. Ce texte a entériné une certaine normalisation des relations avec la République islamique, et surtout, permis au pays de revenir sur la scène internationale, grâce à une levée progressive des sanctions économiques imposées depuis près de 30 ans. Le retrait unilatéral décidé par le Président Trump, en mai 2018, a été un véritable retour en arrière qui a empoisonné des relations pourtant déjà très fragiles. C’est donc, non sans surprise, qu’il a fait, le 31 juillet, sa proposition de rencontrer les dirigeants iraniens « quand ils veulent » et « sans conditions »[1].

Ce genre d’effet d’annonce n’est pas nouveau pour le Commandant en chef américain. Il semblerait, ainsi, qu’il ait décidé d’appliquer la même tactique utilisée avec la Corée du Nord, succès diplomatique, qui a débouché sur un accord historique entre les deux pays. Dans les faits, les relations de Washington et Téhéran se sont considérablement détériorées à la suite du retrait américain, mais c’est au cours du mois de juillet que le point culminant a été atteint. En effet, c’est lors d’une conférence de presse, tenue le 22 juillet, que le président iranien a déclaré qu’un conflit avec l’Iran serait « la mère de toute les guerres pour les États-Unis ». La réponse de Trump ne s’est pas faite attendre, ce dernier rétorquant sur Twitter de ne plus jamais les menacer sous peine « de subir des conséquences telles que peu au cours de l’histoire en ont connues auparavant ». C’est le même type de rhétorique qui avait été utilisée avec Kim Jong Un. Les deux dirigeants ont à l’époque poussé la confrontation jusqu’à la limite du point de non-retour avant de faire marche arrière et de finalement convenir d’une rencontre.

Cette réussite coréenne n’est pas pour autant une méthode applicable à toute situation de crise diplomatique. Dans sa stratégie, le Président américain semble en effet oublier qu’il a à faire à deux interlocuteurs bien différents. Tout d’abord, bien que mis au ban, l’Iran n’est pas un pays isolé comme peut l’être la Corée du Nord. La République islamique reste une puissance militaire et politique indépendante, géostratégiquement établie au Moyen-Orient. De plus, depuis les printemps arabes de 2011, Téhéran a considérablement renforcé sa position en Irak et en Syrie, où il s’est imposé comme acteur incontournable dans le conflit. Par ailleurs, le gouvernement chiite bénéficie d’un allié de taille avec la Russie, qui lui apporte un soutien politique et économique quasiment sans failles, bien différent de la Corée du Nord, qui ne peut s’appuyer que sur une relation assez distante avec la Chine. Enfin, Donald Trump et King Jong Un ont pour point commun d’être tous deux des dirigeants imprévisibles et impulsifs, à l’inverse des dirigeants iraniens plus réfléchis et animés par un esprit guerrier, qui n’accepteront pas de négocier en ayant l’impression de se soumettre au bon vouloir américain. Il n’est par conséquent pas étonnant que cette proposition ait été rejetée par le pouvoir chiite, déclarant qu’accepter de discuter dans ces conditions serait une « humiliation »[2].

L’arme économique face aux enjeux géostratégiques

L’arme économique est l’atout diplomatique principal utilisé par les États-Unis dans ce conflit. En rétablissant les sanctions économiques contre l’Iran, et en menaçant de taxer ses exportations de pétrole, le gouvernement américain espère ainsi pouvoir étouffer l’économie iranienne[3] et les contraindre à plier sous la pression. L’Europe, la Chine et la Russie ont tous refusé de céder à l’application d’une telle stratégie d’isolement. Un règlement européen visant à contrecarrer ce blocage a d’ailleurs été voté par le Parlement et devrait entrer en vigueur le 6 août, date d’application des sanctions américaines[4].

Face à ce danger de boycott, le Président Hassan Rohani a répliqué en menaçant de bloquer le détroit d’Ormuz[5], situé entre les côtes iraniennes et émiraties, par lequel transite plus de 30% du trafic pétrolier mondial. Une telle situation risquerait alors de remettre en cause la stabilité du commerce international. Cela reste cependant un scénario assez improbable, avec des conséquences pour l’économie iranienne bien trop dangereuses. De plus, le positionnement stratégique des forces arabes et américaines dans le Golfe Persique entraînerait une réaction militaire immédiate contre laquelle il serait compliqué de riposter.

Une désescalade des tensions n’est donc pour le moment pas prête de s’amorcer. Le risque pris par Donald Trump semble mal calculé et Washington aurait sûrement intérêt à revoir sa stratégie de dialogue. Les répercussions de cette situation pourraient aussi être désastreuses pour le Moyen-Orient déjà ébranlé par une instabilité chronique consécutive aux printemps arabes.

[1]https://www.afp.com/fr/infos/335/trump-pret-rencontrer-les-dirigeants-iraniens-quand-ils-veulent-doc-1812772

[2]https://www.lecho.be/economie-politique/international/usa/trump-propose-a-l-iran-de-negocier-humiliant/10035740.html

[3]https://www.lemonde.fr/economie/article/2018/07/31/entre-donald-trump-et-l-iran-l-arme-du-petrole_5337814_3234.html

[4]http://www.france24.com/fr/20180716-iran-union-europeenne-proteger-entreprises-europeennes-etats-unis

[5]http://www.opex360.com/2018/07/05/liran-menace-de-bloquer-detroit-dormuz-cas-de-sanctions-americaines-exportations-petrolieres/

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Eva Martinelli

Diplômée d’un Master 2 en Relations internationales spécialité sécurité et défense de l’Université de Grenoble et l’ILERI, Eva s’est spécialisée sur l’étude des problématiques géopolitiques de la Péninsule Arabique, et plus particulièrement sur les enjeux du conflit Yéménite.

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