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Vers l’Orient compliqué – Antoine Sfeir – Fiche de lecture

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Grasset, 2006, France 192 pages

L'intervention américaine en Irak, une volonté de morceler la région ?
L’intervention américaine en Irak, une volonté de morceler la région ?

AUTEUR : Antoine Sfeir

Journaliste et professeur franco-libanais, il est directeur des Cahiers de l’Orient, préside le Centre d’étude et de réflexion sur le Moyen-Orient et est professeur en relations internationales au CELSA.

OBJET :

Essai sur l’état actuel de l’Orient et plus précisément du Moyen-Orient, et réflexion sur les motifs qui ont poussé les Etats-Unis à intervenir en Irak.

PROBLEMATIQUE :

Cet essai, selon les dires même de son auteur, engage une réflexion sur deux problématiques principales, indissociables.

1) Pour quelles (vraies) raisons les Américains ont-ils décidé d’aller en Irak ?

2) Pourquoi ont-ils choisi d’y rester ?

A partir de ces deux questions, Sfeir va engager une succession de réflexions de constats sur les enjeux et problématiques actuelles se rapportant au Moyen-Orient.

Tout d’abord, à la première question, ce dernier évoque les raisons généralement acceptées ou invoquées par les Etats-Unis eux-mêmes, c’est-à-dire :

– Les armes de destructions massives : motif principal évoqué par les Etats-Unis pour justifier cette intervention en Irak. La présence de telles armes n’a jamais été prouvée alors que cet argument avancé fut désavoué par les inspecteurs successifs de l’ONU et certains experts américains.

– La démocratisation du pays : dans le cadre de la vision du président américain, G. W. Bush, du « Great middle East », et en comptant sur un « effet domino », les Américains espèrent, en installant un régime démocratique en Irak, participer, stabiliser, et entrainer un équilibre démocratique dans la région. Cependant, un tel objectif semble irréalisable eu égard à la manière dont l’armée américaine a agi, particulièrement en niant la diversité religieuse, culturelle et communautaire du pays (Sunnites/Chiites ou encore Kurdes/Arabes).

– La lutte contre le terrorisme international : là encore il s’agit d’un argument avancé par l’administration Bush dénonçant les relations supposées entre le terroriste Ben Laden et le dictateur Irakien Saddam Hussein. Ces liens, pour le reste, sont hypothétiques, mais apparaissent comme un moyen efficace de s’assurer l’appui de la population encore sous le choc du 11 septembre.

– Une guerre de l’« or noir » : objectif, certes moins avouable, mais apparaissant plus rationnel afin d’assurer aux Etats-Unis un provisionnement plus sécurisé en hydrocarbure, et pour se détacher subrepticement du fournisseur et allié saoudien. Il reste que la production est loin d’avoir atteint les objectifs assignés et souhaités une fois le régime de Saddam Hussein renversé.

THESE :

L’administration Bush, entre « neocons » et « born again », ou comment favoriser Israël et les intérêts Américains en morcelant la région.

RESUME :

Antoine Sfeir récuse les explications, à son avis trop simplistes, concernant les véritables intentions des Etats-Unis au Moyen Orient. En effet l’auteur évoque d’une part la multiplicité des organes dirigeants au sein des Etats-Unis (que ce soit le Président et sont équipes de secrétaires d’Etats, le Pentagone, la CIA, ou encore le National Security Council). Mais d’autre part, il fait référence aux nombreuses tendances qui peuvent influencer la politique extérieure américaine : « think tanks », néoconservateurs ou encore « born again » incarnés par le président Bush lui-même ainsi que par de nombreux membres du gouvernement.

En ce qui concerne la guerre en Irak, Sfeir avance une hypothèse originale quant au véritable but de ce conflit. En revenant sur les liens qui unissent Israël et les Etats-Unis, ce dernier affirme que l’intervention aurait pour but d’assurer la sécurité d’Israël en morcelant la zone. Ainsi l’Irak ne serait qu’une première étape dans la volonté américaine de créer plusieurs états « croupions » fondés sur une appartenance ethniques des Etats, en jouant sur la faiblesse et l’absence d’unité du monde arabe.

  • un Etat kurde au Nord de l’Irak
  • un Etat arabo-sunnite dans la zone de peuplement sunnite irakien
  • un Etat chiite au centre et au sud avec une extension au Sud du Liban
  • un Etat chrétien aux alentours de Mossoul et touchant la Syrie
  • un Etat druze dans le Djebbel, Golan et Bekaa Ouest
  • un Etat pour les Alaouties syriens dans la vallée des Nazaréens
  • une enclave arabo-sunnite autour de Damas
  • un Etat chrétien dans les montagnes libanaises

Enfin la présence militaire américaine contribuerait également à se prémunir, et à parachever une ligne de « containment » face aux puissances de demain : la Chine et l’Inde.

DISCUSSION DE LA THESE :

Ce dernier point concernant le morcellement de la région apparaît irréaliste. Par exemple la création d’un Etat chrétien, regroupant des minorités irakiennes (2 à 3% de sa population) et syriennes chrétiennes, semble impossible du fait de leur faible nombre ou tout simplement de l’absence de revendication indépendantiste de part et d’autre. En revanche, l’hypothèse d’un Etat kurde, quant à lui est bien plus possible, ou plutôt qu’un état indépendant, une région à statut spécial au sein d’une « fédération Irakienne ». Par ailleurs, une balkanisation de cette région serait-elle vraiment profitable aux intérêts Américains ? En effet, Sfeir lui-même évoque le cas de l’Iran qui contrairement à ces voisins ne se morcellerait pas. Dès lors, cela pourrait au contraire favoriser l’influence iranienne notamment sur ces hypothétiques Etats chiites, ou en quête de puissance ou de reconnaissance.

Par ailleurs, la déstabilisation de la région est dans cet essai attribuée aux actions des Occidentaux (y compris l’impact de la colonisation) ou d’Israël. Cependant, le rôle des Etats arabes eux-mêmes dans la région est partiellement passé sous silence. Ainsi, l’impression qui en ressort s’inscrit dans la perspective huntingtonienne du « choc de civilisations » : l’Occident, au sens large, face aux Arabes. Or, cette vision, même si elle évoque la complexité des intérêts particuliers des Etats arabes eux-mêmes (par exemple l’alliance américano-saoudienne historique alors même que les Saoudiens financent en partie le terrorisme islamique international), oublie d’inclure cette complexité comme facteur de déstabilisation régionale.

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