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Sébastian Kurz, à la mémoire de l’Autriche

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Bien placé pour devenir chancelier après les élections législatives anticipées le 15 octobre, l’ascension politique de Sébastian Kurz a surpris toute l’Autriche, et l’Europe au-delà. A seulement 30 ans, une chose est déjà sûre, celui qui se revendique à la fois de Emmanuel Macron et de l’héritage des Habsbourg a bousculé l’ensemble du champ politique autrichien.

Un contexte social favorable à l’émergence de nouvelles forces politiques

Sebastian Kurz, 30 ans, est le favori des prochaines élections chancelières autrichiennes

Pour beaucoup d’observateurs, la situation politique autrichienne ne serait pas sans rappeler celle de la France. Une comparaison qui s’appuie surtout sur la vigueur de la droite populiste, représentée par le Parti de la Liberté (FPÖ), qui récolte régulièrement plus de 30% des suffrages. En effet, suite aux dernières élections présidentielles qui ont vu triompher les écologistes et l’extrême droite l’an passé, les forces traditionnelles du pays se cherchent un nouveau souffle. Pour ce faire, le parti social-démocrate (SPÖ) s’est choisi un nouveau dirigeant, Christian Kern, fringant dirigeant, qui a aussi musclé le discours du parti. Conséquence directe de cette nouvelle situation, le SPÖ a diversifié le spectre des coalitions en place. Il gouverne ainsi avec les Verts à Vienne, mais avec l’extrême droite du FPÖ dans le Burgenland voisin, à la frontière avec la Hongrie. Un grand écart impensable dans le reste de l’Europe, et qui laisse les électeurs sceptiques.

Un changement de paradigme initié dans le but de conserver des électeurs aujourd’hui préoccupés par des thématiques bien éloignés des thèmes de prédilection du parti. Rappelons à cette fin que l’Etat providence de la petite république alpine est considéré comme l’un des plus généreux au monde. Or depuis 2014, bon nombre d’Autrichiens qui bénéficient de ces prestations se sentent menacés par l’arrivée de migrants sans ressources. D’un autre côté, le vieillissement démographique que connaît le pays menace la pérennité même du système. Une aubaine pour la troisième force du pays, le FPÖ, ancien pré carré pour nombre d’anciens nazis et qui affronte encore aujourd’hui des “bruns convaincus” sur ses marges. Son succès nouveau tient donc moins à une radicalisation massive des électeurs autrichiens qu’à un vide politique. Car nombreux sont ceux qui en ont assez de l’union sacrée entre chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates, et qui préfèrent désormais se tourner vers une troisième voie. Dans ce contexte, on assiste à un raidissement des positions politiques des principaux partis. Les trois principaux, SPÖ, ÖVP et FPÖ sont ainsi unanimes pour « défendre » la frontière avec l’Italie, au col du Brenner, afin de bloquer l’immigration issue de la péninsule. A tel point que le gouvernement a même décidé de l’envoi de 4 chars et de 750 hommes surveiller ce point de passage.

La rapide émergence de Sébastian Kurz

Au cœur de ces grandes manœuvres, un homme se distingue. Secrétaire d’Etat à l’intégration à 24 ans avant même l’achèvement de ses études en droit, puis Ministre des Affaires étrangères à 27 ans, Sébastian Kurz est un jeune homme pressé. Malgré son jeune âge, il n’hésite pas à adopter un discours pour le moins engagé. Dès sa prise de poste aux Affaires étrangères, il se déclare ainsi en faveur du durcissement de la politique migratoire autrichienne, de l’interdiction de la burqa et critique ouvertement la politique européenne de Erdogan. Des positions clivantes qui lui valent l’adoubement de certains de ses pairs, comme son homologue russe Sergei Lavrov.

A la tête des jeunesses conservatrices puis du parti des conservateurs chrétiens de l’ÖVP depuis peu, il a réussi à en personnaliser le nom pour les prochaines élections, et à obtenir un contrôle total sur l’organisation du parti. Mais surtout, début mai, Sébastien Kurz, 30 ans, a provoqué un véritable coup de tonnerre en déclarant refuser de continuer de gouverner avec les sociaux-démocrates (SPÖ). Il a donc provoqué des élections législatives anticipées, en se présentant comme le meilleur des remèdes contre une puissante extrême droite (FPÖ), qui avait failli ravir la présidence de la République le 4 décembre 2016. Et de fait, les chiffres parlent en sa faveur. Selon de récents sondages, le plus jeune candidat à la chancellerie de l’histoire du pays se classerait ainsi en tête des intentions de vote, avec 30 %, devenant par là-même la personnalité politique la plus populaire d’Autriche.

Vers un nouveau concert des nations ?

Or le « Wunderkinder » (enfant miracle) a déjà les idées claires sur les grands axes de sa politique européenne antimigratoire.  Car Kurz a parfaitement en tête ses cours d’histoire, sait pertinemment que l’ancienne capitale impériale des Habsbourg est beaucoup plus proche de Bratislava, Prague, Zagreb, Ljubljana et Budapest que de Berlin. Bosniaques, italiens, monténégrins, polonais, roumains, et ukrainiens ont en effet tous jadis vécu sous la coupe des Habsbourg. Face à cet héritage européen, le poids de la politique étrangère de Berlin paraît en effet bien maigre. Il est probable que, dans son rôle de chancelier, Sébastian Kurz mettrait à profit ces liens avec les mal-aimés pays d’Europe centrale et orientale pour contrer le leadership politique allemand. A ce petit jeu, les chiffres ne plaident pas en faveur de Berlin. En effet, les anciennes composantes de l’Empire Austrohongrois comptent plus de ressortissants que l’Allemagne, et nettement plus de voix au Conseil européen, au sein duquel les votes suivent la règle de la majorité qualifiée.

Cette stratégie a d’ailleurs déjà été éprouvée lorsqu’en 2016, alors ministre des Affaires étrangères Sebastian Kurz a fermé la route des Balkans, et tenu tête à Angela Merkel. Doté d’excellents liens avec les pays des Balkans de première importance géographique : la Macédoine, la Serbie et le Monténégro. Dans cet épisode, le jeune Kurz a su tirer profit de son image de valeureux David contre le Goliath berlinois. En attendant de tendre un peu plus les relations austro-allemandes, le jeune espoir autrichien place ses pions sur la scène politique viennoise. Mais d’ici quelques mois, tous les yeux pourraient se river sur la petite république alpine, fraîchement affublée d’une grandeur nouvelle et inédite.

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Fabien HERBERT

Fabien Herbert est Président des Yeux Du Monde et rédacteur géopolitique pour l'association depuis mars 2016. Formé à l’Université Catholique de Louvain, Fabien Herbert est journaliste et analyste spécialisé en relations internationales. Il s’intéresse notamment au monde russophone, au Moyen-Orient et à l'Asie du Nord-Est.

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