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Pourquoi les dirigeants du Sahel revendiquent l’abandon du franc CFA – Loup Viallet

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Le franc CFA fait à présent débat, au-delà du continent africain, et déborde largement des cercles traditionnels du pouvoir pour nourrir un débat public franco-africain. Symbole à la fois d’un ordre économique (hier, le capitalisme français, aujourd’hui celui des marchés de la zone euro) et d’un pouvoir politique (dont la gestion est en partie transférée, via des accords de coopération monétaire, au gouvernement français et les orientations sont déléguées de facto à la Banque centrale européenne), le franc CFA est devenu l’étendard d’un nombre incalculable de luttes politiques, et réunit contre lui des voix très différentes.

Aujourd’hui, sur 14 Etats africains membres du CFA, seuls les quatre dirigeants sahéliens du Burkina Faso, du Mali, du Niger et du Tchad ont manifesté leur opposition officielle à cette monnaie, sans toutefois chercher à en sortir unilatéralement.  De tous les Etats-membres du FCFA, seuls ceux qui ont un passé colonial avec la France ont des gouvernants qui contribuent au débat sur la coopération monétaire, quand certains dirigeants ne participent ni d’un camp ni d’un autre, comme ceux de la Centrafrique, de la Guinée équatoriale ou de la Guinée-Bissau. Les Etats les plus puissants et les plus stables des deux zones CFA, Côte d’Ivoire, Sénégal, Cameroun, Bénin revendiquent leur maintien dans la coopération monétaire franco-africaine. Ils sont suivis de près par les dirigeants du Congo, du Gabon ou du Togo, dont les soutiens sont plus nuancés, mais qui restent fidèles au système monétaire actuel. Enfin se détache le camp des opposants officiels au franc CFA, composé des quatre dirigeants sahéliens, qui sont à la tête des Etats les plus vulnérables des deux zones monétaires africaines. Reste à savoir si ces derniers ont les moyens de leurs ambitions, considérant que le retrait unilatéral est permis par les traités de coopération, et qu’ils ne l’ont pas déclenché jusqu’à présent.

Sortir du franc CFA : menace crédible ou coup de pression diplomatique et bluff électoraliste pour les Etats du Sahel ?

Il semble que les virulentes critiques émises par les dirigeants burkinabè, malien, nigérien et tchadien sur le franc CFA comme « monnaie coloniale » ou « instrument de domination économique » ne portent pas tant sur les fonctions de cette monnaie, qui garantit des importations encore nécessaires pour leur survie, que sur ce que cette devise représente au Sahel. Alors que l’influence économique française est de plus en plus relative sur le continent, le franc CFA demeure un symbole de puissance économique de la France en Afrique et, depuis son enchâssement dans l’euro, il est aussi devenu un symbole de la mondialisation des économies sahéliennes. Avec cette monnaie, on achète des produits français, européens, chinois, indiens, états-uniens ; pas des produits locaux, excepté ceux de l’agriculture vivrière, en quantités insuffisantes. Les indépendances politiques n’ont pas été suivies par un demi-siècle de prospérité, et cette devise, créée sous la colonisation est toujours garantie par l’ancienne métropole, dont la présence au Sahel est à la fois nécessaire et exaspérante. On dénombre 14.000 ressortissants Français dans leurs capitales, soit trois fois plus que le nombre de Chinois y travaillant. Les activités françaises au Sahel ont un rôle stratégique pour la France mais pas moins que les activités chinoises dans la région. Le monopole d’Areva sur les mines d’uranium du Niger a été brisé avec l’arrivée du groupe chinois Sino-Uranium, qui exploite une partie de ces hydrocarbures pour garantir une partie des approvisionnements énergétiques de la République populaire. Où la critique du symbole de la puissance économique française en Afrique aveugle les Africains quant au renforcement de la domination chinoise sur le continent.

A focaliser uniquement leurs critiques sur l’ancienne métropole coloniale, les détracteurs du franc CFA en viennent à confondre son influence, de plus en plus relative, avec celle des « nouveaux maîtres de l’Afrique », les Chinois, dont le poids économique est exponentiel sur le continent. Cependant il apparaît que la présence chinoise au Sahel, qui porte un modèle analogue de relations macroéconomiques avec les Etats de la sous-région (exploitation et achat des matières premières, vente de produits transformés en Chine) est plus discrète que celle des Français, et accompagnée de davantage de dons directs, quand le gouvernement français privilégie les prêts, qui occasionnent des dettes. Les Chinois sont présents comme investisseurs dans des projets d’infrastructures de transport, d’habitat, comme commerçants et hôteliers, membres d’instituts culturels. Leur influence croissante est éclipsée par un autre symbole du pouvoir français omniprésent dans la région : l’armée française. Après Serval, lancée en 2013 au Mali,  l’opération Barkhane maintient 4000 soldats répartis dans 7 bases sahéliennes depuis 2014, qui protègent les populations et les activités économiques de toutes les nationalités. L’intensification de la présence française au Sahel ne s’est cependant pas accompagnée d’un redressement de l’activité économique dans ces Etats, et face à une Chine principalement intéressée par les affaires commerciales et la construction d’infrastructures, la France apparaît, avec son récent redéploiement militaire, comme une puissance aux abois, accrochée à son ‘‘pré carré’’.

L’opposition sahélienne au franc CFA : plus opportuniste que déterminée.

Les quatre dirigeants sahéliens motivent leur opposition au franc CFA par leur volonté d’adopter au plus vite une monnaie commune africaine, celle que prévoit de lancer la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Ce projet est néanmoins incertain et ne constitue pas encore option de remplacement du franc CFA : repoussé à 2020, sa mise en œuvre ne fait encore l’objet d’aucun consensus. Ces quatre Etats du Sahel n’ayant jamais non plus demandé le retrait unilatéral de leur pays de la zone franc, qui est pourtant prévu aux articles 12 et 17 des accords de coopération monétaires conclus en 1972 et 1973 par le gouvernement français avec chacune des zones CFA, il semble que les prises de position anti-FCFA de leurs gouvernants soient à considérer comme des coups de menton. Un bluff, qui aurait pour motivation première de séduire des électeurs excédés par la pauvreté et l’impuissance de leurs Etats. Peut-être à travers ces postures exercent-ils un chantage, une pression sur l’ex-métropole en vue d’obtenir davantage d’aides : la France et les Etats d’Europe ne cessent de démontrer depuis 2013 qu’ils ont besoin d’un Sahel stable pour leur sécurité, et dans le même temps l’importance des Français comme partenaires politiques et économiques est de plus en plus dépréciée par la présence accrue d’une autre grande puissance mondiale, la Chine, dans les affaires de la région. C’est donc le meilleur moment pour exercer une pression sur l’ancienne métropole, qui est tout à la fois affaiblie et impopulaire sur le continent, et dont la sécurité migratoire, comme celle de ses voisins en Europe, se joue entre Ouagadougou et N’Djaména.

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L’auteurLoup Viallet a commencé à travailler auprès de grandes collectivités territoriales et d’institutions internationales il y a près de sept ans. Il a fondé en novembre dernier le blog « Questions africaines » à destination du grand public et des responsables politiques ; les analyses qui y sont produites sont fréquemment reprises par des journaux tant spécialisés que généralistes comme Les Echos, Œil d’Afrique, la revue Conflits ou des quotidiens africains comme La Prospérité

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