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Relation Argentine-Atlantique : « c’est compliqué »

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Le 15 novembre, le sous-marin argentin ARA San Juan aurait coulé suite à une avarie ayant entraîné une explosion. A son bord se trouvaient 43 hommes et la première sous-marinière latino-américaine. Après deux semaines de recherches infructueuses et de communication désastreuse, les recherches de survivants sont arrêtées. 

Petit historique d’une perte de contrôle

Durant la deuxième moitié du XXe siècle, l’Argentine est déchirée entre partisans et opposants à Perón. Durant cette période, la Marine est le principal fief anti-péroniste, celui qui va activement participer aux actions militaires visant à l’instauration d’un gouvernement qui interdirait le péronisme. Cependant, ses multiples interventions lui causent des pertes matérielles et ses opposants politiques ne ratent pas une occasion de lui imposer des restrictions budgétaires. Conséquence directe de cet affaiblissement, l’Argentine contrôle de moins en moins son territoire maritime. Ainsi en 1960, deux sous-marins inconnus parviennent à échapper à l’Armada alors qu’ils étaient cernés dans un golfe minuscule. Vingt-deux ans plus tard, lors de la guerre des Malouines, un sous-marin britannique met la marine argentine en échec, confirmant que cette prestigieuse Armada n’est plus la force qu’elle était auparavant. Par deux fois, des sous-marins ont marqué la perte de contrôle maritime de l’Argentine, la disparition du ARA San Juan en serait-elle une nouvelle démonstration ?

L’amour vache de l’Argentine pour son Océan

Malgré ses 5000 kms de côtes, plus d’1 millions de kms² de ZEE et ses revendications sur les Malouines, l’Argentine délaisse ce qui pourrait être une corne d’abondance. Dans sa ZEE, on trouve d’importantes ressources pétrolières, halieutiques et hydroélectriques, mais elles sont toutes sous-exploitées voire délaissées. Les raisons à cela sont multiples. Géopolitique d’abord, on préfère ne pas exploiter son pétrole plutôt qu’il soit exploité par une autre puissance, vieil héritage d’un péronisme anti-impérialiste aujourd’hui remis en cause. Culturelle aussi, le poisson est encore aujourd’hui perçu comme impropre à la consommation, on ne pêche donc que des crustacés pour les exporter, délaissant par la même de nombreuses autres ressources halieutiques. Politique enfin, les marées dans certains golfes pourraient être exploitées par des infrastructures hydroélectriques et produire énormément d’électricité, mais les priorités politiques sont ailleurs dans ce pays économiquement très affecté.

La Marine quant à elle est très prestigieuse dans la culture nationale, mais elle n’a peut-être pas les moyens de sa grandeur. La communication de l’Armada sur l’affaire ARA San Juan a été une suite d’accusations des mauvaises conditions météorologiques pour expliquer le naufrage et l’infructuosité des recherches. Mais ces explications sont égratignées par l’absence de balises météorologiques argentines dans l’Atlantique. Officieusement, on parle d’une absence totale d’entretien des batteries du sous-marin, et ce malgré les avertissements répétés des mécaniciens.

Mais « la faute au climat » a l’avantage de stigmatiser le destin tout en déculpabilisant un système déjà très critiqué. En effet, les défaillances administratives et le manque de moyen de l’Armée ont déjà provoqué des crashs d’avions en exercice et des naufrages de navires amarrés. Le ARA San Juan a été remis à neuf il y a quelques années, mais de nombreux rapports ont alerté sur les irrégularités des réparations. Enfin, l’Argentine a suspendu la livraison de 4 navires patrouilleurs français deux mois avant la tragédie car la France lui est défavorable dans les négociations commerciales entre le MERCOSUR et l’Union Européenne.

Epilogue ou prologue de la stratégie maritime argentine ?

Aujourd’hui, plusieurs pays ont joint leurs efforts dans les recherches du sous-marin, dont certains peut-être avec l’ambition de faire de l’espionnage technologique. Pendant ce temps, l’Argentine fait son deuil au milieu de médias sensationnalistes. Cependant, cette tragédie nationale est peut-être l’électrochoc qui entraînera le renouveau de l’Armada et de la politique maritime argentine. Le président Macri veut affirmer son pays comme une puissance régionale voire mondiale. Sur le plan militaire, il rééquipe actuellement les forces armées argentines qui sont à moderniser, si ce n’est à reconstituer. D’un autre côté, Mauricio Macri veut ouvrir son pays au commerce mondial, et cette ouverture passera nécessairement par les transports maritimes. Mais le port de Buenos Aires est de plus en plus difficile d’accès, la faute à un fleuve qui s’englue de pollution et de sédiments. Il faudra donc trouver une nouvelle porte d’entrée maritime, mais aucune ville littorale ne peut actuellement remplir cette fonction. Soit elles sont trop touristiques, soient elles sont trop loin des pôles économiques du pays. Par conséquent tout est à construire, ou plutôt à reconstruire, mais les coûts seront énormes. Alors, l’Argentine va-t-elle investir dans une nouvelle flotte et une nouvelle politique maritime, ou va-t-elle rester le pays de la Pampa ?

 

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