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La concurrence minière des Grandes Puissances dans le désert d’Atacama au tournant du XXe siècle

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Situé au nord du Chili, le désert d’Atacama est extrêmement riche en ressources minières, ce qui fut la cause de conflits entre les pays qui le bordent ainsi que d’une concurrence féroce entre les grandes puissances de l’époque (Grande-Bretagne, France, Allemagne et États-Unis) pour son exploitation.

Affiche de publicité pour le nitrate chilien en Grande-Bretagne (memoriachilena.cl)
Affiche de publicité pour le nitrate chilien en Grande-Bretagne / memoriachilena.cl

La deuxième moitié du XIXe siècle fut marquée par un développement industriel sans précédent, révolutionnant l’agriculture. Avec l’accroissement de la population, la demande alimentaire augmenta, induisant la nécessité d’une plus grande productivité dans l’exploitation des terres. Pour ce faire, de nouveaux outils et de nouvelles machines sont créées, permettant d’améliorer le travail des paysans, et les découvertes dans le domaine de la chimie amènent à l’utilisation d’engrais pour augmenter le rendement des terres. Ces besoins en engrais étaient autrefois comblés par l’importation de guano, dont le Pérou possédait un quasi-monopole, mais avec l’épuisement des stocks, les européens commencèrent à importer en masse du nitrate, servant également – et ce n’est pas anodin étant donné les temps belliqueux que connaît l’Europe à cette époque (course aux armements, conquête coloniale) – à l’élaboration d’explosifs. Avec la modernisation liée à la Révolution Industrielle, les grandes puissances – notamment France, Grande-Bretagne, États-Unis et Allemagne – vont se doter de nouveaux équipements qui vont révolutionner le mode de vie occidental, comme le câblage électrique urbain ou le développement du télégraphe, augmentant par conséquent les besoins en cuivre de ces pays.

Dans le désert d’Atacama se trouvaient donc des ressources essentielles au développement industriel occidental : le guano, mais surtout le nitrate et le cuivre. L’exploitation de ces richesses explique en partie la guerre que se livrèrent les trois pays bordant la région – Bolivie, Chili, Pérou – lors de la Guerre du Pacifique entre 1879 et 1883. La victoire du Chili permit à ce dernier de s’approprier la quasi-totalité des stocks de nitrates ainsi que d’immenses mines de cuivre, lui offrant par la suite d’immenses revenus.

Le tournant du XXe siècle est une période de structuration du capitalisme libéral et de concurrence économique entre les quatre nations les plus puissantes de l’époque : deux anciennes nations dominantes – l’Angleterre et la France – et deux nouvelles nations qui ont su profiter de la Révolution Industrielle pour émerger sur la scène internationale : l’Allemagne et les États-Unis. Cette quadripartition va se traduire dans la part du commerce mondiale occupée par ces puissances à l’époque : 52,0% en 1875 et 41,8% en 1929. Par l’amélioration des navires et la diminution des temps de trajet, le commerce maritime s’envole à cette époque, permettant l’accroissement des échanges et donc la pénétration économique de cette région par les grandes puissances industrielles.

La France, pays encore essentiellement agricole, possédait des intérêts à traiter avec le pays possédant les plus grandes réserves de nitrates, puisqu’elle en était le deuxième consommateur mondial à la fin du XIXe, et continuera à être l’un des plus grands importateurs jusqu’en 1930. Toutefois, les entreprises nitrières étaient essentiellement sous capitaux britanniques, illustrant la puissance commerciale britannique à l’époque. Concernant le cuivre, la France possédait davantage de capitaux dans l’exploitation des mines, mais devait faire face à la concurrence de l’Allemagne, en pleine expansion, et de la Grande-Bretagne. Après la Première Guerre mondiale, les entreprises étasuniennes font irruption sur ce marché avec des investissements de capitaux massifs. L’arrivée de ce nouvel acteur va bouleverser le rapport de force en s’appropriant la majeure partie de la production, reléguant les anciens grands producteurs européens à des échelles de productions quasiment résiduelles.

L’exploitation minière dans le désert d’Atacama est donc révélatrice de l’évolution du commerce mondial et du rapport de force entre grandes puissances au tournant du XXe siècle dans la mesure où elle a illustré un certain déclin des puissances traditionnelles européennes et une montée en puissance des États-Unis, notamment suite à la guerre européenne. Encore aujourd’hui, cette région du monde continue d’attirer les regards des investisseurs, notamment pour le cuivre et le lithium.

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Lucas MAUBERT

Doctorant en Histoire à l'Université de Tarapacá (Chili). Diplômé de l'IEP de Rennes et de l'Université Rennes 2. Rédacteur pour Les Yeux du Monde depuis 2016.

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