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THAAD : les Conséquences Géopolitiques de la Protection du Territoire Sud-Coréen – Clémentine Fautrel

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Dans le cadre d’un partenariat bilatéral, les Yeux du Monde publiera à intervalles réguliers des articles rédigés par Mercoeur, une association fondée en 2017 autour de la volonté de proposer des analyses et articles traitant d’enjeux sécuritaires internationaux.

Depuis la fin de la guerre de Corée 1950 – 1953, la menace nord coréenne n’a cessé de accroître. Historiquement, le pays détient une capacité balistique depuis les années 1970, suite à l’acquisition de Scuds soviétiques achetés à l’Égypte, mais cet arsenal a pris une certaine ampleur notamment à partir des années 90, à la chute de bloc soviétique. En effet, à l’époque, le développement de capacités asymétriques, nucléaire et balistique était devenu alors une priorité nationale pour faire face à l’alliance américano-sud-coréenne, si bien qu’en 2014, selon le Livre blanc de la Défense de 2014, la capacité nord-coréenne à miniaturiser des armes nucléaires a atteint un niveau « significatif », huit ans après son premier essai nucléaire de 2006. Aujourd’hui les essais nucléaires se multiplient et début 2016, l’arsenal nord coréen est estimé à une quinzaine de bombes atomiques, et pourrait compter de 20 à 30 unités d’ici 2030[1]. Ainsi, l’accroissement des capacités nucléaires de la Corée du Nord et ses provocations répétées sont le principal défi sécuritaire auquel fait face la Corée du Sud. La Présidente Park, dont le mandat restera inachevé, avait défini ses principaux objectifs de sécurité comme étant la protection du territoire et la souveraineté de la République de Corée et la sécurité des personnes ; l’établissement une paix durable dans la péninsule, la préparation à l’unification ainsi que la promotion de la coopération en Asie du Nord-est.

Pour répondre aux menaces balistiques de la Corée du Nord, (développant des missiles balistiques SCUD, FROG, Musudan, Nodong, et KN-08), la présidente prend la décision en juillet 2016 de déployer le système de défense américain THAAD (Theater High Altitude Air Defense), dont le déploiement sera accéléré avec l’arrivée des premières batteries de missiles intercepteurs début mars sur la base de l’US Air Force d’Osan. Toutefois si le déploiement de THAAD est aujourd’hui en place, le recours à un système anti missile s’inscrit dans une histoire longue et qui n’est pas sans susciter de vives débats tant à l’intérieur du pays qu’avec divers partenaires stratégiques que sont la Chine ou les Etats Unis.

Retour sur l’histoire d’un système de défense antibalistique qui se veut indépendant

La question du déploiement d’un système anti-missile en Corée du Sud se pose donc dès le début des années 1990. En 1993, le sous-secrétaire américain à la Défense, John Deutch, propose à la Corée du Sud de participer à un système régional de défense anti-missile (theatre missile defense). La vocation de ce système était également de protéger les dizaines de milliers de soldats américains dans la péninsule. Le gouvernement sud-coréen rejette la proposition américaine, de peur de « donner des prétextes » à la Corée du Nord pour développer son programme nucléaire et balistique. Cette politique se prolongera sous la présidence de Kim Dae-jung (1998 – 2003) le considérant comme inadapté aux besoins de son pays. Pour autant, la Corée du sud développe une défense anti-missile nationale. Le Korea Anti-Missile Defense system (KAMD) est officialisé en 2006, suite au premier essai nucléaire nord-coréen. Le développement de ce système a commencé par l’achat de la PATRIOT PAC-2, et plus tard a acquis plusieurs croiseurs Aegis des États-Unis. Le Patriot est un système de missile sol-air à moyenne portée construit par la firme Raytheon (États-Unis). Le Patriot combine un système avancé de missile d’interception anti-aérienne et l’un des radars les plus performants du monde (en ce qui concerne la poursuite des cibles)[2]. La Corée du Sud a également acquis des PATRIOT PAC-3 (PAC-3), version la plus performante du Patriot[3]. Ainsi, le système anti balistique KAMD fonctionne à l’aide d’informations recueillies à partir de satellites et de radars et de capteurs américains. Suite au lancement d’un missile nord coréen (1), un satellite d’alerte détecte le lancement (2), puis les informations sont transférées vers le radar SPY-1 depuis le centre de contrôle (3). Le Centre de contrôle des opérations analyse les informations (4), puis les redistribue (5). Enfin, le missile est intercepté un missile SM-6 lancé par le croiseur Aegis et un missile PAC-2 (6).

Ainsi ce système antibalistique se compose donc de quatre éléments majeurs : le radar, le poste de contrôle, le lance missile ainsi que les missiles. D’abord, un radar qui balaie le ciel pour identifier des menaces potentielles. Si un objet entrant est trouvé, le radar aide à déterminer s’il s’agit d’un missile, d’un avion de combat, d’un missile de croisière ou d’un véhicule piloté à distance. Au poste de contrôle, les opérateurs communiquent avec des forces alliées, surveillent les menaces et hiérarchisent les cibles, mais le système est capable de fonctionner de manière autonome. Lance-missile cible et lance un missile, qui est expédié prêt à être lancé dans une cartouche. Un missile peut être prêt à tirer en moins de 9 secondes. Le lanceur peut être localisé à distance du radar. Missile patriote est suivi par le radar et guidé vers une cible avec l’aide de l’ordinateur de la station de contrôle et de ses propres capteurs. Le missile PAC 3 détruit les cibles en les ramassant[4].

Des insuffisances du Korea Anti-Missile Defense (KAMD) au Terminal High Altitude Area Defense (THAAD)

Néanmoins, malgré le désir officiel de garder le système KAMD indépendant des États-Unis, le système sud-coréen utilise principalement des équipements fabriqués aux États-Unis. Des lors, les systèmes sud-coréens ne seront pas complètement indépendants de la défense antimissile des Etats-Unis. Une autre critique réalisée a été faite sur le KAMD : Actuellement, le taux de réussite des PAC-2  a été évalué à 40 % par les Américains après la première guerre du Golfe. Selon les tests des industriels, le taux de réussite des PAC-3 serait de 70% ce qui signifie que la défense du territoire ne serait que partiellement assurée en cas d’une attaque balistique nord-coréen[5].  De plus, même si tous les missiles nord-coréens sont interceptés, il est impossible d’empêcher des dégâts sur le territoire sud-coréen. En effet, il est très probable que les missiles soient dotés d’armes chimiques et biologiques, donc même interceptés en plein vol, les agents chimiques et biologiques tombent au sol où ils provoquent des pertes humaines. Tant qu’il ne sera pas possible d’intercepter ces missiles sans les faire exploser, certains analystes s’interrogent sur l’utilité du KAMD qui n’est finalement qu’une défense partielle de la Corée du Sud contre une attaque chimique : « un parapluie de papier sous une pluie acide »[6]. Face aux insuffisances du KAMD et l’intensification de la menace coréenne à la suite du test d’armes nucléaires de janvier 2016 de Pyongyang et du lancement par satellite de février 2016, Washington et Séoul ont renforcé leur approche en prenant un certain nombre d’initiatives, comme le déploiement du THAAD. Les provocations de la Corée du Nord ont propulsé une planification bilatérale plus intégrée. L’objectif de la Corée du Sud est d’accroitre la sécurité du pays en complétant son système de défense anti-missile national par un système de défense anti-missile américain censé protéger les bases américaines dans la péninsule[7].

Le THAAD bouscule les équilibres stratégiques

Ce déploiement illustre le difficile équilibre diplomatique qu’essaye de maintenir la Corée du Sud dans un contexte de compétition régionale sino-américaine. Il s’agit de garantir la sécurité de son territoire et de sa population à travers l’alliance avec les États-Unis tout en maintenant de bonnes relations avec son premier partenaire commercial et acteur clé dans le dossier nord-coréen, la Chine. Le déploiement de ce système anti missile a, d’une part des conséquences géopolitiques importantes et d’autre part interroge aussi  la classe politique coréenne dans un contexte de transition politique suite à l’élection de Moon Jae-in.

La colère de la Chine face au THAAD

En effet, on assiste aujourd’hui à un changement dans la dynamique géopolitique de l’Asie du Nord-Est. Alors que la présidente Park a passé ses trois premières années de fonction en cultivant  de bonnes relations avec la Chine, le déploiement actuel du THAAD suscite la colère de Pékin. La Chine considère ce déploiement non seulement comme un alignement de Séoul sur Washington, mais aussi comme une volonté américaine de maintenir sa primauté dans la région, au détriment de la Chine. Leur argumentaire se construit sur trois principaux points. Le premier est que le déploiement du THAAD pourrait déstabiliser la péninsule coréenne, en poussant la Corée du Nord à accélérer encore son programme nucléaire et balistique. Le second est que le THAAD, étant un système de défense américain contrôlé par les États Unis et déjà déployé à Guam et au Japon, renforcerait l’alliance américano-sud-coréenne. «Ce que la Chine conteste, en réalité, n’est pas le THAAD en lui-même. Elle sait que son déploiement ne changera pas grand chose en ce qui concerne les capacités militaires», a expliqué Choi Kang, vice-président de l’Institut Asan d’Études politiques. «Ce qu’ils contestent est la symbolique de ce déploiement, qui est des relations militaires entre la Corée du Sud, les États-Unis et le Japon qui seront renforcées[8]. Enfin, le troisième point est l’inquiétude des experts chinois  non pas de la capacité d’interception mais de la capacité de détection du THAAD, rendue possible par le déploiement d’un radar AN/TP -Y2. Selon eux, ce radar permettrait d’accroitre les capacités américaines de renseignement et d’alerte précoce en cas d’un conflit nucléaire sino-américain, et donc, de facto, les capacités d’interception de tout missile balistique intercontinental chinois lancé vers le territoire américain[9]. La Chine a accéléré ses mesures de représailles économiques contre les entreprises sud-coréennes à mesure que la venue du THAAD se concrétisait. Le groupe Lotte a été la principale cible de la colère de Pékin, ce dernier ayant fourni le terrain où seront installées les batteries antimissiles. Le ministère chinois du Tourisme a pratiquement interdit aux agences de voyages chinoises de vendre des circuits touristiques en Corée du Sud. Le responsable américain a également critiqué la Chine pour avoir pris des mesures punitives sur le déploiement, par exemple en forçant le groupe sud-coréen Lotte à fermer les supermarchés en Chine. « Sa rétorsion économique contre la Corée du Sud est inappropriée et troublante », a t-il dit. « Nous demandons à la Chine de s’abstenir de telles mesures. ».

La Russie opposée au THAAD pour des considérations stratégiques fondamentales que de réelles menaces

A une toute autre échelle, le déploiement de THAAD interroge la Russie. En réalité, l’impact de THAAD est minime dans le cas de la Russie, parce que THAAD est conçu pour intercepter des missiles balistiques à moyenne portée, or la Russie n’a pas de tels missiles, puisque en 1987 l’Union Soviétique et les Etats-Unis ont signé le Traité des Forces Nucléaires Intermédiaires. Ainsi, l’opposition russe au déploiement de THAAD est causée non tant par des menaces à la sécurité mais par des considérations stratégiques fondamentales. La Russie s’oppose à placer des éléments du système américain de défense antimissile près de ses frontières en principe. Si les complexes THAAD en Corée du Sud étaient gérés par l’armée coréenne, et non par les États-Unis, il n’y aurait probablement pas d’objection au déploiement du complexe. Des lors, la Russie et la Chine vont également effectuer des exercices conjoints supplémentaires et, éventuellement, coordonner dans le domaine de l’intelligence technique pour mieux suivre l’emplacement actuel et le mode de fonctionnement du complexe THAAD[10].

Un système qui fait débat dans la classe politique coréenne

Mais au delà des considérations géopolitiques qu’impliquent le THAAD, celui ci fait débat au sein même de la classe politique coréenne. Le principal parti d’opposition, le Minjoodang, s’oppose au déploiement du THAAD par la voix de sa présidente, Choo Mi-ae. Celle-ci considère que ce déploiement est inefficace pour protéger le territoire sud-coréen, qu’il détériore inutilement les relations sino-sud- coréennes et qu’il devrait obtenir au préalable l’accord de l’Assemblée nationale, où son parti détient la majorité. En mars 2017, des députés du Parti démocrate de Corée ont déposé une proposition de résolution à l’Assemblée nationale appelant le gouvernement à rechercher le consentement du Parlement à propos du déploiement en Corée du Sud du système antimissile américain THAAD[11]. La position des principaux candidats à l’élection présidentielle est ambigüe. Le nouveu président élu, Moon Jae-in, s’est illustré il y a plusieurs mois en affirmant qu’il se rendrait à Pyongyang avant de se rendre à Washington, a affirmé que la décision devrait être prise par le prochain président reconnaissant qu’il serait difficile à ce dernier de revenir sur la décision si le déploiement était finalisé avant l’élection présidentielle). Face à ces positions, le Secrétaire d’Etat Américain Tillerson a déclaré « Je m’attends à ce que le nouveau gouvernement en Corée du Sud continue de soutenir le système THAAD, car il est dirigé uniquement à la défense de la République de Corée« [12].

Enfin, selon Barthélémy Courmont, si le nouveau président Sud Coréen parvient à maintenir THAAD tout en approfondissant le dialogue avec Pyongyang et rassurant Pékin, il ne remettra pas en cause l’alliance avec les États-Unis. S’il décide d’abandonner THAAD, on peut aisément imaginer à l’inverse que les réactions américaines ne tarderont pas. Derrière cette élection, la question géopolitique est clairement de voir si les États-Unis ne sont pas en train de « perdre » l’allié sud-coréen, Moon étant visiblement favorable à une forme d’émancipation et d’affirmation de son indépendance, comme il l’a notamment indiqué dans un récent entretien au Washington Post[13].

Cet article, précédemment publié sur le site de Mercoeur, a été rédigé par Clémentine Fautrel, étudiante en Relations Internationales (IRIS). Il peut être consulté ici.

[1] « Corée du Nord : le difficile accès à la dissuasion », Défense et sécurité internationale, janvier – février 2016, p.21

[2]A Review of South Korean Missile Defense Programs”, The Marshall Institute, Policy Outlook, March 2014.

[3] « Patriot PAC-3. » Aerojet Rocketdyne. Web. 22 Dec. 2013  http://www.fi-aeroweb.com/Defense/Patriot-PAC-3-MSE.html

[4] http://world-defense.com/threads/patriot-missile-long-range-air-defence-system.511/

[5] Jee David Eunpyoung et Ryu Leo Hyungwoo, « Quelle défense anti missiles pour la Corée du Sud? », Korea Analysis, No. 6, mai 2015.

[6] Ibid

[7] « U.S.-South Korea Relations, Congressional Research Service Report », octobre 2016

[8] http://french.yonhapnews.co.kr/features/2017/03/07/0900000000AFR20170307003700884.HTML

[9] Antoine Bondaz, « La réaction chinoise au déploiement du THAAD, illustration du dilemme sud-coréen », Note de la FRS, n°09/2017.

[10] https://www.rbth.com/opinion/2017/03/28/china-plans-deploy-anti-thaad-cruise-missiles-729028

[11] http://french.yonhapnews.co.kr/news/2017/03/28/0200000000AFR20170328003400884.HTML

[12] http://asia.nikkei.com/Politics-Economy/International-Relations/Tillerson-doubles-down-on-support-for-THAAD-missile-shield?n_cid=NARAN012

[13] http://www.iris-france.org/94281-nouveau-president-en-coree-du-sud-vers-une-redefinition-de-la-diplomatie-dans-la-peninsule/

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