ActualitésAsie du SudAsie et OcéanieIndeProche et Moyen-Orient

Chabahar, le port indien en Iran

Shares

Jeudi 15 février, le Président iranien Hassan Rohani s’est rendu à Hyderabad, en Inde, rencontrer le Premier ministre Narendra Modi. Une rencontre qui a remis sur le devant de la scène le développement conjoint du port de Chabahar, en Iran.

Iran-Pakistan-Inde, des alliances changeantes

Narendra Modi et Hassan Rohani

Durant la Guerre froide, l’Iran du Shah est pro-américain, et coopère avec Islamabad notamment sur la question baloutche, un peuple à cheval sur les deux frontières qui réclame l’autonomie ou l’indépendance. Les relations avec l’Inde sont donc plutôt tendues, surtout lorsque New Delhi favorise la partition pakistano-bengalie, donnant naissance au Bangladesh en 1973. Le risque de soutien à d’autre causes indépendantistes à ses frontières, ou au sein de ses frontières, inquiète Téhéran. Avec la révolution islamique, l’Inde tiers-mondiste et l’Iran révolutionnaire trouvent des terrains d’ententes et les relations s’améliorent. Dès les années 2000, New Delhi commence un projet en Iran : le développement d’un port dans la ville de Chabahar, dans le Baloutchistan iranien.

La route de la soie indienne

Alors que la Chine développe sa Belt and Road Initiative, l’Inde a ses propres projets pour la région que l’on appelle communément « route de la soie ». New Delhi a de nombreuses raisons de se développer dans son occident, à commencer par sa rivalité avec son voisin pakistanais. Il est nécessaire pour l’Inde d’avoir des soutiens en Asie centrale, pour prendre à revers l’ennemi traditionnel. Les multiples guerres en Afghanistan, l’implication du Pakistan dans la reprise du conflit du Kashmir et les indépendances centre-asiatiques sont trois raisons qui ont poussé l’Inde à voir vers l’ouest. Le développement d’une base militaire indienne au Tadjikistan dans la décennie 1990 et la recherche de routes pour acheminer le gaz turkmène vers l’Inde sont deux volets de cette stratégie indienne, le port de Chabahar en est un troisième. Pour New Delhi, l’intérêt de ce port est de contourner le rival pakistanais et de relier directement Mumbai et le Gujarat à l’Iran par voie maritime. C’est également la possibilité d’avoir un débouché dans l’océan Indien pour les pays d’Asie centrale et en particulier l’Afghanistan. Ainsi, l’Inde créé sa propre route vers l’Asie centrale, permettant de soustraire l’Afghanistan à l’influence pakistanaise, et court-circuitant la Belt and Road Initiative chinoise. En effet, le port de Chabahar se trouve tout proche de celui de Gwadar, dans le Baloutchistan pakistanais, dont le développement est opéré par Pékin. Gwadar a pour fonction future de devenir le débouché chinois dans l’océan Indien ; Chabahar devient ainsi son concurrent direct.

L’océan Indien au cœur des rivalités

L’océan Indien est également un enjeu stratégique pour les grandes puissances eurasiatiques. Il est vital pour les importations et exportations chinoises vers l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Europe. New Delhi le perçoit comme sa chasse gardée. C’est pourquoi les deux Etats ont eu des approches différentes envers différents pays : l’Inde s’est opposée à la dictature birmane et a soutenu les Tigres Tamouls au Sri Lanka, deux stratégies qui se sont avérées être des échecs. La Chine, à l’inverse, compte parmi ses soutiens les deux Etats en question, auxquels on peut ajouter le Pakistan, et une base militaire à Djibouti. C’est pourquoi l’Inde a aujourd’hui besoin de renforcer son influence dans l’océan Indien face à l’expansion chinoise qu’elle perçoit comme une menace. Le port de Chabahar s’inscrit entièrement dans cette stratégie.

Pour l’Iran, l’intérêt du port n’est pas moins important. Il permet l’intégration de l’Asie centrale à ses provinces orientales du Khorasan et du Sistan va Baloutchistan, bien moins développées que son occident. C’est également l’opportunité de se développer dans l’océan Indien, où Teheran n’a jamais été totalement absent. Par exemple, lors de la guerre du Dhofar à Oman, le Shah à envoyé des troupes. Chabahar peut également devenir la porte d’une route intérieure pour favoriser les exportations maritimes iraniennes tout en contournant le golfe persique et le détroit d’Ormuz. C’est enfin l’un des symboles du retour de l’Iran sur la scène internationale. Alors que les sanctions ne sont pas toutes levées, l’Inde commence ses investissements dans le port de Chabahar dès 2015, ce qui signifie une grande victoire pour Téhéran, et Rohani en particulier.

Pourtant, Chabahar, tout comme Gwadar, sont dans cette région déshéritée du Baloutchistan et qui connait des mouvements insurrectionnels en Iran et surtout au Pakistan. Le développement de ces ports peut être une opportunité pour dynamiser ces régions oubliées, mais il comporte le risque de devenir la cible de groupes insurgés baloutches. La pacification du Baloutchistan est donc une nécessité tant pour Islamabad que pour Téhéran, tant pour les projets chinois qu’indiens.

Shares

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *