Tiers-Monde et émergents

Turquie : le projet G.A.P et les Kurdes

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La dilution d'une minorité par le lancement de grands projets : une technique répandue au Moyen-Orient.
La dilution d’une minorité par le lancement de grands projets : une technique répandue au Moyen-Orient.

Dans les années 70 est lancé en Turquie un gigantesque projet d’aménagement du Tigre et de l’Euphrate, prenant tous deux leur source dans le Sud-Est du pays. Répondant à l’acronyme de G.A.P ( pour « Güneydoğu Anadolu Projesi », littéralement « Projet d’Anatolie du Sud-Est »), le projet s’articule autour de la construction de nombreux barrages et voies d’irrigation dans toute cette zone du pays couvrant 75 000 km² et peuplée de plus de 10 millions d’habitants.

Au delà des enjeux qu’il soulève en matière de géopolitique extérieure – avec la Syrie et l’Irak en ce qui concerne la répartition du débit des deux fleuves – le projet apparaît également très important à l’échelle nationale, puisqu’il est une des principales réponses des autorités turques à le demande d’autonomie des Kurdes. En effet, la zone géographique concernée par le G.A.P recoupe largement l’aire de peuplement kurde. Avec près de 32 milliards de dollars investis, les autorités turques considèrent ce projet comme le principal moyen de résoudre le problème du sous-développement de la zone kurde. L’idée est d’impulser une diversification des activités productives et un rattachement de la région au reste du tissu industriel et urbain national :

  • Les systèmes d’irrigation doivent permettre à l’agriculture concernée de progressivement passer d’un modèle de céréaliculture extensive à un modèle de production intensive, essentiellement tourné vers les cultures commerciales tel le coton, le riz, le soja ou encore le maïs…
  • Sur un plan plus industriel, l’essentiel de l’électricité produite par les barrages n’est pas destinée à alimenter l’Ouest développé du pays mais bien des usines et ateliers du Sud-Est, censés se développer autour du projet,
  • Enfin, un programme d’amélioration de l’habitat rural et de développement des infrastructures touristiques est également prévu en complément du volet industriel.

Comme l’explique G.Mutin dans L’eau dans le monde arabe, le but recherché avoué des autorités turques est double : arrêter les flux permanents (exode rural) de kurdes vers les villes telles Gaziantep ou Diyarbakir, creusets des formes modernes de contestation ; mais aussi définitivement arrimer la partie kurde du territoire au reste du pays en l’intégrant économiquement dans l’espace de production national.

Rétrospectivement, la pertinence et l’efficacité du projet portent à interrogation. Sûrement le G.A.P a-t-il permis, en maîtrisant l’exode rural et en proposant des débouchés pour des populations rurales, l’avènement d’une génération kurde plus empreinte de culture urbaine et moins sensible au militantisme belliqueux du PKK, de type guérilla. Pourtant, si la fin des années 2000 paraît être synonyme d’une accalmie entre le PKK et les autorités turques, les années 90 et 2000 – période au cours de laquelle l’essentiel des construction était déjà achevé – ont été marquées par la reprise des tensions et violences entre les deux parties. De plus, la légère amélioration en cours semble être le fait de facteurs sans rapport avec le projet, relativisant l’impact du développement économique. Des concessions du gouvernement turc (autorisation de parler kurde et de l’enseigner notamment), effectuées sous la pression de l’Union Européenne, à l’évolution géopolitique régionale induite par la crise syrienne, un climat politique favorable semble demeurer la condition préalable à tout apaisement.

Le cas du G.A.P présente néanmoins l’intérêt de souligner l’inventivité des pouvoirs publics turcs face au problème kurde. Il rend compte d’une stratégie globale de résolution du conflit, qui, au fur et à mesure que le contentieux s’éternise, délaisse progressivement la simple méthode répressive.

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