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Colombie : le processus de paix au coeur des élections présidentielles

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Dimanche 25 mai 2014 se déroulaient les élections européennes et ukrainiennes, largement médiatisées en France. Dans l’ombre, un autre scrutin avait lieu : le 1er tour des élections présidentielles colombiennes. Le processus de paix entre l’État colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) est placé au centre du débat électoral. Pourtant, la majorité de la population colombienne ne le considère pas comme une priorité absolue à donner à la politique de leur prochain président, malgré les 220 000 morts causées par le conflit en un demi-siècle. Historiquement, aucun processus de paix entre les FARC et la Colombie n’a été aussi avancé. Le prochain mandat présidentiel colombien sera-t-il celui de la paix et de la réconciliation ?

L’avant-veille du 50ème anniversaire des FARC (mardi 27 mai 2014), les résultats du 1er tour des élections présidentielles colombiennes s’affichaient sur les écrans de Bogota : léger avantage au challenger Oscar Ivan Zuluaga (29,25% des voix) face au président sortant, ancien ministre de la Défense au sein de l’administration Uribe, Juan Manuel Santos (25,69%). Santos fut soutenu par Alvaro Uribe pour son élection en 2010. Aujourd’hui, Uribe est devenu son adversaire et soutient désormais son opposant, M. Zuluaga.

Le 2nd tour des élections est prévu pour le 15 juin. Le président Santos, en retard au 1er tour, espère bénéficier du report des voix des électeurs de la gauche et des écologistes en agitant le spectre du retour d’Uribe aux commandes, à travers son favori : Zuluaga. Ce dernier compte davantage sur sa capacité à convaincre les nombreux abstentionnistes du 1er tour (60% des électeurs).

La question des FARC est au cœur de la campagne électorale. Elle est largement instrumentalisée par les deux camps et donne son identité à chacun des adversaires. Oscar Ivan Zuluaga s’inscrit dans la lignée d’Uribe (droite dure), le grand artisan de la contre-insurrection qui a fait reculer et a affaibli les FARC de 2002 à 2010. Il est le partisan de la guerre sans merci contre les FARC, du refus de la négociation tant que les FARC ne rendent pas les armes et de leur emprisonnement. Juan Manuel Santos (centre-droit) adopte une méthode plus souple : celle du processus de paix engagé depuis un an et demi avec les FARC. Zuluaga accuse le candidat Santos de trahison à la patrie puisqu’il accepte de discuter avec des criminels et des terroristes. Santos rétorque qu’il est le « candidat de la fin de la guerre et non celui de la guerre sans fin ».

Pendant ce temps, les pourparlers, engagés à l’initiative du président Santos le 15 octobre 2012 à Oslo, se poursuivent à la Havane ; la Norvège et Cuba étant les médiateurs des parties présentes. Il s’agit de la 4ème tentative de négociations après des échecs répétés. Le processus de paix comprend 6 points : 3 accords ont été trouvés dont le dernier concernant la lutte contre le narcotrafic (le 16 mai dernier). Cet accord est trouvé dans un timing parfait (à 9 jours du 1er des tour des élections) et renforce la candidature du président sortant Santos.

Les deux précédents accords concernent la nécessité d’une réforme agraire et la réintégration des rebelles dans la vie politique (nouveau paysage politique colombien avec une extrême-gauche normalisée et donc un « parti FARC »). À mi-parcours, un retour en arrière devient peu probable. Les 3 prochains points à débattre sont le dédommagement aux victimes de la guerre civile, la fin effective du conflit et les modalités d’un accord de paix final. Une menace plane tout de même sur la continuation des négociations à La Havane : Oscar Ivan Zuluaga.

Le processus de paix, placé au cœur de l’élection, rend cette échéance primordiale. On peut distinguer 3 échelles d’analyse en cas de succès des négociations : locale, nationale et régionale.

À l’échelle locale, il s’agirait de l’amélioration des conditions de vie des populations rurales en termes d’accès à l’éducation, aux soins et aux services de base. Fin du recrutement d’enfants-soldats dans les campagnes, fin des extorsions et des vols de bétails (piliers du financement des FARC devant le narcotrafic). Les villes ne seront plus assiégées (fin des couvre-feux).

À l’échelle nationale, cela représenterait un bouleversement politique (fin de la contre-insurrection au centre des programmes politiques mais lutte contre le narcotrafic à poursuivre), accompagné d’une normalisation et d’une réintégration des FARC dans la vie politique, d’un équilibre à trouver entre justice et pardon pour relancer le pays et unifier la nation. Il s’agirait alors de sécuriser le pays et de réorienter l’économie.

À l’échelle régionale, 2 scenarii possibles : une réduction du narcotrafic entraînerait un apaisement régional et un assainissement des relations avec les États limitrophes (Venezuela en tête). Au contraire, un double phénomène d’amplification/déplacement du narcotrafic provoquerait une montée des tensions internationales. Quoiqu’il en soit, la fin de la guerilla constituerait, en termes de soft power, une aubaine pour la Colombie. Elle renverrait une image positive dans le monde et son économie pourrait bénéficier d’une augmentation du tourisme.

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Rémy SABATHIE

Secrétaire général et rédacteur géopolitique pour Les Yeux du Monde, Rémy Sabathié est analyste en stratégie internationale et en cybercriminalité. Il est diplômé de géopolitique, de géoéconomie et d’intelligence stratégique.

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