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Les relations russo-israéliennes : entre liens réels et intérêts bien compris (3/3)

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Dans un article précédent, nous avions vu que les divergences d’intérêts au Moyen-Orient entre la Russie et Israël, surtout sur le dossier iranien, posaient de sérieuses limites aux relations entre les deux pays. Pourtant, depuis les printemps arabes, une perception assez similaire des événements et de leurs conséquences rapproche indirectement les deux pays.

Bachar el-Assad : un allié de la Russie, un ennemi connu d'Israël
Bachar el-Assad : un allié de la Russie, un ennemi connu d’Israël

Très rapidement, ce qui apparaissait comme un « printemps arabe » aux yeux de l’Occident a été perçu comme un « hiver islamiste » à Tel-Aviv et Moscou. L’Etat hébreu, calquant sur les événements le modèle de la révolution iranienne, a rapidement fait comprendre son inquiétude quant à l’apparition de nouveaux régimes islamistes dans la région. Alors qu’Israël était en relative paix avec ses voisins, et que ces mêmes dirigeants arabes s’étaient progressivement accommodés à l’existence de l’Etat hébreu, l’apparition de nouveaux acteurs au pouvoir dans différents pays inquiète les Israéliens. Sans compter les espaces désormais sans contrôle et propices au développement du terrorisme, comme c’est le cas dans une partie de la Syrie et en Libye. Les armes circulant depuis la Libye (s’étant retrouvées pour certaines entre les mains du Hamas), la recrudescence des attentats dans le Sinaï a suffi à convaincre la majorité des Israéliens que les printemps arabes n’allaient pas contribuer à la sécurité d’Israël et à la stabilité de la région.

Les printemps arabes avaient tout pour rebuter Moscou : montée de l’islamisme politique dans des démocraties en construction, ingérences étrangères, perception d’un complot américano-sunnite. De plus, la « vexation libyenne » n’a pas incité les Russes à plus de coopération avec l’Occident sur les soubresauts politiques que traversait le Moyen-Orient. La phobie russe de l’islamisme politique, héritage de la guerre d’Afghanistan et des agitations musulmanes sur son propre territoire, a suffi à rendre Moscou d’autant plus réaliste dans sa diplomatie vis-à-vis des transformations du Moyen-Orient.

Les printemps arabes ont fait converger les diplomaties israélienne et russe: les deux pays préférant des gouvernements proclamant l’ordre et une forme de laïcité, plutôt que des régimes aux semblants démocratiques, dont les principaux groupes politiques seraient constitués d’islamistes.

Le cas syrien

La Syrie est ici un cas intéressant de convergence progressive entre Israéliens et Russes. La Russie, qui est depuis longtemps un fidèle allié de Damas, s’est rapidement engagée en faveur du régime des Assad. L’idée qu’un régime islamiste apparaisse à Damas n’est pas imaginable pour Moscou, la Syrie étant trop proche du Caucase et pouvant contribuer à l’agitation islamiste déjà existante dans la région. D’autres arguments, plus mineurs, peuvent être avancés pour justifier le soutien de Moscou au régime syrien : les facilités pour la marine russe à Tartous et Lattaquié, les achats syriens à l’industrie de défense russe, la part de diplomatie religieuse de Moscou. Le dossier syrien a permis de surcroît à la diplomatie russe de s’illustrer : une position réaliste sur l’avenir du pays, un rôle leader dans le transfert des armes chimiques, une position de médiateur entre les parties en conflit.

Pour les Israéliens, l’attitude à tenir vis-à-vis de la situation en Syrie relevait d’un choix plus complexe. Dans un premier temps, la guerre civile était perçue dans le sens des intérêts israéliens. En plus de reléguer au second plan de l’actualité la question de la Palestine, elle affaiblissait fortement l’axe Téhéran-Damas-Hezbollah, surtout l’acteur libanais dont l’engagement coûte cher aussi bien financièrement qu’humainement. Toutefois, si un régime islamiste venait à arriver au pouvoir à Damas, sous la bannière d’Al-Nostra ou de l’EI, l’Etat hébreu se retrouverait dans une situation sans doute pire sur le plan sécuritaire qu’avec le régime actuel. Bachar el-Assad a ce mérite : c’est un ennemi que l’on connait, avec qui Israël savait « communiquer ». Face à des groupes non-étatiques aux lignes stratégiques incertaines, le risque d’embrasement est bien plus grand. Le statu quo actuel sert les intérêts d’Israël, mais à long terme, un camp l’emportera. Deux options sont alors favorables à Israël : soit Damas reste entre les mains de la communauté alaouite, soit des modérés accèdent au pouvoir pour éviter qu’un groupe islamiste radical ne s’installe à la frontière israélienne.

Ayant chacun leurs intérêts propres au Moyen-Orient, Israël et la Russie ont pourtant rapidement partagé la même grille de lecture sur les printemps arabes. Le dossier syrien illustre cette convergence de vue, malgré des intérêts différents : ne pouvant soutenir Assad ouvertement, les Israéliens profitent discrètement sur l’activisme russe pour maintenir le régime syrien ou parvenir à un compromis politique sans groupes islamistes radicaux.

Il s’agira désormais de suivre si ces crises régionales vont contribuer à structurer encore plus les relations russo-israéliennes, ou si elles resteront insuffisantes tant que la question iranienne ne sera pas entendue entre les deux pays. L’évolution de la diplomatie iranienne suite aux accords, l’avenir du conflit en Syrie restent des inconnus, dont la Russie et Israël n’ont pas encore connaissance. A eux de voir s’ils souhaitent désormais interroger l’avenir du Moyen-Orient ensemble, pour une meilleure stabilité d’une région traditionnellement imprévisible.

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