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Elections turques : le sultan Erdogan est-il menacé ?

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N’ayant pas réussi à obtenir la majorité absolue lors du scrutin du 7 Juin, le président Recep Tayyip Erdogan a décidé le 21 août la tenue d’élections législatives anticipées le 1er novembre. Une élection sous tension pour le président turc, dont le nombre d’ennemis ne cesse de s’accroitre. L’occasion pour les Yeux du Monde de revenir notamment sur son duel fratricide avec l’imam Fethullah Gülen.

La composition du parlement turc après les élections du 7 Juin 2015.
La composition du parlement turc après les élections du 7 Juin 2015.

Le mouvement Hizmet de Gülen est une organisation dont il est difficile de saisir la nature. Secte pour les uns, réseau pour d’autres, le mouvement Hizmet ressemble surtout à une organisation de patronage avec un corpus doctrinale proche de l’Islam conservateur. Le mouvement est très influent en Turquie à travers sa présence dans le monde des affaires, des médias et de l’éducation. La comparaison retenue est souvent celle des « jésuites de l’islam », préférant construire des écoles que des mosquées avec un rapport décomplexé de l’Islam à la modernité.

Gülen et Erdogan ont pourtant été alliés pendant une certaine période, de 2002 à 2013. L’alliance des deux hommes avait pour but de briser l’hégémonie kémaliste sur la politique turque et contrecarrer l’influence de l’armée sur les institutions. L’armée a été mise au pas, l’AKP est devenu le parti politique le plus puissant et le mouvement de Gülen a pu investir les structures étatiques (justice, éducation, police). Mais depuis trois ans, on observe une dérive autoritaire de plus en forte par le régime d’Erdogan. Ne supportant plus les critiques, la convergence d’intérêt avec Gülen ne suffisait plus pour cacher leur divergence. Une série de critiques publiques par Gülen, de scandales dénoncés par des supposés proches du mouvement Hizmet ont rompu l’alliance entre les deux hommes. Aujourd’hui, Gülen vit en exil aux Etats-Unis, poursuivi par la justice turque pour avoir « crée et dirigé une organisation terroriste » et avoir tenté de « renverser par la force et la violence la République turque ».

Toutefois, l’influence de Gülen est encore importante. Le mouvement use notamment beaucoup des médias pour critiquer la dérive autoritaire d’Erdogan, qui en cherchant à les museler ne fait que ressortir son côté antidémocratique. Dans une Turquie vivant un début de recomposition politique, l’Hizmet utilise tous ses leviers d’influence dans l’élection pour éviter un nouveau succès à Erdogan.

Un climat politique intérieur de plus en plus délétère

Pour la première fois en Juin, Les électeurs turcs ont sanctionné Erdogan pour sa volonté de présidentialisation du régime. Cette sanction reste relative, l’AKP restant le premier parti politique du pays représentant environ 40% de l’électorat. Le président Erdogan n’a donc pas renoncer à son ambition de modifier la constitution et compte sur l’élection de Novembre pour lui donner la majorité absolue. Son refus de constituer un gouvernement de coalition a réussi à unifier les trois principaux partis d’opposition contre lui, qui souhaitent notamment que des enquêtes soient ouvertes sur des affaires de corruption touchant les proches d’Erdogan. Toutefois, la position anti-Erdogan ne constitue pas un programme et ne devrait pas suffire pour permettre à l’opposition de remporter l’élection.

Pour le moment, la stratégie d’Erdogan pour obtenir la majorité absolue semble vouée à l’échec. Malgré sa politique intransigeante pour raviver l’électorat nationaliste et son discours à forte tonalité religieuse pour séduire les Kurdes conservateurs, les sondages indiquent que les élections donneront le même résultat qu’en Juin, voire une légère augmentation du CHP (parti républicain du peuple, à tendance social-démocrate) et du HDP. En effet, cette stratégie de tension est à double tranchant : si elle attire les nationalistes, une partie de la population le considère comme responsable de l’accroissement des tensions et des violences dont le pays est victime. De plus, les turcs sont attachés au parlementarisme qu’Erdogan cherche à malmener.

Le pays devrait donc se retrouver dans la même impasse qu’en Juin dernier. Reste à savoir comment se dérouleront les élections : les autorités ont annoncé qu’elles fermeraient ou déplaceraient des bureaux de vote, ce qui ternirait fortement l’aspect démocratique des élections. La Turquie étant considéré depuis plusieurs années comme un exemple de de pays musulman républicain et laïque, Recep Tayyip Erdogan devra faire un choix le 1er Novembre prochain : confirmer que la Turquie est bien une démocratie ou l’enfoncer dans la dérive autoritaire qui la guette depuis quelques années.

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