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Syrie: la position russe et ses conséquences sur le Moyen-Orient (2/2)

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Dans un article précédent, nous décrivions l’intervention russe en Syrie comme l’excellente illustration du jeu diplomatique poutinien. Aujourd’hui, tentons d’évaluer les conséquences potentielles, sur l’ensemble de la région, de cette intervention russe.

Vladimir Poutine, au coeur d'une nouvelle géopolitique du Moyen-Orient
Vladimir Poutine, au coeur d’une nouvelle géopolitique du Moyen-Orient

Il faut rappeler en premier lieu l’exceptionnalité de cette implication russe. Depuis l’invasion soviétique de l’Afghanistan en 1979, la Russie n’est jamais intervenue militairement hors des pays de l’ex-pacte de Varsovie. Cette dernière expérience de la guerre de type guérilla s’était en outre soldée par un cuisant échec, les forces soviétiques n’ayant pas réussi à s’adapter à l’asymétrie du conflit dans les montagnes afghanes.

Vladimir Poutine a sans aucun doute la mémoire de cette bérézina soviétique et sa décision de s’attaquer à la rébellion syrienne est mûrement réfléchie. En témoigne pour l’heure la prudence avec laquelle Poutine souhaite opérer. La Russie n’intervient encore quasiment pas sur le terrain, axant sa présence en Syrie sur des bombardements aériens de plusieurs centres névralgiques de la rébellion.

Quelles conséquences sur la diplomatie russe ?

Vladimir Poutine s’est fait pendant de longues années le chantre de la neutralité au Moyen-Orient. Entretenant des relations ambigües avec Israël, la Russie n’en soutient pas moins la cause palestinienne et entretient des contacts réguliers avec le Hamas. Quant au conflit syrien, elle a à plusieurs reprises milité contre une « ingérence occidentale » et avait maintenu jusqu’à présent le principe d’autodétermination du peuple syrien.

L’entrée dans le conflit changera définitivement la donne. Des choix devront être faits par Vladimir Poutine dans un conflit où il est devenu impossible d’entretenir de bonnes relations avec tous les acteurs à la fois. Les choix de Poutine sont connus : Damas, Bagdad et Téhéran seront privilégiées par le Kremlin. Quant à Ryad, elle voit ce choix poutinien d’un très mauvais œil. L’Arabie Saoudite et la Russie étaient pourtant engagées depuis plusieurs mois dans un processus de rapprochement diplomatique, en témoigne la présence d’une délégation saoudienne en juin, au Forum de Saint Pétersbourg.

Un salut en provenance de l’Iran ?

La République Islamique d’Iran pourrait bien être curieusement l’une des clés de ce conflit. Désireux de recouvrer une influence majeure sur l’ensemble de la région, le pays saisit le conflit syrien (et la prise de position russe) pour alimenter sa diplomatie anti-Arabie Saoudite. Affaiblie par une baisse structurelle des cours pétroliers (qu’elle a elle-même contribué à créer), par les polémiques autour du prince Al-Walid (qui avait annoncé cet été le legs de son entière fortune à des œuvres caritatives) et par le récent drame de la Mecque, Ryad perd de l’influence face à Téhéran.

A l’inverse, renforcée par l’accord sur le nucléaire iranien, signé cet été, Téhéran avance ses pions en Syrie. Le rapprochement avec la Russie permettrait une certaine complémentarité des interventions russe et iranienne. Vladimir Poutine en avait fait mention à François Hollande lors de leur entrevue le 2 octobre dernier : « en Syrie, les bombardements aériens ne suffiront pas ». Il semblerait en effet absurde de prétendre pouvoir combattre l’Organisation de l’Etat Islamique sans intervention terrestre. Poutine est-il pour autant décider à prendre le risque d’un dispositif d’intervention terrestre à grande échelle ? Peu probable, en raison notamment de l’éloignement géographique, du peu d’expérience relatif de l’armée russe face à ce type de conflits, de la mémoire du passé afghan et de l’enlisement potentiel des Russes dans le pays. L’appui apporté par les troupes d’élite Spetsnaz à l’armée régulière syrienne semblerait pour l’heure l’unique implication terrestre de la Russie.

En revanche, la Russie pourrait compter sur les troupes iraniennes pour opérer sur le terrain syrien. Les gardiens de la révolution islamique (les célèbres pasdaran) et le Hezbollah libanais (milice chiite qui avait été créée en février 1979 par les Iraniens en réponse à l’invasion israélienne du Liban) sont parfaitement formés à ce type de guérillas et sont présents depuis 2011 en Syrie, aux côtés de Bachar el-Assad.

L’actualité 2016 restera marquée par le conflit syrien :

Si l’intervention russe en Syrie a surpris, par son étendue et la rapidité de sa mise en œuvre, elle ne saurait mettre un terme à l’instabilité du pays en quelques semaines. L’Organisation de l’Etat Islamique a su profiter, pendant quatre ans, du manque d’organisation de la coalition internationale pour densifier les ramifications de son réseau. Mais c’est une vaste redistribution des rôles qui s’opère aujourd’hui. Vladimir Poutine est perçu comme le nouveau gendarme du Moyen-Orient, succédant aux Etats-Unis affaiblis sous la présidence Obama. Les prochaines élections américaines seront à cet égard un excellent indicateur de la suite du conflit. Pour l’heure, il est évident qu’Obama s’efface devant le jeu poutinien, et une alliance entre l’administration Obama, la Russie, l’Iran et l’Irak se dessine très clairement. Avec la perspective d’un retour de l’Iran parmi les plus gros producteurs de pétrole, l’élection aux Etats-Unis d’un candidat démocrate pourrait laisser envisager un prolongement de cette entente. L’Arabie Saoudite (dont l’économie subsiste essentiellement grâce aux accords pétroliers la reliant aux Etats-Unis) pâtirait sans aucun doute de ce changement de cap, et ne serait plus en mesure de financer les réseaux sunnites officiant en Syrie. Reste à savoir si ceux-ci seraient capables de fonctionner en autarcie.

Bachar el-Assad sortirait bien évidemment grand vainqueur d’un effritement des mouvements rebelles. Mais ceux-ci ne disparaîtront pas. Anéantis en Syrie, ces groupuscules pourraient se recentrer sur l’Irak, au Kurdistan turc ou dans le Nord Caucase où ils sont déjà présents. C’est bien ce que cherche Poutine en fin de compte : éviter tout report du conflit syrien aux portes des frontières russes. Face à ce que Poutine perçoit comme une incapacité occidentale à canalyser l’Organisation de l’Etat Islamique, la seule solution envisagée reste l’anéantissement pur et simple de toute forme de rébellion au régime syrien. Ambitieuse, cette stratégie n’est évidemment pas sans risques. La pression sur Moscou se resserre et les menaces d’attentats se multiplient. Poutine a bien conscience de l’enjeu de son intervention en Syrie. En cas d’échec de sa stratégie d’alliance avec Téhéran, les conséquences pourraient être dramatiques. Les vieux chars soviétiques seront en effet d’un bien maigre soutien face aux djihadistes engagés dans une nouvelle guerre sainte.

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