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Le sempiternel dossier nucléaire iranien

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Après une semaine d’intenses débats diplomatiques à Vienne, les négociations de l’Iran et des « 5+1 » (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne) ont abouti à un échec prévisible. Aucun accord complet concernant le programme nucléaire iranien n’a été trouvé entre les diplomates des grandes puissances mondiales. Pourtant, un an jour pour jour après l’accord intérimaire historique trouvé dans la capitale autrichienne, la situation n’a guère évolué. Un délai supplémentaire de sept mois est évoqué. Prochain échéance prévue en juin 2015 : une succession de délais et autres reports, synonymes d’enlisement diplomatique.

A gauche, Mohammad Javad Zarif, le ministre iranien des Affaires étrangères et à droite, John Kerry, le Secrétaire d'Etat américain
A gauche, Mohammad Javad Zarif, le ministre iranien des Affaires étrangères et à droite, John Kerry, le Secrétaire d’Etat américain

La diplomatie n’est pas la magie. Le monde se rend aujourd’hui compte qu’après 10 ans de négociations avec l’Iran, les résultats tant espérés par les Occidentaux ne sont pas obtenus. Néanmoins, en prenant davantage de recul, on voit bien qu’occulter des décennies de relations d’adversité entre les États-Unis et l’Iran en une semaine de tractations n’est pas réalisable. Même si le président Ahmadinejad, occidentophobe acharné, n’est plus là, remplacé par un Hassan Rohani de toute évidence moins véhément, le contexte de sanctions extrêmement dures à l’égard de l’Iran n’a pas disparu, même s’il a été certes légèrement allégé. Dans ces conditions, il serait vain de croire à un accord complet et rapide. L’un ne peut aller avec l’autre. Le temps diplomatique ne le permet pas puisque dans le cas de l’Iran, nous en sommes à peine au réchauffement des relations diplomatiques et du rapprochement des partis en présence. Espérer un accord complet reviendrait à « mettre la charrue avant les bœufs », pour le dire sans le tact qu’exige l’exercice diplomatique.

Quoiqu’il en soit, étudier le dossier nucléaire iranien nécessite d’avoir à l’esprit que dans un domaine aussi stratégique que le nucléaire, la coopération ne peut être totale. Par conséquent, l’espoir d’un accord complet, incluant une transparence parfaite, est un mirage rhétorique. Les négociations constituent déjà en soi une forme de normalisation des relations entre l’Iran et l’Occident. Les États-Unis ne sont plus tout à fait considérés comme le grand Satan chez le rejeton de l’antique Perse. C’est déjà un ample progrès.

Cependant, l’éternisation des pourparlers ne joue pas en faveur d’un apaisement régional car l’incertitude est le venin des relations internationales. Cette situation suscite la méfiance qui encourage la course aux armements. L’Iran souffre du même complexe obsidional que la Russie ou qu’Israël et ce sentiment d’encerclement se nourrit de l’incertitude ambiante. L’Iran se pense comme pris en étau entre des États sunnites hostiles qui s’arment de plus en plus, des bases américaines disséminées dans tout le Moyen-Orient, des puissances nucléaires comme Israël, le Pakistan et l’Inde, sans parler de l’ascension de l’anti-chiite Daech. Cette perception belligène de l’environnement stratégique de l’Iran est renforcée par la stratégie de l’Arabie Saoudite qui envisage sérieusement de développer un « programme nucléaire civil ». Dans le même temps, elle actionne le levier énergétique en abaissant les prix du pétrole pour mettre la pression sur son rival stratégique régional, l’Iran, qui établit son budget à partir d’un baril à 120 dollars. Or, il se situe actuellement sous la barre des 80 dollars.

Conservatisme et statu quo

Des conservateurs de part et d’autre se contentent du statu quo et poussent au clivage. D’un côté, le Guide Suprême de la Révolution islamique, l’ayatollah Khameiny, contribue largement à la poursuite du programme nucléaire iranien tandis que de l’autre côté, certains néoconservateurs américains aimeraient voir l’Iran noyé sous les sanctions jusqu’à l’abandon du programme nucléaire. Dans les négociations, la Russie et la Chine maintiennent une certaine pression pour conserver ce statu quo qui fait valoir leurs avantages respectifs en Iran. La Russie demeure le principal partenaire scientifique de la République islamique. La compagnie russe Rosatom signait, le 11 novembre dernier, un contrat de construction de deux nouveaux réacteurs nucléaires dans la centrale iranienne de Bouchehr. Un pied de nez supplémentaire de Vladimir Poutine aux chancelleries européennes et américaines, sur fond de durcissement des relations occidentalo-russes à cause de la crise ukrainienne. La Chine, quant à elle, jouit du statut de premier partenaire commercial de l’Iran et entame avec Téhéran une coopération militaire (exercices militaires).

En somme, le dossier nucléaire iranien pourrait se révéler décisif pour Barack Obama. Cela pourrait être une des manières de redorer le bilan en demi-teinte du prix Nobel de la paix 2009, à l’issue de ces deux mandats à la Maison-Blanche. Après la défaite des démocrates aux midterms, il n’a plus rien à perdre. Le monde a, lui, tout à y gagner.

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Rémy SABATHIE

Secrétaire général et rédacteur géopolitique pour Les Yeux du Monde, Rémy Sabathié est analyste en stratégie internationale et en cybercriminalité. Il est diplômé de géopolitique, de géoéconomie et d’intelligence stratégique.

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