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L’Etat islamique, bourreau des minorités d’Irak

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L’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), désormais baptisé État islamique (EI), est le maître du nord et de l’ouest de l’Irak. Il tient la seconde plus grande ville du pays : Mossoul, devenue le sanctuaire terroriste du djihad. Il s’étend désormais dangereusement vers Bagdad et Erbil, la capitale du Gouvernement régional du Kurdistan (province kurde d’Irak autonome). L’avancée de l’EI fait planer une menace de génocide sur les minorités chrétienne et yézidie notamment qui tentent de se réfugier dans le Kurdistan irakien, défendus par les combattants Peshmergas (littéralement soldats « qui vont au devant de la mort » et désignent les forces armées kurdes).

Dans un contexte de passation de pouvoir chaotique entre Nouri al-Maliki et Haïder al-Abadi au sommet de l’État et sous la pression de l’offensive de l’État islamique, l’Irak vient allonger la liste des États faillis. Issu des accords Sykes-Picot, ce pays multiconfessionnel et cette mosaïque ethnique sont en train d’imploser face à la percée djihadiste. Abou Bakr al-Baghdadi a réinstauré le califat, s’est autoproclamé calife c’est-à-dire chef spirituel de tous les musulmans et menace d’exterminer les minorités irakiennes auxquelles il a lancé un ultimatum : la conversion à l’islam sunnite, la djizya (impôt prélevé sur les revenus des non-musulmans) ou la mort.

Certains parlent à l’instar de Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations Unies, de crimes de guerre (exécution de militaires chiites prisonniers) voire de crimes contre l’humanité et d’actes de barbarie concernant les agissements des colonnes de l’État islamique. Sa stratégie implique de régner par la terreur : crucifixions, nettoyage confessionnel, femmes vendues sur le marché aux esclaves. Cependant, le rouleau compresseur djihadiste se distingue aussi par une remarquable logistique. En effet, chaque conquête s’accompagne d’une rapide tentative de normalisation et de régularisation : voies de communication, administration, accès aux soins, à l’eau, à l’éducation sont rapidement rétablis, la propagande est déployée en ville, réseaux sociaux et internet sont massivement employés pour mettre en scène les victoires de l’EI, des écoles coraniques sont installées (endoctrinement) et une nouvelle législation instaurée (application rigoriste de la charia).

L’EI développe une véritable économie de prédation et de guerre : vol des réserves des banques et des dépôts d’armes, impôt révolutionnaire, extorsion, contrôle des champs pétrolifères (contrebande de pétrole). L’EI devient l’organisation terroriste la plus riche au monde (milliardaire).

Ses légions comprennent des soldats chevronnés (ex-militaires de l’armée de Saddam Hussein), des terroristes salafistes africains et moyen-orientaux et un renfort de 2 000 à 3 000 djihadistes européens ce qui porte leur nombre à environ 10 000 voire 20 000 combattants selon les estimations.

Quelles sont les cibles et victimes de l’État islamique ?

Il y a d’abord les chrétiens d’Orient, présents depuis plus 1 600 ans en Irak (avant l’Hégire, moment fondateur de la diffusion de l’islam en 622). Nous assistons depuis plusieurs semaines à un immense exode chrétien à destination des pays limitrophes et occidentaux. Parmi les milliers de réfugiés et demandeurs d’asile, les yézidis forment une communauté religieuse kurdophone. Leur religion possède des racines plus anciennes que les religions du Livre (judaïsme, christianisme et islam) et provient de l’Iran ancien. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) évalue à environ 20 000 ou 30 000 yézidis en fuite dans les montagnes désertiques du Sinjâr (nord-ouest de l’Irak).

Les chancelleries occidentales paraissent avoir sous-estimé le potentiel de nuisance de l’EI et sont maintenant obligées de prendre des mesures dans l’urgence alors que se dessine une tragédie humanitaire. Les États-Unis, le Royaume-Uni et la France ont décidé de fournir des armes sophistiquées aux Peshmergas afin de rééquilibrer les forces en présence. En vérité, les vaillants combattants kurdes constituent le dernier rempart dressé face l’EI mais ils demeurent sous-armés (matériel léger et vieillissant d’origine soviétique) par rapport à leur adversaire qui a récupéré l’armement lourd de l’armée irakienne en déroute (matériel américain). Face au péril djihadiste, une alliance kurde historique est en cours de formation (Kurdes de Syrie, d’Irak et de Turquie) avec pour mission : tenir Erbil.

Cette situation critique force Barack Obama à autoriser des frappes aériennes ciblées (sans troupes au sol), le signe d’un réengagement états-unien en Irak (contraire à la stratégie du Pivot, élément clé de la politique étrangère au cours de son 1er mandat). Vendredi 15 août 2014, une réunion extraordinaire des 28 ministres européens des affaires étrangères se déroulera sous le patronage de Catherine Ashton (chef de la diplomatie européenne) afin de décider de l’action européenne coordonnée à adopter au sujet de l’Irak. Les précédents irakien et libyen seront dans tous les esprits : la solution militaire (armement) est inefficace voire contre-productive à moyen terme si aucune solution politique (construction étatique solide) n’est envisagée. Il s’agira donc de prendre en compte « le jour d’après ».

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Rémy SABATHIE

Secrétaire général et rédacteur géopolitique pour Les Yeux du Monde, Rémy Sabathié est analyste en stratégie internationale et en cybercriminalité. Il est diplômé de géopolitique, de géoéconomie et d’intelligence stratégique.

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