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Le crépuscule de la France d’en haut – Christophe Guilluy – Fiche de lecture

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Paru à la rentrée scolaire 2016, Le crépuscule de la France d’en haut, est un essai du géographe français Christophe Guilluy, insistant sur les fractures territoriales dans l’Hexagone. L’originalité de cet essai est de préférer une fracture entre métropoles et périphéries (monde rural, villes petites et moyennes) plutôt qu’entre villes et campagnes. Cet ouvrage fait suite à La France périphérique paru en 2014, qui s’inscrit dans la même ligne politique.

Une fracture durable entre métropole et périphérie

Avec l’avènement de la Mondialisation et l’ouverture progressive de la France à un modèle  socio-économique libéral, la société française – à l’instar des États-Unis – s’est scindée en deux. La France dite d’en haut est incarnée par tous les gagnants de la Mondialisation (cadres supérieurs), qui se concentrent dans les 15 plus grandes agglomérations françaises et dominent la vie politique, culturelle et médiatique française. Ces métropoles, comme Paris ou Lyon, prétendent incarner un modèle d’ouverture et de solidarité, opposé au monde rural, conservateur et replié sur lui-même. Pourtant, ce sont dans ces villes que les fractures territoriales sont les plus visibles, les classes aisées vivant en centre-ville, loin des banlieues où se concentrent les populations immigrées. Par divers moyens (évitement résidentiel ou scolaire, hausse des prix immobiliers), les classes supérieures encouragent l’entre-soi et le communautarisme. La représentation d’une société ouverte devient alors un moyen pour les élites de légitimer le modèle libéral dont elles bénéficient : alors que les cadres parisiens accumulent un important capital immobilier et que les classes populaires quittent la capitale devenue trop chère, Paris reste un des grands bastions de la « gauche » actuelle. La société parisienne, très similaire aux Rougon-Macquart décrits par Zola, se déguise en bobos ou hipsters pour paraître compatissants avec des classes populaires qu’elle ne côtoie plus. En effet, les objectifs de mixité sociale sont désormais irréalisables, le prix du mètre carré étant passé en moyenne, de 2500€ il y a quinze ans, à 8000€ de nos jours, voire 15000€ dans certains quartiers de l’Ouest parisien. La rupture entre les classes populaires et les élites est désormais totale, ces dernières récupérant à leur compte certaines cultures populaires comme le football. Même si le pourcentage de logements sociaux augmente, c’est uniquement pour maintenir les « key-workers » en ville (professions intermédiaires comme les policiers, les instituteurs, le personnel de santé), car il n’ont plus les moyens de se loger autre part. Cet entre-soi total engendre une reproduction sociale des élites, et un blocage de l’ascenseur social. Une fracture invisible et durable s’est créée : les classes supérieures sont ultra-majoritaires à l’Assemblée (98% des députés), au cinéma, à la télévision, dans les musées, au théâtre, dans le business… à tel point que le discours social qu’ils tiennent finit par les convaincre. Les élites n’ont même plus conscience de cette fracture avec les classes populaires, car dans les faits, la mixité sociale est inexistante. Alors que la gauche et la droite française ne s’opposent plus que sur la forme, ces dernières perdent leur légitimité auprès des classes populaires.

La société française s’est américanisée ; elle se sépare entre les grandes métropoles qui concentrent les emplois et la richesse, et la France périphérique, composée des territoires ruraux, des petites et moyennes villes. En plus d’une activité économique peu vigoureuse, ces derniers ne profitent même plus du système redistributif français, qui s’adresse aux populations immigrées des banlieues. Les inégalités entre ces deux France s’accroît donc. La France périphérique ne communique plus avec la France d’en haut : les critiques du capitalisme libéral sont assurées par des populations intégrées au modèle mondialisé (la bourgeoisie urbaine contre les « 1% »), les mouvements sociaux comme les grèves sont assurés par les urbains et non par les classes populaires qui ne se déplacent plus dans les villes. Ces classes populaires ne sont pas repliées sur elles-mêmes, mais sont plus préoccupées par la survie de leur capital social et culturel, que le modèle libéral mondialisé est en passe de détruire. La France périphérique n’attend plus l’aide de l’État, qui sera insuffisante ou inexistante, mais développe un modèle solidaire et d’entraide pour faire face à la difficulté du quotidien. De son côté, obnubilées par « les minorités », les classes dominantes en viennent à oublier cette France périphérique, et avec ses difficultés.

Des conséquences néfastes pour les élites urbaines ?

Cette situation débouche sur une crise socio-politique majeure. Même si une majorité des classes populaires ne vote pas, la France périphérique représente la majorité de l’électorat du Front national. Les classes supérieures prennent désormais conscience qu’elles perdent le contrôle des classes modestes.

Ainsi, pour éviter d’être renversées, les élites diabolisent la représentation du Front national, en véhiculant l’image d’une France blanche et xénophobe qui n’a rien à voir avec eux. Les villes font l’apologie d’une société ouverte qui les oppose à cette périphérie fermée et raciste, cachant les problèmes de fond de notre société. La France d’en haut cherche même à restreindre le champ démocratique quand son modèle est en danger, comme lors du référendum pour la Constitution européenne de 2005, finalement mis en place deux ans plus tard avec le traité de Lisbonne, cette fois sans l’avis du peuple français. On avance désormais que cette France périphérique n’est pas suffisamment éduquée pour voter, nous orienterions nous alors vers une ploutocratie en restreignant le droit de vote ?

Nous assisterions alors au crépuscule de la France d’en haut, dont l’hégémonie semble en passe d’être dépassée par une nouvelle lutte des classes menée par la France périphérique.

Critiques formulées contre le livre : Bien qu’homme de gauche, Christophe Guilluy a souvent été accusé à cause de cet ouvrage de rendre service au Front national, en critiquant les banlieues et les élites. Enfin, le géographe livre là une vision pessimiste de la fracture territoriale française, ne laissant pas entrevoir de réconciliation possible entre les France d’en haut et celle périphérique.

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