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Arabie saoudite, une modernité à marche forcée ?

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En autorisant les femmes à conduire, l’Arabie saoudite soigne son image à l’international. Le décret royal du 26 septembre organise la disparition de l’exception saoudienne ;  dernier pays au monde à interdire aux femmes l’accès au volant.  Dans un contexte de crise économique et de tensions régionales cette mesure symbolique s’inscrit dans une vision globale de renouveau incarnée par le nouveau prince héritier. Le trentenaire Mohamed Ben Salman compte sur sa fougue pour faire avancer le royaume des deux mosquées sacrées sur le chemin de la modernité au risque d’adopter une attitude autoritaire.

Intrigues de palais et urgence de renouveau

Le vieux roi Salman a surpris le 21 juin dernier en nommant son septième fils comme nouveau prince héritier. En pleine crise diplomatique avec le Qatar, le jeune Mohammed Ben Salman (MBS) profite d’une ascension fulgurante. Pourtant, cette nomination ne fait que parachever une influence croissante. Populaire dans un royaume où plus de la moitié de la population a moins de 25 ans, MBS jouit d’un pouvoir sans commune mesure.

La modernité à marche forcée en Arabie Saoudite
Le jeune prince héritier Mohammed Ben Salman compte réformer l’Arabie Saoudite d’une main de fer

Plus de deux ans après l’accession au trône de son père il s’impose comme l’homme fort du pays en cumulant les responsabilités de ministre de la Défense, président du Conseil des affaires économiques et du développement ainsi que le poste de vice-Premier ministre. Une première dans le royaume wahhabite où clercs et membres de la famille royale ont toujours préféré  la tradition du débat respectueux des alliances tribales à la culture de l’homme providentiel. Entre opération de séduction internationale et regain d’autoritarisme en interne l’homme déclare s’adapter aux difficultés du moment. Cours du pétrole faible, croissance démographique, capital humain faiblement doté, contestation du leadership au sein du monde islamique, mauvaise image sur le plan des droits humains ; les défis sont nombreux et la méthode revendiquée est celle du volontarisme. Le statut dévolu à la femme concentre les enjeux du processus de modernisation d’où sa médiatisation. 

Vision 2030 : une ambition réformatrice assumée

Face à l’urgence de renouveau, MBS a annoncé publiquement son vaste projet intitulé Vision 2030 le 25 avril 2016. Ce projet repose sur 3 piliers : renforcer la place du royaume au cœur du monde arabo-islamique, en faire une place mondiale d’investissements et enfin développer une posture de hub géostratégique pour Riyad. Les réformes désirées se concentrent dès lors sur deux plans : la création d’une économie post-pétrolière et une meilleure allocation travail/capital humain. Dotée d’une économie dépendante à 90 % des ressources pétrolières le Bilad al-Tawhid doit faire face au défi de la transition. L’annonce de la privatisation partielle de Saudi Aramco – joyau national – incarne le volontarisme en la matière bien que des incertitudes continuent de peser sur l’opération. Il en est de même en politique étrangère où le jeune prince cherche à développer de nouveaux partenariats : le retour de la tentation isolationniste du grand frère américain pousse Mohammed Ben Salman à chercher de nouveaux appuis durables notamment auprès de la Chine avec laquelle des contrats à hauteur globale de 70 milliards de dollars ont été signés fin août.

On observe dès lors des similitudes avec la stratégie opérée par le Qatar avec le coup d’état libéral réalisé par Hamad Ben Khalifa Al-Thani à partir de 1995. Celui-ci avait surpris en donnant l’autorisation aux femmes de conduire et de voter aux élections. Il en va de même sur le plan économique où l’Arabie saoudite tente 20 ans plus tard de se conformer aux conseils des organisations internationales. Le rapport  Saudi Arabia : tackling emerging economic challenges to sustain strong growth publié en mars 2015 par le FMI posait déjà les jalons d’une véritable feuille de route que le projet 2030 reprend. La reconnaissance du droit des femmes s’affiche ici comme le corollaire immédiat de la modernisation d’une économie mono-sectorielle où l’État providence achète la paix sociale par d’importantes subventions. Les femmes saoudiennes ont ainsi pu pour la première fois participer à la fête nationale du 23 septembre dans l’enceinte du stade King Fahd. Pour autant, il serait déplacé d’analyser les récents événements comme les prémisses d’une révolution culturelle. La nouvelle élite – bien que nourrissant une haine profonde envers l’Islam politique – reste conservatrice.

Une modernité à marche forcée ?  

La modernisation saoudienne s’apparente bien plus à une stratégie de communication doublée de réformes économiques structurelles qu’à un aggiornamento profond. A cet égard, Riyad a récemment revu à la baisse les objectifs trop ambitieux de sa Vision 2030. L’exceptionnelle concentration des pouvoirs entre les mains du jeune prince est un sabre à double tranchant : comment réformer un Royaume pétri de culture tribale pour lui faire rattraper des décennies d’économie globalisée ? MBS fait le pari de l’autoritarisme éclairé malgré son manque d’expérience. Prêt à arrêter la guerre tant critiquée chez le voisin yéménite il ne peut toutefois pas se permettre de laisser grandir les voix dissonantes en interne au risque de compromettre sa légitimité. Les récentes vagues d’arrestations de prédicateurs et autres leaders de la société civile  donnent un avant-goût de la méthode : le prix de la modernité pourrait bien être le silence. Économie atone, complots internes et renversement de la géopolitique régionale au profit de l’Iran : ces trois peurs confortent le prince héritier du bien fondé d’une modernité à marche forcée.

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Yannis BOUSTANI

Diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, mention Droit économique spécialité Droit public économique. — — — Quis custodiet ipsos custodes ?

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