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nEUROn, le drone européen

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Ukraine, Syrie, Irak, Afghanistan, Pakistan, Somalie, Libye, Mali, Centrafrique… Les zones grises se multiplient à la surface du globe terrestre. Certains acteurs y trouvent leur compte : terroristes djihadistes, mafias, crime organisé, seigneurs de guerre et trafiquants se retrouvent dans leur élément : les zones de non-droit, propices aux guerres asymétriques et irrégulières. Dans ce contexte, les moyens militaires traditionnels de l’État se révèlent inadaptés pour lutter contre l’établissement et l’extension de ces zones grises, situées dans des environnements souvent difficiles d’accès. Pour lutter contre ces (nouvelles) menaces et mener à bien les contre-insurrections, les États cherchent à moderniser leurs arsenaux. Ainsi le drone de combat apparaît-il comme un outil militaire et stratégique indispensable aux forces armées au XXIème siècle.

En 2003, le projet de construction d’un démonstrateur technologique d’avion de combat furtif sans pilote est lancé à l’initiative de la France. Baptisé nEUROn, il s’agit donc d’un prototype, le précurseur d’une nouvelle génération d’avions de combat qui sera composée de drones européens ; nEUROn n’étant pas conçu pour être développé en série. Ce programme est avant tout européen puisque la France a été rejointe par ces partenaires continentaux. Le développement de nEUROn s’organise autour d’un décideur français (la Délégation générale de l’armement), d’un maître d’œuvre français également (Dassault Aviation) ainsi que de gouvernements et industriels européens (Italie avec Alenia, Suède avec SAAB, EADS-CASA pour l’Espagne, Hellenic Aerospace Industry pour la Grèce et RUAG pour la Suisse).

nEUROn représente le symbole du succès de la coopération européenne, le fruit de la collaboration du fleuron industriel européen. La diversité des acteurs garantit une répartition des financements tout en assurant un niveau d’expertise optimal et en tirant profit des niches européennes existantes en matière de technologie de pointe. Le coût de l’opération est environ 10 fois moins cher qu’une construction américaine de même ordre.

Les raisons de ce projet sont triples : développer des technologies stratégiques, maintenir des pôles d’excellence industriels et technologiques européens et donner du grain à moudre aux bureaux d’études européens afin qu’ils continuent à développer leur savoir-faire et leurs compétences ; la priorité demeure de conserver les forces vives et les cerveaux européens et de tirer de cet atout non négligeable un avantage stratégique.

Il existe aussi une véritable volonté de rattrapage du retard européen dans le domaine de la robotisation des forces armées et des UCAV (Unmanned Combat Air Vehicles ou drones) par rapport aux États-Unis et à Israël (dans une moindre mesure) qui possèdent dans ce domaine une avance stratégique considérable.

En effet, la France s’est brutalement rendue compte de son retard technologique dans le domaine des drones lors de l’opération Serval au Mali. Les 2 drones Harfangs (drones israëliens Heron francisés par EADS) dont l’armée française disposait sur le théâtre d’opérations étaient vieillissants et insuffisants. La France a donc dû faire appel à l’armée américaine et à ses drones pour pallier son déficit de renseignement. Il s’en suit une commande du ministère français de la Défense de 2 drones américains de type Reaper, construits par General Atomics. Les armées européennes accusent un déficit flagrant en engins pilotables à distance. Faut-il rappeler qu’en 2003, les drones américains se distinguent déjà par leur redoutable efficacité sur les fronts afghan et irakien. Les pilotes français de drones sont d’ailleurs formés aux États-Unis.

L’objectif majeur du nEUROn consiste à effectuer diverses opérations (détection, localisation et reconnaissance de cibles au sol, furtivité du drone et tirs) afin d’acquérir et valider un savoir-faire européen en matière de commandement, de contrôle et de technologie, appliqué aux drones. Le 1er décembre 2012, nEUROn volait pour la première fois. En mars 2014, il opérait une prouesse technologique inégalée à l’heure actuelle en participant à un vol en formation avec un Falcon et un Rafale. En juin 2014, les essais se poursuivent sur la base d’Istres et des scénarios d’attaque sont prévus prochainement en Italie.

En somme, nEUROn est un instrument européen de souveraineté conçu pour répondre aux menaces futures. Sans exposer les combattants, il fournit du renseignement, un appui stratégique indispensable aux opérations commandos et une force de frappe projetable. Il préfigure l’avenir de l’armée de l’air française. nEUROn, c’est déjà l’après-Rafale. Bien plus encore, nEUROn est une étape cruciale sur la longue route de l’Europe de la Défense.

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Rémy SABATHIE

Secrétaire général et rédacteur géopolitique pour Les Yeux du Monde, Rémy Sabathié est analyste en stratégie internationale et en cybercriminalité. Il est diplômé de géopolitique, de géoéconomie et d’intelligence stratégique.

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