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Kobané libérée : quelles implications ?

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Un combattant kurde et son fils dans Kobané, libéré. Crédit photo: AFP.
Un combattant kurde et son fils dans Kobané, libéré.
Crédit photo: AFP.

Depuis la fin du mois de janvier, les djihadistes de l’EI ont entièrement été chassés de la ville syrienne, située à la frontière avec la Turquie, par les combattants kurdes du YPG (Unités de Protection du peuple kurde) soutenus par le PKK (Parti du Kurdistan Kurde).

 

 

La prise de Kobané ne constitue pas une victoire stratégique capitale pour les kurdes

La reprise de la ville par les kurdes aux mains de l’EI, avec le soutien aérien de la coalition internationale et en particulier des Etats-Unis, n’est cependant pas une victoire d’importance stratégique capitale. Paradoxalement, cette ville, où l’EI aurait subi de lourdes pertes (on parle de plus de mille combattants tués), ne constituait pas un objectif stratégique d’importance pour le groupe, qui contrôlait déjà (et les contrôle encore) de larges pans de frontière à l’Est comme à l’Ouest de la ville, même si contrôler Kobané aurait permis au groupe de mieux sécuriser les axes routiers stratégiques qui relient Rakka aux territoires de l’ouest syrien dont la ville d’Alep fait partie. Cependant, si les kurdes ont su mettre en échec l’EI en combat urbain, ils ne disposent pas des capacités militaires suffisantes pour affronter les djihadistes en terrain ouvert, ceux-ci ayant de l’équipement lourd, comme des chars de combat.

 

Une victoire symbolique, politique et diplomatique

La victoire des kurdes à Kobané est d’abord symbolique, la reprise de la ville constituant en effet la première véritable défaite militaire du groupe. En cela, la victoire kurde se veut le symbole de sa résistance militaire et de sa capacité à mettre en échec les djihadistes.

La mise en déroute de l’EI constitue également une victoire politique importante, dans la mesure où elle consacre l’unité de toutes les forces kurdes de la région, ce qui est loin d’avoir toujours été le cas. En effet, si les kurdes irakiens sont depuis longtemps des partenaires privilégiés d’Ankara, le PKK (basé en Turquie) et le YPG (kurdes syriens) ont longtemps été combattus par le gouvernement Turc dans une guerre civile qui a fait 50 000 morts jusqu’à la signature d’un cessez-le-feu en 2013. Or, la bataille de Kobané a inextricablement lié le sort des peuples kurdes, et leur victoire a montré la capacité de tous les kurdes à s’unir dans la défense d’un objectif vital contre un ennemi commun et ouvre la voie à la constitution éventuelle, bien qu’encore utopique, d’un « Etat » kurde.

La prise de Kobané est enfin une victoire diplomatique pour les kurdes, qui ont gagné reconnaissance et soutien de la part d’une bonne partie de la communauté internationale, et en particulier des Etats-Unis, qui ont coopéré ouvertement avec les autorités kurdes en ravitaillant les combattants au sol et en menant des frappes aériennes, alors que le PKK figure encore sur la liste des organisations terroristes du gouvernement américain.

 

L’illisible stratégie turque

De son côté, la Turquie sort affaiblie de la victoire kurde à Kobané. Ankara aurait préféré que la situation s’enlise, car elle craint le renforcement de la puissance militaire et de l’influence des organisations kurdes dans la région, et en particulier du PKK, tout comme elle se méfie de leur unité nouvelle. C’est pourquoi le gouvernement turc s’est montré très réticent à aider les kurdes, et les images des chars turcs immobiles, à seulement quelques centaines de mètres de la ville en flammes, ont fait le tour du monde. Washington a d’ailleurs très peu apprécié que la Turquie refuse à la coalition l’accès à la base d’Incirlik pour mener les frappes aériennes.

Il est vrai qu’Ankara a laissé passer hommes et munitions à destination de Kobané, tout comme elle accueille plus de mille combattants blessés dans ses hôpitaux, car sans doute une opposition frontale aux kurdes n’aurait, dans le contexte actuel, pas été accepté par la communauté internationale.

Néanmoins, sa priorité affichée reste la chute de Bachar-Al-Assad et non pas la disparition de l’EI, preuve en est la tolérance de la Turquie à l’égard des passages de frontière incessants de combattants de l’EI ainsi que de son ravitaillement.

Cependant, la pression croissante de la coalition à l’encontre du président Erdogan, et le retournement des alliances dans la région, pourrait conduire la Turquie à revoir ses positions.

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