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Nord Stream-2 : les débats s’intensifient

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Les débats autour de la construction du gazoduc Nord Stream-2, reliant les champs gaziers russes à l’Allemagne en passant sous la mer Baltique, ne cessent de s’intensifier dans les capitales européennes, opposant les pro et contre. Rappelons que l’extension du gazoduc prévoit le doublement de sa capacité de transport qui passera de 38 milliards de m3 de gaz actuellement à 76 Bcm d’ici 2018. En dépit du fait que de nombreux experts continuent à lier ces débats à la crise ukrainienne, et à la dégradation des relations entre la Russie et l’UE qui s’en est suivie, ils ont commencé bien avant le conflit en l’Ukraine, et résultent plutôt du poids d’histoire.

La Commission européenne au cœur des débats sur la pertinence de la construction de Nord Stream-2

Les pays d’Europe centrale et orientale (PECO) constituent les adversaires principaux du projet Nord Stream-2. En effet, c’est à travers les territoires de ces pays que passent deux importants gazoducs Bratstvo et Soyouz (construits entre 1967 et 1979), qui approvisionnaient seuls l’Europe occidentale au temps de la guerre froide, avant la mise en service de Yamal-Europe et de Nord Stream-1. La mise en place de Soyouz est plus qu’emblématique. Elle est entrée dans l’histoire des relations russo-allemandes comme le contrat du siècle : le fameux projet « gaz contre tuyaux » entre l’entreprise énergétique allemande Ruhrgas et le Ministère soviétique de l’Industrie gazière prévoyait l’exportation de 3 milliards de m3 de gaz naturel soviétique dès 1978 vers la République Fédérale d’Allemagne en échange de 1,2 tonnes de tubes fabriqués par Mannesmann. A cette époque, la pose des gazoducs via les territoires des pays d’Europe de l’Est paraissait naturelle, voire logique afin d’alimenter les alliés du bloc socialiste en hydrocarbures et les arrimer ainsi au bloc communiste, sans parler de l’Ukraine qui faisait à cette période partie intégrante de l’URSS.

L’éclatement de l’URSS en 1991 a induit la recomposition de la carte géopolitique de l’Europe. Les anciens pays satellites sont devenus ainsi de nouveaux pays indépendants, désormais les propriétaires uniques du réseau de gazoducs transitant par leurs territoires, et à ce titre réclamant des frais plus élevés pour le transit des ressources énergétiques russes. Ce qui a forcé la Russie à chercher des solutions de contournement afin d’assurer la continuité de l’approvisionnement énergétique de l’Europe. Cette nécessité est dictée, non par la position des pays d’Europe centrale et orientale, mais par le désir de l’Ukraine d’obtenir de plus grandes contreparties, à la fois économiques et politiques, de sa position de pays de transit.

Les PECO : partisan de la diversification gazière de l’UE, tout en cherchant à conserver le bénéfice des droits de transit russes

L’attitude négative des pays d’Europe centrale et orientale et de l’Ukraine, en particulier, s’explique par les pertes financières importantes qu’ils subiraient si le transit était réduit ou supprimé définitivement du fait de la mise en service de Nord Stream 2. Quant à Bruxelles, elle est plus préoccupée par la dépendance excessive de l’Union européenne vis-à-vis des importations gazières russes, qui représentent à ce jour plus de 30% de ses importations de gaz naturel.

C’est la raison pour laquelle le vice-président de la Commission européenne en charge de l’Union énergétique, Maros Sefcovic, a demandé récemment que s’ouvrent de nouveaux débats sur la pertinence de la construction du gazoduc Nord Stream-2. Selon son analyse, la mise en place de deux branches supplémentaires du gazoduc Trans baltique concentrera 80% du gaz naturel russe qui transitera via une seule voie, ce qui menacerait la fiabilité des livraisons vers l’Europe. Ces débats sont destinés, entre autres, à la recherche de nouvelles sources d’approvisionnement de l’Europe en gaz naturel, y compris en GNL. Il s’agit notamment de 14 projets énergétiques auxquels la Commission européenne accorde une grande importance. Ceux-ci comprennent entre autres la création d’un terminal d’importation de GNL en Croatie et la construction d’un gazoduc vers la Hongrie. De même, la construction de plusieurs gazoducs depuis la Finlande et les pays baltes, où des terminaux de regazéification de GNL sont déjà implantés, qui permettront ainsi de l’exporter ensuite vers le reste de l’Europe. Ensuite, la Commission européenne prévoit l’extension du réseau de gazoducs en Roumanie, Bulgarie et Grèce. Tous les projets prévus doivent être financés par l’UE, et tous les accords inter-gouvernementaux dans le domaine de l’énergie, de même que les accords de livraison, conclus par les entreprises privées, vont être vérifiées par les experts de la Commission européenne.

Il est clair, que la Commission européenne a l’intention de contrôler encore plus strictement les fournitures gazières à l’Europe, même au détriment des intérêts purement économiques et financiers. Ainsi, le GNL que la Lithuanie achète aujourd’hui chez Statoil norvégien est plus cher que le gaz de pipeline, venu de Russie.

Aujourd’hui, l’Allemagne, l’Autriche et la France, actionnaires principaux du futur gazoduc, sont les seuls à défendre la position de Russie en tant que principal fournisseur gazier de l’Europe. Selon Mario Meren, président de Wintershall, même si le GNL américain pourrait contribuer à la diversification de l’approvisionnement de l’Europe en gaz naturel, l’UE demeure typiquement le marché du gaz de pipeline. Selon lui, l’Europe se trouve dans une situation géographie favorable, car la plupart des réserves mondiales de gaz naturel se trouvent à des distances, pour lesquelles le transport par gazoducs est économiquement rentable, et c’est le cas de la Russie. Ainsi, les peurs de l’Europe devenir dépendants de la Russie sont loin d’être fondées, la part du gaz naturel russe dans les importations de l’UE ont diminué, passant de 55% en 1990 à 30% en 2014. Dans le même temps, la part du gaz norvégien a elle augmenté passant de 13% à 23%.

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