Europe

Le Père Noël au service du soft power finlandais

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La Finlande est en crise. Le pays scandinave de 5,5 millions d’habitants a enchaîné trois années consécutives de récession (2012, 2013 et 2014). En 2015, l’économie finlandaise enregistre une légère reprise de sa croissance (+0,5%) et tente de surnager malgré un taux de chômage élevé (9,4%). Toutefois, la morosité demeure : le pays peine a retrouvé son dynamisme économique depuis les mauvais résultats, puis le rachat de Nokia par Microsoft en 2011. En effet, après avoir manqué le virage stratégique du smartphone, la locomotive industrielle du pays s’est grippée. Souvenons-nous que le fleuron national finlandais reste connu à l’international comme l’ancien numéro un mondial des fabricants de téléphones portables.

La Finlande, le pays du Père Noël…

Heureusement pour elle, la Finlande peut compter sur son secteur touristique pour tenter d’enrayer cette spirale négative. Et pour cela, le pays nordique mise sur son va-tout : le Père Noël. Depuis les années 1960, le gouvernement finlandais a entrepris de diversifier son économie qui reposait jusqu’alors sur les industries minière, forestière et papetière. Par ailleurs, les responsables finlandais entendent lutter contre le dépeuplement du nord du pays (Laponie notamment). Helsinki engage alors une véritable stratégie de marketing territorial qui cible les touristes du monde entier : leur destination sera la Laponie car s’y trouve la maison du Père Noël !

Mais où vit le Père Noël ?

Dès lors, géolocaliser et s’approprier ce personnage mythique devient un enjeu économique et symbolique. Une bataille d’apparence géoculturelle, mais surtout géoéconomique commence : les Américains annoncent depuis la fin du XIXe siècle que le Père Noël vit au Pôle Nord, pour les Danois il réside au Groenland (qui appartient au Danemark), les Russes le localisent en Sibérie, les Canadiens dans le Grand Nord canadien, les Suédois à Gesunda (nord-ouest de Stockholm) et les Norvégiens à Droebak (sud d’Oslo). En vérité, chacun le voit chez soi car le Père Noël est devenu un objet d’appropriation au service du soft power du pays. Pour l’instant, à ce jeu-là, c’est la Finlande qui gagne ! Marc Lohez nous rappelle que les Finlandais surfent sur l’image publicitaire du Père Noël, créée par Coca-Cola. En 1930, le dessinateur Haddon Sublom est en effet à l’origine du Père Noël bedonnant rouge et blanc, qui envahit notre imaginaire collectif via les publicités de l’entreprise nord-américaine de sodas. En « capturant » le Père Noël américain et son image médiatique positive, les dirigeants finlandais annoncent que le Père Noël vit à Korvatunturi, dans l’extrême-nord du pays à proximité de la Russie.

Puis, par souci logistique, l’administration finlandaise décide de déménager le domicile du Père Noël à Rovaniemi, la capitale de la Laponie (qui possède un aéroport international). Ce tour de passe-passe fonctionne particulièrement bien : Rovaniemi accueille dès 1976 le célèbre bureau de poste du Père Noël qui reçoit des milliers de lettres d’enfants du monde entier chaque année. En 1985, le village du Père Noël est construit à Rovaniemi, 13 ans avant l’ouverture du Santa Park, un parc à thème souterrain qui a permis de reconvertir un ancien abri de défense civil en parc dédié au Père Noël. Rovaniemi, ancienne ville minière et forestière, dévastée durant la Seconde Guerre mondiale, va ainsi devenir un pôle d’excellence touristique. Rovaniemi mise sur le tourisme d’expérience : site internet officiel du Père Noël, balade en traîneau tiré par les rennes du Père Noël dans la taïga, photo avec le Père Noël dans sa maison, aurores boréales… L’université locale possède même un centre de recherche sur le tourisme. Même la compagnie aérienne nationale Finnair s’autoproclame la « compagnie officielle du Père Noël » et fait figurer le Père Noël sur certains de ses avions marqués du sceau : « Santa Claus Finland ».

L’entreprise Lappset Group, fournisseur finlandais d’équipements d’aires de jeux et Santa Park, sont devenus des leaders dans leur domaine et ont même essaimé à Chengdu, dans la province du Heilongjiang (nord de la Chine). Même les Chinois ont désormais leur Santa Park et leur Père Noël ! L’activité touristique bien que dynamique (5,5 millions de visiteurs en 2015, soit l’équivalent de la population finlandaise) ne peut pas tout à elle seule. Les touristes russes (les premiers en nombre) viennent moins en Finlande depuis que Moscou a interdit l’importation de produits agricoles en provenance de l’Union européenne en réaction aux sanctions occidentales qui frappent durement l’économie russe depuis la crise russo-ukrainienne. Résultat : les touristes russes étaient 1,6 millions à venir en Finlande en 2013 contre seulement 780 000 en 2015.

Face à cette situation difficile et même si le tourisme en provenance d’Asie augmente, le gouvernement finlandais devrait lancer en janvier 2017 l’expérience du revenu universel pour un échantillon de 2 000 demandeurs d’emploi. Si l’essai s’avère concluant, cette pratique pourrait à terme être réalisée à l’échelle du pays. Il s’agirait alors d’une première mondiale allant dans le sens d’une meilleure redistribution des richesses, un signe sans doute que la Finlande est bien le pays du Père Noël…

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Rémy SABATHIE

Secrétaire général et rédacteur géopolitique pour Les Yeux du Monde, Rémy Sabathié est analyste en stratégie internationale et en cybercriminalité. Il est diplômé de géopolitique, de géoéconomie et d’intelligence stratégique.

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