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Diplomatie d’Héritage, Diplomatie d’Avenir – Hugo Decis

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Dans le cadre d’un partenariat bilatéral, les Yeux du Monde publiera à intervalles réguliers des articles rédigés par Mercoeur, une association fondée en 2017 autour de la volonté de proposer des analyses et articles traitant d’enjeux sécuritaires internationaux.

La politique étrangère française est, depuis 1945, une affaire d’équilibre. La France, comme ses partenaires européens, n’a depuis cette date plus les moyens qu’elle possédait autrefois ; elle doit composer avec l’hyperpuissance américaine, l’essor irrépressible de l’acteur chinois, la renaissance de puissances intermédiaires comme l’Allemagne et la Russie, et l’émergence de forces nouvelles au sein de l’hémisphère-sud. Mais contrairement à ses moyens, ses missions ne se sont pas réduites avec le temps. Là est le paradoxe fondateur de notre politique étrangère qui, parce qu’elle repose sur des intérêts que nous possédons tout à la fois en Europe, en Afrique, au Moyen-Orient, aux Amériques,  mais aussi au sein des océans Pacifique et Indien, n’a d’autres choix que de composer avec une nécessité suprême de l’envergure. Pourtant et en sus de ces défis nouveaux, la France doit aussi prendre en compte l’affaiblissement de son État, consécutif à plusieurs décennies de cures d’austérité qui, sous couvert d’assainir les dépenses publiques, ont en réalité désarmé nos pouvoirs. Or, tout en admettant cette relative perte de puissance, la France ne peut ignorer sa présence au sein de trois océans et sur cinq continents : cette situation géographique s’accompagnant à minima d’autant de droits que de devoirs, la nation ne peut donc pas, comme d’autres avant elle, effectuer un retrait autorisant une convergence des ambitions et des moyens. Elle est pour ainsi dire “condamnée” à défendre les intérêts naturels et inaliénables dont elle dispose dans un contexte d’affaiblissement des outils d’influence nationaux. 

Les Grands Chantiers de 2017

Au delà de la lutte contre le terrorisme, principalement au Moyen-Orient et dans l’espace Sahélien, les priorités de la politique étrangère française actuelle consistent à protéger et promouvoir nos intérêts en Afrique, accompagner notre montée en puissance en Asie et en Océanie, maintenir notre position en Europe et assurer la mise en application des accords relatifs à la COP21. Ces ambitions peuvent donc être réduites à deux catégories principales : la préservation – des acquis et de nos intérêts vitaux – et l’acquisition – de nouveaux marchés, de nouvelles relations et de nouvelles positions. Elle reflète aussi la lente mais réelle reconnaissance par la France [1] d’une nécessité d’investir durablement dans le domaine de l’intelligence économique. Pour autant, ces priorités assumées dissimulent mal les difficultés que connaît la France. En Afrique, elle doit composer avec la Chine qui, après avoir préféré pendant de nombreuses années une approche très pragmatique de sa présence sur le continent, articule désormais sa politique sur des éléments plus traditionnels [2] visant notamment à assurer la protection de ses propres intérêts et ressortissants. En Asie et en Océanie, la France doit non-seulement tenir compte de la suprématie américaine incontestable dans le domaine de la coopération avec la plupart des pays de la zone, mais encore prendre soin de ne pas antagoniser des acteurs régionaux en plein essor comme la Chine et l’Inde. Cet équilibre précaire peut s’observer dans le contrat récemment conclu entre la France et l’Australie [3] pour la fourniture de sous-marins Shortfin Barracuda : comme le note Philippe le Corre, “les Français se sont attachés le soutien des contractuels Lockheed Martin et Raytheon[4] pour ne pas inscrire leur stratégie d’exportation vers l’Océanie dans le cadre plus large d’une dynamique alternative à la présence américaine, arrachant in fine un contrat historique au concurrent de Mitsubishi Heavy Industries. En Europe, enfin, elle doit composer avec des partenaires orientaux indécis dont les structures sociales et économiques, tout comme leurs orientations stratégiques, favorisent les intérêts allemands et américains, comme en témoigne la récente pantalonnade des contrats Caracal ou encore l’influence croissante de nos partenaires rhénans sur la scène européenne. Cette position dominante, héritée plutôt que conquise, pèse lourdement sur les capacités de la France à faire soutenir par l’Union ses modestes velléités stratégiques.  La France, qui faisait de sa relative singularité sur les dossiers russes, chinois ou israélo-palestiniens la pierre angulaire de sa politique étrangère, paye lourdement son refus d’exercer un leadership européen : elle doit pour ménager ses partenaires traditionnels, s’aligner sur la doxa occidentale [5] et ce, sans en tirer la moindre récompense tangible, ce qui brouille à terme l’identité de la politique étrangère nationale, une conséquence particulièrement troublante pour les acteurs internationaux valorisant la cohérence historique des états et de leurs orientations. “En adoptant une ligne intransigeante vis-à-vis de la Syrie, de l’Iran ou de la Russie, la France achève une mue diplomatique entamée sous la présidence de François Mitterrand. Paris se met désormais au diapason d’une Union européenne qui est depuis sa création tournée vers Washington, et abandonne l’ambition d’incarner une voix originale sur la scène internationale,” affirmait Anne-Cécile Robert en 2014 [6] pour mieux dénoncer la course à l’atlantisme des élites européennes. Près de trois ans plus tard, ce sinistre tropisme s’est malheureusement confirmé ; Paris s’affirmant en lieutenant fidèle des commandants états-uniens. Pourtant, cette orientation discutable n’est pas neuve : elle était déjà critiquée en 1994 dans les colonnes du même journal où Paul-Marie de la Gorce, non-content de critiquer les renoncements français [7] aux piliers de sa politique étrangère, remettait en cause l’existence même de cette dernière. “Les bouleversements intervenus au cours des dix dernières années ont conduit la France, dans les affaires mondiales, à subir de plus en plus ouvertement la pression des Etats-Unis (et, le cas échéant, de l’Allemagne) à laquelle désormais elle offre moins de résistance.”

Atouts et Défauts de l’Acteur Français

Pour autant, la France dispose encore, dans une perspective d’influence d’atouts non négligeables : en sus d’un Ministère des Affaires Étrangères et du Développement International (MAEDI) coûteux mais qui semble enfin prendre en considération certaines nécessités de réformes longuement formulées par une cohorte d’experts et de personnalités issues de la société civile, notre politique étrangère repose sur une foule d’accords de coopération militaire, scientifique ou encore culturel couvrant une large majorité d’espaces géographiques stratégiques qui offrent à nos responsables des leviers de puissance d’une importance rare. Au-delà de ces atouts relevant des Smart et Soft Power, la France dispose par ailleurs d’un Hard Power important incarné par sa présence sur de nombreux continents et la possession d’un outil militaire performant – mais lui aussi, en perte de puissance pour des raisons similaires – et expérimenté. Est-il dès lors permis d’espérer? Loin s’en faut, puisqu’en dehors d’une orientation stratégique erratique et vivement critiquée en dehors des chancelleries occidentales, le MAEDI souffre d’un déficit structurel plus prononcé chaque année et dont les différents symptômes ont d’ores-et-déjà été longuement repris par des chercheurs qualifiés [8] peu avares en recommandations: des réductions d’effectifs mal-pensés et surtout des méthodes de sélection sacralisant les viviers traditionnels de l’Ecole Nationale d’Administration [9] et de l’Institut d’Etude Politique de Paris. Or et si ces deux institutions valident et consolident des compétences-clés, elles favorisent à l’évidence des individus possédant un certain capital social. La diplomatie française se nourrit alors de nouvelles recrues aux parcours peu-diversifiées : elles disposent certes de savoirs incontournables, mais le Quai d’Orsay n’y perd-il pas une audace qui semble aujourd’hui lui faire cruellement défaut? Or, pour inverser cette tendance, on mentionne déjà quelques pistes: Christian Lequesne, professeur à Science Po Paris et récemment auteur d’une Ethnographie du Quai d’Orsay prône par exemple une complexification des concours d’entrée au ministère. L’idée serait alors non-seulement d’évaluer les compétences des candidats, mais encore leurs personnalités et d’autres données moins quantifiables, mais tout aussi nécessaires au bon fonctionnement de la représentation extérieure française. Autres recommandations: accorder plus d’importance à l’expérience acquise dans le privé – c’est le modèle allemand – et permettre de meilleures interactions entre diplomates, chercheurs, enseignants, entrepreneurs et humanitaires – c’est le modèle norvégien.

Comment nous poser en diplomatie d’avenir et non en diplomatie d’héritage ?

Cette question formulée par le directeur général de l’Administration, monsieur Antoine Pouillieute appelle plusieurs réponses : les limites que rencontre aujourd’hui le Quai d’Orsay sont tout à la fois politiques, structurelles et institutionnelles, et l’orientation qui permettra de battre en brèche ses défauts doit donc être globale. In fine, on ne peut que souhaiter une prise de conscience totale capable de remettre en question les constructions intellectuelles des acteurs décisifs de ce secteur. Il existe donc une nécessité, si ce n’est de révolutionner la manière dont se projette la France à l’étranger, de remettre en question les “cartes mentales” qu’évoque Christian Lequesne dans l’ouvrage cité supra. Cela passera par une revitalisation de la pensée politique nationale, une ambition que n’incarne aucun des actuels candidats à la présidence, mais aussi par un réinvestissement des pouvoirs publics dans les secteurs stratégiques – ce qui traduit de fait une nécessaire opposition à la doxa libérale – ou encore une réforme, en profondeur, des institutions encadrant la pratique diplomatique française. Autant de sujets négligés par la campagne présidentielle. Au delà, il ne s’agit donc pas tant d’arracher Orsay au passé, mais bien d’adapter ce qui faisait et fait encore l’ADN de la diplomatie française à un monde en mutation, comme avait par ailleurs su le faire, dans une certaine mesure, Charles de Gaulle ou François Mitterrand. “La France rayonne lorsqu’elle défend l’intérêt général de façon compatible à son intérêt national,” affirmait encore récemment Pascal Boniface. Nous serions tenté d’ajouter : intérêt général qu’il ne faut pas confondre avec intérêt occidental, au risque de saupoudrer les thèses néo-conservatrices d’un verni humaniste, et intérêt national qu’il ne faut pas confondre avec intérêt des représentants nationaux.

Cet article, précédemment publié sur le site de Mercoeur, a été rédigé par Hugo Decis, étudiant en Relations Internationales (IRIS). Il peut être consulté ici.

[1] l’Émergence de l’Intelligence Économique en France, Christian Harbulot, Constructif

[2] Djibouti, Capitale de la Chinafrique, Sébastien Le Belzic, Le Monde – Afrique

[3] La France et l’Australie signent un contrat pour douze sous-marins, Dominique Gallois, Le Monde – Economie

[4] France’s Pivot to Asia: It’s more than just submarines, Philippe le Corre, The National Interest

[5] The French Connection: How to Sink France’s Warship Deal with Russia, Michael Moran, Foreign Affairs

[6] Plus Atlantiste que Moi, Anne-Cécile Robert, le Monde Diplomatique

[7] Les Occasions Manquées de la Politique Étrangère Française, Paul-Marie de la Gorge, Le Monde Diplomatique

[8] La Diplomatie Française : un Rayonnement très Coûteux, Nicolas Lecaussin, Fondation IFRAP

[9] La Difficile Ouverture des Cursus d’Élite, Isabelle Maradan, l’Etudiant

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