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L’Occident et sa bonne parole – Karoline Postel-Vinay – Fiche de lecture

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« La démocratie nord-américaine ou européenne est imparfaite mais elle reste, sans l'ombre d'un doute, le moindre mal »

Flammarion, 2004, 219 pages.

AUTEUR : Karoline Postel-Vinay

Karoline Postel-Vinay est chercheuse au CERI-CNRS, spécialiste de l’Asie Orientale, et en particulier du Japon. Elle est l’auteur de La Révolution silencieuse du Japon (Caimann-Lévy, 1994) et de Corée, au coeur de la nouvelle Asie (Flammarion, 2002).

OBJET :

Cet essai est le fruit d’une inquiétude européenne : comment concilier l’expérience traumatisante du déclassement international, flagrant depuis le déclenchement de la guerre en Irak, et la volonté de porter des valeurs universelles ? Comment vivre la « bonne parole » sans se prendre pour un missionnaire ?

RESUME :

Introduction :

Selon l’auteur, on ne peut que se réjouir de la prééminence internationale de l’Occident, puisque « la démocratie nord-américaine ou européenne est imparfaite mais elle reste, sans l’ombre d’un doute, le moindre mal ». L’ethnocentrisme occidental et leur supériorité dans différents domaines les conduit a imposer au reste du monde leur vision des relations internationales. Karoline Postel-Vinay ne  remet pas en cause les valeurs sur lesquelles ce discours se fonde : « Femme et intellectuelle, je ne peux pas sérieusement proposer que mes droits soient défendus par toute autre nation que celles qui règnent, en ce début du XXI° siècle, sur la scène internationale ». Pour autant, s’interroge-t-elle, l’Occident ( l’Amérique, de nos jours ) ne défend-il pas mal ses valeurs ?

I- L’écriture du monde: un projet moderne

K. Postel-Vinay montre, dans une première partie, que « l’écriture du monde » est un projet moderne. C’est seulement à la fin du XIX° siècle, avec l’expansion coloniale, que s’ébauche en Europe une vision globale du monde. Les régions périphériques y sont intégrées de gré (Japon, Turquie) ou de force (Chine), alors même qu’elles avaient développé, à leur échelle, leur propre « cosmologie locale » (p. 40). Il n’est pas anodin que ce discours ait été porté par des géographes qui, confrontés à la fin de l’espace « vide « (l’expression est de l’historien contemporain Stephen Kern), ressentent le besoin de « penser le monde et sa globalité » – selon l’expression de Michel Foucher – en posant les prémices de la Geopolitik. Notons par ailleurs que la mise en oeuvre de cette politique mondiale est d’une part nécessaire, en tant que conséquence du développement technologique, et d’autre part un choix. La carte du monde que l’Europe dessine est un damier multicolore d’Etats souverains dont la grammaire est toujours la même 120 ans plus tard, la multiplication de ces entités théoriquement souveraines n’y ayant rien changé. C’est de cette époque que date la division de la planète en sept continents , qui est tout sauf incontestable, comme l’atteste le débat très actuel sur les frontières de l’Europe. En outre ce projet d’écriture du monde rencontre un large concensus au sein des sociétés orientales désireuses de s’occidentaliser.

II- Le grand récit Géopolitique du XX° siècle

K. Postel-Vinay démontre dans une deuxième partie comment le même discours géopolitique a continué  à prospérer durant le XX° siècle. La Première Guerre mondiale constitue un bon exemple de discours européo-centriste (même si elle fut longtemps désignée en Europe même comme la Grande Guerre). Qu’avait de mondial ce conflit où l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine furent si peu impliquées et n’avaient en tout état de cause pas leur mot à dire ? La Seconde Guerre mondiale fut peut-être plus globale que la première : elle causa plus de victimes sur le front soviétique ou dans le Pacifique que dans la « vieille Europe ». Pourtant, on l’appelle « Grande Guerre patriotique » en URSS et « Guerre de résistance contre le Japon » en Chine, ce qui reflète l’existence d’autres perceptions géopolitiques. En fait, si ces guerres ne sont pas a proprement parler mondiales au sens géographique, elle structurent indéniablement l’ordre international. En ce sens, Wilson considère qu’une guerre est mondiale lorsqu’elle est à la fois totale et idéologique. Ce qui a changé au cours du XX° siècle, c’est l’origine de ce discours. Les Etats-Unis ont remplacé l’Europe à la source de cette idéologie géopolitique. Et aucun « contre-récit » (chap. 6) n’a offert d’alternative durable à ce discours dominant. Pendant tout le XX° siècle, l’orchestre des nations a toujours joué selon un tempo occidental. Jamais le discours des non-alignés n’est parvenu à prendre le pas sur celui de la Guerre froide. Même le discours altermondialiste, qui préconise une gestion différente de la mondialisation, ne constitue pas à proprement parler un « contre-récit » géopolitique face au discours mondialiste dominant depuis les années 1980.

III- La bataille pour repenser le monde

Après la Guerre froide et une dizaine d’années de flottement, le 11 septembre a semblé redonner un sens à la scène internationale. C’est l’objet de la dernière partie du livre. Les Etats-Unis se sont retrouvés un ennemi et ont pu déclencher leur « guerre contre la terreur », présentée parfois comme une quatrième guerre mondiale (Eliot Cohen, Commentary, octobre 2001, repris notamment par Pascal Boniface, Vers la quatrième guerre mondiale ?, Armand Colin, 2005). Forts de leur combat contre le fascisme et le communisme, les Etats-Unis sont persuadés que leur victoire passera par l’exportation de leurs valeurs et l’américanisation de leurs ennemis. Rien n’est pourtant moins sûr. Et les apories de la guerre en Iraq laissent planer la menace d’un monde « discontinu ».

C’est là, nous dit K. Postel-Vinay, que l’Europe aurait son mot à dire. Car, à la différence des Etats-Unis qui se croient investis de la mission d’exporter leurs valeurs au reste du monde – qui apprécie mal de se voir dicter ses choix en la matière – l’Europe n’a pas une telle morgue. Après avoir traversé deux guerres civiles qui l’ont laissée exsangue, l’Europe a su, à l’instar de la Chine du siècle précédent, élaborer une « cosmologie locale », à mi-chemin entre l’universalisme abstrait et le patriotisme orgueilleux. Face au contre-récit que pourrait constituer aujourd’hui l’islam fondamentalisme, l’Europe, qui a connu au milieu du XX° siècle, au profit des Etats-Unis, le même « décentrage » que celui qu’avait connu la Chine à son profit soixante ans plus tôt, aurait « la capacité d’introduire une autre vision de la scène internationale en défendant le principe de la coopération régionale ».

ANALYSE :

L’auteur écarte, à chaque fois, la relation entre les Etats-Unis et l’Europe : ce débat est mis de côté sous prétexte qu’il n’y a pas lieu d’exprimer de différence quand il est question de l’Occident. Mais peut-on vraiment mettre sur un pied d’égalité les démocraties européennes et la démocratie américaine ? Et qu’en est-il des relations propres, et plutôt problématiques ces temps-ci, entre ces deux puissances, certes occidentales, mais néanmoins concurrentes sur nombre de points ?

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