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Djibouti à la croisée des chemins – Sébastien Patacq

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Lorsque vous demandez où se trouve Djibouti, peu de gens savent répondre. C’est pourtant sa localisation géographique qui assure à ce tout petit pays d’Afrique orientale l’essentiel de ses revenus. Ayant tout juste fêté le quarantième anniversaire de son indépendance (le 27 juin), Djibouti entend pousser son atout géographique pour devenir un pivot régional incontournable. Depuis plus de quarante ans, les grandes puissances qui voulaient s’assurer un accès rapide à la péninsule arabique et à la mer d’Arabie (et à l’Océan Indien) y ont installé des bases : on compte aujourd’hui une base française (base aérienne 188), une base américaine (à Camp Lemmonier), une base japonaise et même une base chinoise depuis 2015.

Carte précisant la situation géographique des bases militaires américaine et chinoise à Djibouti. (Cliquez pour voir en plus grand)

Or, Djibouti semble aujourd’hui jouer à plein la carte chinoise pour se construire un destin. Les autorités djiboutiennes ne se limitent pas à assurer à l’Armée de Libération Populaire de Chine sa première base de déploiement aussi loin de sa zone d’influence asiatique. La Chine avait dans un premier temps affirmé que cette base ne servirait qu’à protéger ses SLOC (Sea Lanes of Communication), vitales pour l’économie chinoise, mais l’annonce il y a quelques mois d’augmenter le budget militaire afin de créer des unités de marines ne laisse à présent guère de doute sur son usage militaire. D’autre part, la géoéconomie agressive de la Chine suscite d’autres craintes que le gouvernement djiboutien ne partage visiblement pas. Le Président Ismaïl Omar Guelleh (en poste depuis 1999) a récemment inauguré la zone portuaire que la Chine construit à Doraleh. Le 24 mai 2017 avait lieu cette cérémonie d’inauguration du Port Multifonctions de Doraleh (DMP) en présence des ambassadeurs chinois et éthiopien, où le président Guelleh avait d’ailleurs invité son homologue somalien. Le 19 juin 2017, le même président Guelleh inaugurait le nouveau port de Tadjourah qui sera cette fois entièrement dédié aux exportations de minerais éthiopiens. Les travaux ont été confiés à une société chinoise, Bao Ye Hubei Construction (DJI FU SARL).

Djibouti et l’Éthiopie renforcent de cette manière leurs efforts d’intégration économique ; l’Éthiopie bénéficie ainsi d’un accès maritime de premier plan et Djibouti entend ainsi profiter de la croissance éthiopienne. Ces deux pays s’intègrent parfaitement dans le grand projet des nouvelles routes de la soie qui se prolonge sur le continent africain du nord au sud à partir de Djibouti. Les entreprises chinoises sont encore à la manœuvre pour construire ou moderniser des infrastructures ferroviaires passant par l’Éthiopie, le Kenya et la Tanzanie, le tronçon reliant Nairobi à Mombasa ayant été inauguré il y a à peine quelques semaines (le 31 mai). On voit donc se dessiner un long corridor faisant de Djibouti le hub logistique qui permettra à la Chine non seulement d’assurer ses approvisionnements énergétiques et en minerais, mais aussi de lui garantir des débouchés pour ses produits manufacturés dans les pays africains. Pour le moment, les investissements directs chinois sont bien accueillis par la majorité des pays africains. Djibouti constitue une pièce maîtresse dans le projet chinois pour l’Afrique.

Il n’en reste pas moins que Djibouti se situe dans un espace particulièrement instable, avec de nombreux pays voisins en guerre ou dans une précarité extrême : Somalie, Yémen, Erythrée. Djibouti essaie en outre de sortir d’une économie de rente qui laisse plus du tiers de sa population au chômage. La question est de savoir si Djibouti sera capable de pousser son atout géographique pour transformer sa rente de situation en développement réel de son économie.

 

Sébastien Patacq est un ancien élève de l’IEP de Lille et titulaire de deux masters de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) en études politiques et histoire. Il est actuellement professeur d’histoire-géographie en collèges et lycées.

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