Le monde avant 1914

L’origine de la laïcité « à la française » : l’anticléricalisme des républicains opportunistes (1878-1885)

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Léon Gambetta, à bien des égards le père de la IIIe République

Quand on parle de laïcité en France, on pense immédiatement à la célèbre loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905. C’est oublier bien vite que ce combat, car la laïcité fut bien un combat, a commencé plus de vingt ans avant la parution au journal officiel de ce « monstre sacré » du droit français.

Bien loin de la posture philosophique qu’elle représente aujourd’hui, la laïcité a avant tout été une réaction purement politique. Posons le contexte. Après la débâcle de Sedan et la chute du Second Empire,  la France a, définitivement, adopté le système républicain. Mais c’est une République paradoxale qui a vu le jour : une République dirigée par les royalistes. Ces derniers remportent toutes les élections entre 1871 et 1878 et, s’ils ne parviennent pas à rétablir la monarchie, ils mettent en place en France une politique ultraconservatrice et réactionnaire : « l’ordre moral ».

Face à cette situation, les républicains doivent trouver un cheval de bataille. Ce sera l’anticléricalisme. Gambetta lance la bataille dans son discours du 16 mai 1876 avec sa célèbre apostrophe : « le cléricalisme ? Voilà l’ennemi ! ». Pourquoi combattre l’Eglise ? Car l’influence de celle-ci sur la société française (notamment dans les campagnes) est extrêmement importante (via l’éducation notamment), et qu’elle est l’allié naturel du bloc royaliste.

A partir de là, deux camps se dessinent chez les républicains. Les opportunistes, modérés, veulent se limiter à la politique du « chacun chez soi » : cantonner l’Eglise à la religion, partant du principe que celle-ci est vouée à un lent mais inéluctable dépérissement. Les opportunistes (qui comptent dans leurs rangs de grandes figures telles Gambetta ou Ferry) rejettent par exemple catégoriquement l’idée de la fin du concordat, puisque ce dernier permet à l’Etat de conserver une influence sur l’église via la nomination des évêques. Face à eux, les radicaux, qui triompheront partiellement en 1905, plaident pour une laïcité offensive : la République doit lutter contre l’Eglise, symbole de la superstition rétrograde en pleine période positiviste.

Concrètement, les opportunistes (qui prennent le pouvoir en 1878) obligent les congrégations à demander une autorisation pour pratiquer l’enseignement (celles qui ne l’obtiennent pas sont dissoutes, parmi lesquelles la congrégation des jésuites, véritable bouc émissaire des anticléricaux).  Le divorce est rétabli en 1884. On met fin à la prière publique à la rentrée des chambres, aux crucifix dans les tribunaux, les hôpitaux publics, les casernes…

Ces mesures ne sont pas sans provoquer des heurts. De violentes manifestations éclatent (notamment dans l’Ouest). De nombreux officiers et magistrats démissionnent. Mais globalement, les choses se passent plutôt bien : les opportunistes ont su s’arrêter à temps. Ils n’ont pas, comme le réclamait les radicaux, confisqué les biens des congrégations, ni abrogé le concordat.

Ainsi, en 1885, la France avait atteint la forme de laïcité modérée qui prédomine aujourd’hui en Europe : interdiction à l’Eglise en tant qu’organisation d’entrer dans la sphère publique, liberté de culte, et financement étatique de l’Eglise.

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