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Al-Jazeera: la « diplomatie médiatique » qatarie en perte de vitesse

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Coincé entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, le petit émirat du Qatar d’environ 2 millions d’habitants (pour 85% d’étrangers) mène depuis 1995 une diplomatie active sur le plan régional et international. Le fer de lance de cette politique a notamment été le lancement de la chaîne « Al-Jazeera », qui a révolutionné l’industrie des médias au Moyen-Orient depuis les années 2000 tout en servant l’influence du Qatar.

Lorsqu’Hamad ben Khalifa al Thani arrive au pouvoir après un coup d’état (sans violence) en 1995, son objectif est de transformer l’émirat en une véritable puissance par quatre moyens: l’information, les investissements financiers, le sponsoring et la politique étrangère. A cette même période, le Moyen-Orient fait face à un vide de leadership régional par les acteurs étatiques traditionnels (Égypte, Irak, Algérie) ce qui permet au Qatar de s’affirmer. C’est d’autant plus une nécessité que l’Arabie Saoudite n’a pas accepté la prise de pouvoir par le nouvel émir, qui doit absolument se trouver une légitimité et sortir de l’isolement sur la scène régionale. Un décret gouvernemental du 8 Février 1996 lance alors la chaine satellitaire d’information libre, Al-Jazeera.

Elle se démarque très rapidement de ses concurrentes: 1er chaîne d’information en continu à diffuser des émissions en direct, son siège est à Doha (et non dans une capitale occidentale ou une zone franche), une très grande liberté de ton. En effet, Al-Jazeera va couvrir une grande diversité de sujets politiques et sociaux qui ne sont pas traités par les autres médias de la région. Son slogan « l’opinion et l’opinion opposée » illustre la pluralité des camps qui vont s’exprimer sur la chaîne qatarie. La chaîne va donner la parole aussi bien au mouvement Hezbollah qu’aux israéliens (ce qui va également permettre aux qataris de se tisser un important réseau, leur conférant aujourd’hui un rôle de médiateur important dans la région). La diversité dans son recrutement, son professionnalisme, la qualité de ses reportages (notamment sur Gaza en 2008) va en faire la chaîne télévisée de référence au Moyen-Orient.

Le tournant des soulèvements arabes de 2011

Avec une couverture très active des révolutions arabes, et un engagement clair en faveur des contestataires, la chaîne atteint son apogée. Ses reportages sont retransmis dans le monde entier. En relayant les activistes sur sa chaîne, le Qatar trouve en échange des relais sur le terrain pour concrétiser son influence politique. Sur la place Tahrir, on entendra plusieurs fois crier par les manifestants « vive Al-Jazeera ».

Toutefois, la tonalité de la chaîne va être perçue comme étant de plus en plus politisée. En septembre 2011, le directeur général Wadah Khanfar est remplacé par un membre de la famille de l’émir. Des critiques commencent à émerger contre le traitement inégal de la chaîne selon les pays (au Bahreïn, en Égypte, et particulièrement en Syrie). Le 9 Juillet 2013, sept journalistes du bureau égyptien de la chaîne ont démissionné à cause de la couverture pro-islamiste demandée par la chaîne et les pressions exercées sur eux en ce sens.

La chaîne qatarie commence donc à observer une importante baisse de ses audiences à cause de son alignement systématique sur les partis islamistes, sans compter la naissance d’autres médias libres dans les pays du printemps arabe lui faisant concurrence. Tout le défi pour le Qatar aujourd’hui est de réussir à redonner à Al-Jazeera l’image d’une chaîne professionnelle de qualité, au risque de perdre sinon toute la crédibilité qu’elle avait pourtant acquise auprès d’une grande partie des populations arabes.

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