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Recours au FMI : l’Argentine face à ses vieux démons

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Quand le président argentin Mauricio Macri a annoncé le 8 mai dernier demander l’aide du FMI, pour éviter à son pays une nouvelle crise, on a eu comme une impression de déjà-vu. Cela pourrait s’avérer un exercice dangereux car, pour beaucoup d’Argentins, le FMI est étroitement associé à la crise financière, monétaire, économique et sociale extrêmement dure que le pays a traversé entre 1999 et 2002. Les programmes encouragés par le FMI avaient, en effet, provoqué une grogne sociale sans précédent.

Christine Lagarde et Mauricio Macri à Buenos Aires

En 2015, Mauricio Macri a été élu président, sur un programme libéral tranchant avec les politiques de ses prédécesseurs, les époux Kirchner : réduction des dépenses publiques, rationalisation des politiques fiscale et sociale, réforme institutionnelle. Malgré l’opposition des syndicats et d’une partie de la population, le gouvernement Macri est parvenu à imposer un taux de change flexible, la levée des limitations aux exportations et la suppression de subventions. Si ces mesures drastiques ont d’abord provoqué une récession en 2016, elles ont ensuite permis un retour à une croissance solide, sans toutefois parvenir à réduire sensiblement l’inflation (25%).

Une crise monétaire alarmante

Toutefois, la donne a brusquement changé début 2018. Avec la remontée du dollar et les taux pratiqués par la Fed aux États-Unis, les marchés émergents sont devenus des placements moins attractifs. A ceci s’est ajoutée la crainte que l’Argentine revoie à la baisse ses objectifs d’inflation pour 2018, provoquant une dégringolade de 25% du peso face au dollar depuis janvier dernier. Étant donné que l’Argentine finance largement ses déficits public et privé sur les marchés internationaux (64% de ces déficits sont en dollars contre 16% pour le Brésil voisin), et que son déficit commercial est également libellé en dollar, cela a fortement alourdi le service de la dette. L’introduction de taux d’intérêt à 40% et la vente massive de dollars par la banque centrale argentine n’ont pas suffi à arrêter la spirale dépréciative. Face au risque de manque de liquidités, le gouvernement Macri a fait le choix, somme toute logique, d’en appeler au FMI. Il devrait ainsi obtenir un « stand-by agreement » qui assurerait à l’Argentine une ligne de crédit de 30 milliards de dollars en échange d’un approfondissement de son agenda de réformes.

Une vision biaisée du FMI

Cette décision rappelle à nombre d’Argentins la situation du début des années 2000. A l’époque, en échange de financements de la part du FMI, l’Argentine avait dû adopter des réformes sociales extrêmement impopulaires. Parmi ces dernières, il y a notamment eu la privatisation de la sécurité sociale, la baisse massive des dépenses publiques, ou encore la libéralisation de la législation du travail. Finalement, le pays avait fait défaut sur sa dette à hauteur de 82 milliards de dollars en 2002, un record historique. Les Argentins l’avaient payé au prix fort : corralito (blocage des retraits bancaires), taux de pauvreté atteignant 57% en 2002 et faillite politique (4 présidents en une semaine fin 2001).

Pourtant, si les Argentins associent souvent leurs déboires économiques et sociaux au FMI, ce dernier n’avait, en réalité, fait qu’entériner et accompagner une politique monétaire décidée en Argentine et très populaire : la convertibilité dollar du peso. Or, cette politique nécessitait des réserves importantes de dollar pour assurer l’équilibre monétaire. C’est davantage la structure sociale de l’Argentine qui pose problème. Pendant des décennies, aucun des acteurs importants –  propriétaires terriens, grande bourgeoisie, syndicats – n’a eu intérêt à une politique monétaire rigoureuse, tandis que les défauts (8 depuis 1816) s’avéraient des opérations très avantageuses, comme le montre la forte croissance après 2003. La situation relativement saine des autres pays émergents montre que les problèmes de l’Argentine sont avant tout endogènes.

Les craintes à l’égard du FMI ne sont pas nécessairement justifiées du fait de l’inflexion des politiques libérales dites du consensus de Washington depuis les années 2010. Toutefois, ne pas prendre en compte les craintes des électeurs (75% sont opposés au recours au FMI) pourrait coûter politiquement très cher à un gouvernement jusque-là relativement populaire.

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