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« Guerre froide » irano-saoudienne au Liban

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La démission de Saad Hariri, annoncée depuis l’Arabie Saoudite le 4 novembre dernier, ouvre une nouvelle période d’incertitude pour le Liban, sur fond de confrontation musclée entre Téhéran et Riyad pour la suprématie régionale. L’accession de Michel Aoun à la présidence de la République, en octobre 2016, et le retour de Hariri au poste de Premier ministre dans la foulée semblaient avoir sorti le Pays des Cèdres de la crise institutionnelle dans laquelle il était jusqu’alors plongé. Cependant, cette solution en trompe l’œil peina à masquer une ligne de fracture pérenne entre le Hezbollah chiite, soutien de Michel Aoun et allié de l’Iran, et un Premier ministre sunnite très proche de l’Arabie saoudite.

La démission de Saad Hariri illustre la montée des tensions entre l’Iran et l’Arabie saoudite et pose question quant à l’avenir du pays

Une démission sous tension

Nombreuses sont les zones d’ombre qui entourent la décision de Saad Hariri. Lors de son allocution télévisée sur la chaine Al-Arabiya, ce dernier a avoué craindre pour sa vie tout en dénonçant la « mainmise et l’ingérence de Téhéran » dans les affaires libanaises via le Hezbollah[1]. Dans le même temps, le ministre des Affaires du Golfe saoudien, Thamer Al-Sabhan, a lancé plusieurs attaques virulentes contre le Parti de Dieu, demandant au Liban de se défaire de son influence sous peine d’être « traité comme un gouvernement déclarant la guerre à l’Arabie saoudite ». En face, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a accusé l’Arabie saoudite d’avoir contraint M. Hariri à la démission et de le retenir contre son gré au sein du royaume. Six jours après son annonce, alors que la classe politique libanaise s’accorde majoritairement pour attendre que le Premier ministre vienne présenter sa démission dans les règles afin qu’elle devienne effective[2], Saad Hariri n’est toujours pas rentré au Liban.

Guerre froide irano-saoudienne au Liban

Tandis que le régime syrien de Bachar El-Assad a survécu au challenge de la guerre civile et à la menace des rebelles supportés par l’Arabie saoudite, le prince héritier saoudien, Mohammad ben Salmane (dit MBS), semble chercher à déplacer la confrontation par procuration avec l’Iran sur le théâtre libanais. Lors de l’élection de Michel Aoun, appuyée par un fort soutien du Hezbollah, le retour de Saad Hariri au gouvernement a surpris plus d’un observateur [3] et posé la question des intérêts véritables en jeu derrière le Premier ministre, supporté par le royaume saoudien. Hariri a rapidement pris conscience des limites de son pouvoir au sein du régime Aoun, subissant plusieurs revers. Aujourd’hui, sa démission souligne la recrudescence des tensions entre Téhéran et Riyad. Hariri apparaît comme le levier sur lequel le royaume a joué afin d’affaiblir un régime politique dominé par le Parti de Dieu et dans l’espoir de limiter à l’avenir son influence. L’Arabie saoudite espère tirer son épingle du jeu dans la future et souhaitée crise politique libanaise. Après la « nuit des longs couteaux » saoudienne, MBS réaffirme sa détermination, alimentant une escalade aux conséquences incertaines. Le 9 novembre, Riyad a ainsi recommandé à ses ressortissants de quitter le Liban[4].  Prémices d’une action à venir ?

Alors que l’Iran et l’Arabie saoudite se confrontent déjà en Syrie et au Yémen, la « guerre froide » irano-saoudienne semble donc prendre une nouvelle tournure au Liban et soulève plusieurs questions sur la capacité du pays à gérer cette nouvelle crise. Donald Trump, en réitérant un soutien sans faille à MBS[5], semble apporter sa bénédiction à une coalition israélo-saoudienne pour contrer l’influence grandissante de l’Iran et du Hezbollah dans la région.

[1] Nicolas FALEZ, La démission de Saad Hariri, nouvel épisode de la « guerre froide » Téhéran-Riyad, RFI, 6 Novembre 2017

[2] Yara ABI ALK, Michel Aoun et le mufti de la République devraient poursuivre aujourd’hui leurs concertations politiques élargies, L’Orient Le Jour, 9 Novembre 2017

[3] Daniel SHAPIRO, Is Saudi Arabia Pushing Israel Into War With Hezbollah and Iran ?,  Middle East News, November 7 2017

[4] L’Arabie saoudite recommande à ses ressortissants de quitter le Liban, Le Monde, 9 Novembre 2017

[5] Interview de Walid PHARES, Anne-Marie El-Hage, Trump a lancé une vaste coalition arabe pour contrer l’expansionnisme de l’Iran et du Hezbollah dans la région, L’Orient Le Jour, 8 Novembre 2017

Les Enjeux internationaux par Xavier Martinet, avec Karim Emile BITAR, Liban. Après la démission du Premier ministre qui a fui le pays Le pays sera-t-il au centre d’une nouvelle « guerre des axes » ?, France Culture, 8 Novembre 2017

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