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CIA et FSB : derrière la coopération fructueuse à Saint-Pétersbourg, des relations compliquées

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Ce dimanche 17 décembre, Vladimir Poutine a remercié Donald Trump par téléphone, félicitant son homologue et la CIA pour avoir fourni des documents au FSB qui ont permis de déjouer un projet d’attentat à Saint-Pétersbourg.  Si le président américain s’est félicité de cette coopération et semble vouloir entretenir de bons rapports avec le leader russe, cet événement n’est néanmoins pas représentatif des réelles relations entre Moscou et Washington, bien plus complexes et bien moins cordiales.

Vladimir Poutine a remercié Donald Trump.

Les attaques étaient programmées pour le 16 décembre. L’emblématique cathédrale orthodoxe Notre-Dame-de-Kazan et d’autres lieux fréquentés de Saint-Pétersbourg avaient été choisis pour des attentats par un groupe de l’organisation terroriste Daech. La seconde ville de Russie a heureusement été épargnée grâce à la transmission de documents au FSB[1] par la CIA[2], permettant le démantèlement de la cellule terroriste – sept personnes ont été interpellées. Des armes, des substances explosives et des livres à contenu extrémiste ont été saisis. Dimanche 17 décembre, le président russe Vladimir Poutine a donc remercié son homologue américain (photo ci-dessus) et les services de la CIA par téléphone. Donald Trump a qualifié « d’exemplaire » cette coopération en matière de lutte contre le terrorisme.

Trump et Poutine vs. USA et Russie : deux échelles de rapports à différencier

Les rapports entre les deux présidents, bien qu’ils ne se soient rencontrés[3] qu’une seule fois lors du G20 à Hambourg en juillet dernier, sont au beau fixe. La donne est différente au sein des rapports russo-américains au sens étatique, et freine irrémédiablement l’engouement de Donald Trump. Au-delà des tensions historiques, les accusations vis-à-vis de la Russie par le FBI d’avoir interféré dans la campagne présidentielle américaine ont ravivé l’hostilité déjà présente, et rendu tout lien russe indésirable au sein des hautes institutions des États-Unis. Le président américain, qui devait représenter un renouveau dans les rapports entre Moscou et Washington, doit donc faire preuve de prudence dans sa coopération avec Vladimir Poutine, niant toute intervention russe durant sa campagne et devant adhérer à la mouvance nationale, tant institutionnelle que populaire, pour conserver sa légitimité.

La publication récente de la National Security Strategy[4] confirme cette ambivalence. Présenté en début de semaine au Congrès américain et aux citoyens, ce rapport est délivré annuellement par le président des États-Unis et mentionne clairement la Russie comme faisant partie des pays réprimant les libertés et la démocratie, dans le but de déplacer les équilibres de puissances en leur faveur. Il ajoute que la Fédération de Russie, au même titre que la Chine, souhaite « façonner un monde antithétique aux valeurs et intérêts américains ».

Le dossier syrien est également source de divergences profondes entre les deux puissances, dont un des points chauds avait été atteint en avril dernier lorsque Moscou avait vivement condamné les frappes américaines contre le régime Assad, ce dernier ayant été accusé d’avoir mené une attaque chimique contre sa population. Un incident loin d’être isolé qui démontre une fragile coopération en matière de sécurité, gangrenée par une concurrence historique, globale, et par des visions fondamentalement différentes en termes de modèles. En revanche, les visions personnelles de Donald Trump et de Vladimir Poutine sont bien moins opposées que les pays qu’ils représentent. Le Kremlin a par exemple réagi au contenu de la NSS, cela était inévitable – mais de manière modérée en précisant qu’il existait toutefois des éléments positifs dans le rapport – alors que Vladimir Poutine ne s’est pas exprimé personnellement, ce qui est révélateur. Selon l’usage que feront les leaders de ces ambivalences, ils pourraient créer un mince mais réel réchauffement des relations russo-américaines ou au contraire perdre en légitimité, particulièrement du côté des États-Unis. Les dossiers en cours, et notamment celui de l’ingérence russe mettant directement en cause la crédibilité de Trump, rendent l’exercice délicat. Si la coopération fructueuse entre CIA et FSB est bien évidemment positive compte-tenu du drame qu’elle a évité, elle n’est donc pas représentative des rapports actuels entre les deux administrations.

[1] Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie, le service secret russe chargé de la sécurité intérieure, créé en 1995 et considéré comme le successeur du KGB.

[2] Central Intelligence Agency, l’agence centrale de renseignement américaine.

[3] Les deux présidents se sont également croisés au sommet de l’Apec en novembre, au Vietnam, mais la rencontre informelle initialement prévue n’avait pu avoir lieu.

[4] https://www.whitehouse.gov/wp-content/uploads/2017/12/NSS-Final-12-18-2017-0905.pdf

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Jessy PÉRIÉ

Diplômée d'un Master 2 en Géopolitique et prospective à l'IRIS, Jessy Périé est analyste géopolitique et journaliste, spécialisée sur la zone Asie orientale. Elle s'intéresse particulièrement aux questions de politique extérieure chinoise et japonaise.

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