Ex-monde socialiste

La question des nationalités dans la Yougoslavie socialiste

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Carte « ethnique » de la Yougoslavie basée sur le recensement de 1981, soit un an après la mort de Tito. Fait important, l’appartenance à une nationalité était une question de choix personnel: pas de droit du sol ou de droit du sang.

L’existence même de la Yougoslavie (« pays des Slaves du Sud », en serbo-croate) entre 1945 et 1992, est un mystère pour nous. Comment ce pays multiculturel et multinational, héritier des tracés de frontières anarchiques de 1918, martyr de la seconde guerre mondiale (plus de 10% de la population a été tuée entre 1940 et 1945, principalement dans les combats entre les diverses minorités), qui a éclaté dans ce déchainement d’horreur que l’on connait en 1992, a pu préserver pacifiquement son unité pendant presque 50 ans ?

La réponse la plus facile serait de mettre en avant le fait que le pays était une dictature communiste, dirigée d’une main de fer par Josip Broz Tito, et qu’ainsi tout mouvement séparatiste aurait été sévèrement réprimé. C’est un fait. Mais la réponse est plus complexe, et se base sur deux principes : l’autonomie des Républiques et l’égalité absolue en droit entre les nationalités.

La République Fédérative Socialiste de Yougoslavie (nom officiel à partir de 1963) comptait six républiques  (Bosnie-Hérzégovine, Croatie, Macédoine, Monténégro, Serbie et Slovénie) et deux régions autonomes à partir de 1973 (Kosovo et Voïvodine, rattachées à la Serbie). Ces diverses entités jouissaient d’une très large autonomie : chacune disposait de ses institutions propres (institutions non définies par la constitution fédérale) dont les compétences (législatives, exécutives, judiciaires et financières) s’étendaient à tous les domaines, à trois exceptions près : la politique extérieure, la défense nationale et certaines questions économiques (le marché étant unifié à l’échelle de la Yougoslavie). Même sur ces trois domaines, aucune décision ne pouvait être prise au niveau fédéral sans l’accord des Républiques.

Afin de se prévenir contre la domination de la nationalité majoritaire (en l’occurrence, les Serbes), toutes les institutions fédérales fonctionnaient sur le principe de la parité entre les Républiques, indépendamment de leur population. Cette règle prévalait également au niveau de la LCY (Ligue des Communistes de Yougoslavie, appelé Parti Communiste Yougoslave avant 1952), le parti unique dirigeant le pays, et au niveau du commandement supérieur de l’armée.

A partir de 1963, les narodi (nations : les six peuples slaves du sud) et les narodnosti (nationalités, dont la mère patrie est à l’étranger, à savoir Turcs, Tchèques, Slovaques, Roumains, Italiens, Hongrois, Bulgares et Albanais) sont égales en droit. Ainsi, l’usage et l’apprentissage des langues nationales est autorisé (même dans l’administration, dans l’armée et dans l’éducation) et même encouragé.

Ce système avait néanmoins une faiblesse majeure : il permettait la coexistence pacifique, mais n’a pas permis le renforcement d’une « identité yougoslave ». L’égalité stricte entre les nationalités a favorisé leur développement séparé, sans mélange, dans une quasi autarcie culturelle. Ainsi, en 1981, seuls 5,4% des Yougoslaves, quand on demandait leur nationalité, se déclaraient Yougoslaves. Un tel système prévenait tout risque de guerre civile, mais n’admettait aucun amendement : la fin du système a signifié la fin de la Yougoslavie.

Pouvait-il en être autrement ? Nul ne peut le dire. La région a toujours été dominée par des grandes puissances étrangères (principalement l’Autriche-Hongrie et l’Empire Ottoman), qui n’ont eu de cesse de renforcer à la fois la séparation culturelle, religieuse et institutionnelle entre les minorités (diviser pour mieux régner) et leur mixité géographique (en abolissant les frontières « historiques »). Compte tenu de l’Histoire de la région, préserver la paix et l’unité de la Yougoslavie pendant 50 ans était déjà, en soi, un tour de force.

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