Guerre froideMonde et mondialisation

Les services de renseignement français 1981-1991

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La « piscine », siège historique de la DGSE boulevard Mortier (20ème) Paris
La « piscine », siège historique de la DGSE boulevard Mortier (20ème) Paris.

Les services de renseignement sont une composante stratégique de l’appareil d’état. Créés en 1911 sous l’appellation DCRG pour Direction Centrale des Renseignements Intérieurs, les fameux « RG » ont pour objectif principal de renseigner les gouvernements contre toutes formes de mouvements pouvant porter atteinte à l’état. La DST pour Direction de la Surveillance du Territoire est créée en 1934. Ses missions touchent principalement au contre terrorisme et au contre espionnage. Depuis 2007, RG et DST ont fusionné pour donner naissance à la DCRI. Le SDECE (futur DGSE) pour Service de Documentation et de Contre Espionnage est créé en 1946. Le SDECE se voit confier des missions de renseignement, contre-espionnage, opérations subversives exclusivement à l’étranger. Ces services connurent une période de transition durant la décennie 1980, passant de l’alternance politique à l’apparition de nouvelles menaces suite à la fin de l’ordre bipolaire.

1. L’alternance politique dans les services extérieurs

Le 10 mai 1981, le socialiste François Mitterrand est élu président de la République. Il nomme Pierre Mauroy à la tête d’un gouvernement auquel participent quatre ministres communistes. Pour la première fois depuis 23 ans, la gauche, socialiste et communiste, est au pouvoir. Un climat de méfiance s’installe entre les nouvelles autorités politiques et les services de renseignement ce qui provoque le départ du comte de Marenches qui refuse de servir un président socialiste. Son successeur, Pierre Marion, trouve un service en mauvais état qui doit faire face depuis février 1981 à l’humiliation causée par l’affaire Farewell. Vladimir Vetrov fournit durant dix mois plus de 3000 documents d’une importante valeur stratégique à… la DST, rivale du SDECE. Estimant le service noyauté par le KGB, Vetrov et le président Mitterrand lui-même refusent de traiter avec le SDECE pourtant dans ses prérogatives. Un an plus tard, le service est réformé et le SDECE disparait tandis que 47 membres des services secrets soviétiques sont expulsés de France.

Le « programme commun » de 1972 réclamait la dissolution du SDECE et des polices secrètes mais il n’en fut rien. Le pouvoir socialiste compris vite qu’en dépit de son aversion pour ces services il devrait traiter avec dans un contexte si tendu. Afin de juguler les infiltrations –russes principalement- dans le secret des services, la DPSD est créé le 20 Novembre 1981, elle est en charge de la sécurité du personnel, des infrastructures et des informations (cf. « les micros de Varsovie »). En avril 1982, après l’ouverture des archives du SDECE, la DGSE remplace le SDECE, le décret n°82-306 du 2 avril 1982 fixe les missions de la DGSE « au profit du gouvernement et en collaboration étroite avec les autres organismes concernés, de rechercher et d’exploiter les renseignements intéressants la sécurité de la France, ainsi que de détecter et entraver, hors du territoire national, les activités d’espionnage dirigées contre les intérêts français afin d’en prévenir les conséquences ». Il s’agit pour le nouveau gouvernement de rompre avec l’héritage sulfureux du SDECE. Ainsi, la DGSE ne se borne pas au rôle de contre-espionnage du SDECE prévu par le décret du 4 janvier 1946, elle est désormais en charge de la sécurité extérieur et doit collaborer avec la DST. Le 11e bataillon de choc est reconstitué pour être mis à la disposition du Service Action de la DGSE, sous le nom de 11e régiment parachutiste de choc (11e RPC). L’alternance socialiste semble donc, malgré les prévisions du « programme commun » de 1972 et la méfiance des socialistes à l’égard des services de renseignements dont ils firent les frais sous les mandats précédents, bénéficier à l’organisation des services.

Cependant, en 1985 le renseignement extérieur français doit à nouveau faire face à un scandale ; l’affaire du « Rainbow Warrior ». La France projette de lancer des essais nucléaires dans l’archipel de Mururoa mais face au risque de campagne médiatique de Greenpeace les autorités françaises décident de neutraliser le navire amiral de l’association basé dans le port d’Auckland (Nlle Zélande) ; le Rainbow Warrior. Lors de l’explosion du navire, un journaliste décède, dès lors la police néo zélandaise arrête les « faux époux Turenge », membre de la DGSE. Le Monde dévoile l’affaire, s’en suit la démission du Ministre de la Défense, Charles Hernu, et du DG de la DGSE, l’amiral Lacoste, et la poursuite de nombreux agents français devant les tribunaux. L’opération « Satanic » fut un désastre sur le plan diplomatique et politique, l’image de la DGSE est largement écornée à l’étranger à l’heure où la coopération entre les services est en passe de devenir indispensable face à la montée du terrorisme transnational.       

2. Le renseignement intérieur sous la présidence Mitterrand

Les renseignements intérieurs doivent aussi faire face à l’épreuve de l’alternance. Après l’élection de François Mitterrand, Yves Bonnet est nommé directeur de la DST, à la place de Marcel Chalet, en 1982. Suite à la fusillade de la rue des Rosiers du 9 aout 1982 le président Mitterrand créa une cellule anti terroriste à l’Elysée confiée à Christian Prouteau, commandant du GIGN. La dite cellule se livre de 1982 à 1986 à des écoutes ciblées, les 2/3 sont légales, visent des suspects mais aussi des écrivains, des avocats, des personnalités politiques susceptibles de nuire aux intérêts présidentiels (révélations sur Mazarine Pingeot, sur l’affaire des irlandais de Vincennes, etc). La CEDH chargée de statuer en dernier ressort sur l’affaire insistera le 7 juin 2007 sur « une ingérence disproportionnée dans [le] droit à la liberté d’expression ». Nous sommes donc bien loin du programme commun de 1972 qui réclamait une dissolution des officines secrètes puisque le pouvoir socialiste use voir même abuse de l’usage des services de renseignement (même si il ne s’agit pas directement d’une implication de la DST ou des RG il s’agit bien d’un organisme de collecte de renseignement). Le jugement du tribunal correctionnel de Paris du 9 novembre 2005 désigne François Mitterrand comme « l’inspirateur et le décideur de l’essentiel ».

Le renseignement français est de nouveau sur la sellette lorsque la DST doit faire face aux répercutions du « contentieux Eurodif » en métropole. Eurodif S.A est une société française d’enrichissement d’uranium et de retraitement de matières nucléaires. En 1974, l’Iran rentre dans le capital de l’entreprise à hauteur de 10% (l’Iran y cherche à instaurer un transfert technologique et à obtenir de l’uranium à des fins civiles et militaires). En 1981 suite à la révolution islamique, le régime des mollahs réclame un retour sur son investissement. La France refuse, s’engage alors une série d’attentats, d’enlèvements (attentat des FARL en septembre 1986 à Paris, enlèvements de journalistes français) qui culminent avec l’assassinat de Georges Besse, PDG de Renault et fondateur d’Eurodif, le 17 novembre 1986. L’assassinat fut attribué à Action Directe (commando Pierre Overney) suite à des décisions de licenciements et au meurtre de Pierre Overney par un vigile en 1972 à l’usine de Flin. Mais d’après l’enquête « Une guerre » de la journaliste Dominique Lorentz publié en 1997, l’Iran aurait financé et commandité l’assassinat en sous main suite au refus français de livrer de l’uranium enrichi à la République islamique. L’affaire Eurodif et par extension l’affaire Besse mènent aux démantèlements du groupe Action Directe, qui après les amnisties présidentielles, consécutives à l’élection de François Mitterrand qui souhaitait offrir des garanties à l’extrême gauche, n’hésita pas à reprendre ses opérations et à s’afficher sur la scène médiatique. Ces amnisties sont perçues comme une trahison du pouvoir politique au sein des RG qui, dès le 13 septembre 1980, réussirent à arrêter J.M.Rouillan et N.Ménignon en se faisant passer pour des émissaires du terroriste Carlos. Ce stratagème fut à l’initiative du jeune commissaire des RG, J.P.Pochon. Fait rare, le commissaire Pochon passera également par la DST et la DGSE, il enseigne aujourd’hui à Science Po Paris.

Ces attaques sur le sol français mènent à la création par la loi du 9 septembre 1986 de l’UCLAT (Unité de Coordination de Lutte Anti-  Terroriste), à la création du SCLAT (service central de lutte anti-terroriste) 14e section du parquet de Paris, à la création d’une juge d’instruction aux affaires terroristes et d’une cours d’assise spécialisée (le 6eDCPJ) et enfin à une meilleure formation du personnel et au développement de nouvelles techniques d’investigations (augmentation des moyens alloués au ROEM, renseignement d’origine électromagnétique). Dans cette dynamique, le 21 février 1987, les principaux membres d’Action Directe (J.M.Rouillan, N.Ménignon, J.Aubron, G.Cipriani) sont « logés » par les RG et interpellés par les hommes du RAID. L’alternance socialiste ne fut pas synonyme de suppression des organismes de renseignements intérieurs comme le sous entendait le « programme commun » de 1972. Au contraire, avec la création d’unités anti-terroristes, de la loi du 9 septembre 1986 mais aussi avec la mise en place d’opérations non conventionnelles (écoutes de l’Elysée, stratagème Pochon dans la traque d’AD), le pouvoir fit face aux nouvelles formes de menaces pesant sur la sécurité intérieure et sur le pouvoir de l’Élysée.

3. De nouvelles cibles, de nouvelles règles

Pour comprendre les évolutions dans le monde du renseignement à l’aube des années 90 il faut s’intéresser à certains événements géopolitiques majeurs. L’année 1979 voit l’émergence d’un pouvoir chiite avec la création de la République Islamique d’Iran suite au renversement du Shah d’Iran. En 1982 l’Iran finance le jeune Hezbollah lors de la guerre au Liban. Avec l’assassinat de l’ambassadeur Louis Delamare à Beyrouth, en septembre 1981, le Liban devient un théâtre de confrontation entre la France et l’Iran. Ce dernier lance une campagne d’enlèvement contre des ressortissants français dès 1985 dans le cadre du conflit qui oppose indirectement la France et l’Iran autour du consortium Eurodif. Lors du conflit qui oppose l’Iran à l’Irak, de 1980 à 1988, après que l’ayatollah Khomeiny expulsé d’Iran revint au pouvoir et contribua au déclenchement d’un conflit face à Saddam Hussein, la France finance Saddam Hussein. L’alliance avec Bagdad satisfaisait une aile importante du parti socialiste qui voyait en l’Irak un modèle de modernisme et de laïcité face au conservatisme des pétromonarchies et à l’obscurantisme de la révolution islamique iranienne. Elle était également perçue comme un moyen de protéger les sources d’approvisionnement énergétique de la France. Ainsi Paris ne cesse de livrer des armes, des munitions et des pièces de rechanges à l’Irak pendant tout la période de la guerre. Fouad Ali Saleh, organisateur présumé de quinze attentats (dont celui de la rue de Rennes le 17 septembre 1986) déclare après son arrestation par la DST « la forteresse de l’islam est l’Iran. Votre pays, en aidant l’Irak, combat l’Iran, c’est donc un ennemi. Notre principal objectif est de ramener la France à la raison par des actions violentes. ».

Autre fait marquant l’apparition de nouvelles menaces ; l’affaire Gordji lors de laquelle la DST acquit la conviction que Wahid Gordji, interprète à l’ambassade d’Iran à Paris mais représentant en fait les services iraniens en France, avait été le coordinateur des vagues d’attentats qui avaient ensanglanté la capitale en 1986. Le gouvernement socialiste, décidé à l’interpeller, mais face à l’inviolabilité diplomatique, décide d’assiéger l’ambassade et de lancer un ultimatum à Téhéran. La réponse de la République Islamique d’Iran est sans équivoque ; un pétrolier français est attaqué. Paris rompt les relations diplomatiques et déclenche la «guerre des Ambassades » qui dure quatre mois, jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé entre les deux capitales. Ainsi, l’apparition d’une République Islamique d’Iran belliqueuse, l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS -qui voit croitre le mouvement des moudjahidines et créa les futurs réseaux du djihad armé-, installent une dynamique propice au développement d’un terrorisme islamique qui se manifeste aux portes de l’hexagone en 1989, par l’arrivée du Front islamique du salut sur la scène politique algérienne.

La réélection de François Mitterrand le 8 mai 1988 entraine la formation d’un nouveau gouvernement avec à sa tête, Michel Rocard. Conscient de l’évolution géopolitique et de l’importance du renseignement François Mitterrand confie à Michel Rocard le soin de réformer les services. En décembre 1988 il effectue une visite à la « piscine » boulevard Mortier, le siège de la DGSE. C’est la première fois qu’un chef de gouvernement visite les services spéciaux, il annonce  « une réflexion visant à améliorer la coopération ente les différents services de renseignement et de sécurité français » en effet, ces derniers font souvent face à des conflits de compétence comme dans l’affaire Farewell. Début 1989, Claude Silberzahn est nommé directeur de la DGSE, c’est un civil, ancien préfet et conseiller de Laurent Fabius. Avec le soutien de Michel Rocard il entame une réforme des services orientée vers la démilitarisation, l’augmentation des effectifs civils. Il tente également d’améliorer la communication des services comme en témoigne la création de la « direction de la stratégie » chargée d’assurer l’interface avec le Ministère des Affaires Etrangères. La réforme, par l’ouverture au monde civil, augmente le niveau de recrutement (diplomates, étudiants de Sc-Po, etc.). La démilitarisation fait de la DGSE un instrument technocratique au service des gouvernements.

En conclusion …

La guerre froide et la lutte contre le communisme furent les principales raisons d’être des services de renseignement. Une à deux générations d’agents furent formées pour enquêter sur la menace communiste. Le 9 novembre 1989 avec la chute du Mur de Berlin c’est toute une vision bipolaire du monde qui s’effondre. Les rapports de force opposaient auparavant les pays satellites de l’URSS et le monde occidental incarné par l’OTAN. Le monde se fragmente et de nouvelles menaces apparaissent. La mondialisation, alors en pleine essor, ouvre un nouveau champ de bataille ; l’économie, sur lequel le renseignement doit se positionner afin d’aider les entreprises françaises dans la défense et l’accroissement de leurs intérêts. Dès son arrivé à la DGSE, Pierre Marion s’emploie à établir des liens avec les patrons du CAC40.Le 23 août 1990, Michel Rocard se rend au siège de la DGSE et présente les grandes lignes d’un plan quinquennal de réforme du service. Trois mois plus tard, le 18 novembre, lors du sommet de la CSCE (Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe), la guerre froide entre l’Est et l’Ouest est officiellement terminée. Désormais, les grands axes de recherches des services de renseignement et de sécurité concerneront le terrorisme international, l’intelligence économique, la prolifération d’armes de destruction massive et le crime organisé. La première guerre du Golfe fut l’occasion pour la France de prendre conscience de son retard technologique et opérationnel face aux USA. Pierre Joxe, avec l’aval du président Mitterrand appuie la création de la Direction du Renseignement Miliaire et le développement du satellite d’observation Hélios, outil indispensable dans la course au renseignement et à l’indépendance opérationnelle.

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