Asie et Océanie

Fin du traité FNI : vers une crise des asiomissiles ?

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Les Etats-unis ont officiellement annoncé, ce samedi 2 février, leur sortie du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire. Ce retrait symbolise par ailleurs la réorientation de leurs priorités stratégiques vers l’Asie, sur fond de rivalité croissante avec la Chine.

Déclin stratégique du théâtre européen 

signature entre Gorbatchev et Reagan du traité FNI
Signature du traité FNI en 1987

Le 8 décembre 1987, Mikhaïl Gorbatchev et Ronald Reagan signaient, à la Maison blanche, le traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI). Il venait alors clore la crise des euro-missiles des années 80, où SS-20 soviétiques et Pershing américains se faisaient face sur le sol européen. Conformément aux dispositions du traité, les deux pays avaient interdiction de développer et de déployer tous types de missiles terrestres dont la portée était comprise entre 500 et 5000 kilomètres.

Aujourd’hui, le théâtre européen occupe une place décroissante dans les priorités stratégiques américaines. Même si la Russie a hérité de l’armement soviétique, elle ne représente plus une menace réelle pour les Etats-Unis. De plus, ces derniers peuvent s’appuyer sur la protection offerte par le bouclier antimissile européen. A l’origine prévu contre les « Etats voyous », ce dispositif, qui avait d’ailleurs motivé la sortie en 2003 d’un autre traité nucléaire : le traité ABM, peut suffisamment entraver les missiles russes sans avoir nécessairement besoin des garanties du FNI.

Si les Etats-Unis ont montré un tel empressement à se retirer du traité, c’est qu’ils souhaitent par ailleurs avoir les mains libres face à la montée en puissance de la Chine. Ces dernières années, la Chine a en effet considérablement augmenté ses capacités militaires, ce que les Américains observaient avec frustration, étant liés par leurs engagements avec la Russie, qu’ils soupçonnent d’enfreindre le traité.

La réponse à l’expansion militaire chinoise

La prolifération des arsenaux balistiques et de croisière chinois fait craindre aux analystes et militaires américains, qu’en cas de conflit avec l’armée populaire de libération, la supériorité et le nombre de leurs missiles limiteraient drastiquement les marges de manœuvre de l’armée américaine à défendre ses positions et ses alliés asiatiques, au premier rang desquels Taïwan. Or, Washington estime que 95% des quelque 2 000 missiles chinois rentrent dans la catégorie « FNI ».

Dès lors, comment répondre à la prolifération chinoise et à la possibilité d’un déni d’accès qu’elle engendre ? Fallait-il rester dans le traité FNI parallèlement au renforcement de la force balistique de la VIIème flotte ? Cette solution offrait le double avantage de maintenir le statu quo en Europe autant que de garantir un coût-efficacité militaire satisfaisant. Ou se désengager du traité FNI pour mieux répondre à la menace chinoise ?

Une voie intermédiaire semblait avoir été trouvée au sommet de l’Etat américain, par un désengagement progressif du traité, mais Trump a surpris, en annonçant, le 20 décembre dernier, le retrait brutal des Etats-Unis du traité. Sans doute sensible aux arguments des faucons américains, avec qui il partage une détestation des traités, perçus comme des carcans, il a toutefois souhaité que celui-ci renaisse sous la forme d’un accord tripartite avec la Chine comme partie prenante.

La signature d’un traité FNI tripartite ?

Il est vrai que les deux puissances avaient un temps évoqué la possibilité d’un retrait conjoint à défaut d’une multilatéralisation. Pour l’heure, c’est bien le retrait des deux parties qui prévaut, tandis que les moyens de pression apparaissent peu évidents à l’encontre de la Chine, qui ne sera guère disposée à s’infliger une restriction volontaire. Il y a même fort à parier que ce retrait représente une preuve supplémentaire, aux yeux de Pékin, de la justesse de sa politique étrangère, et l’encourage à développer plus encore son arsenal, pour protéger ce qu’elle considère comme ses « intérêts légitimes » dans la région.

A l’opposé de l’effet souhaité, ce retrait américain pourrait contribuer à une course à l’armement entre les deux puissances en Asie-pacifique, accentuant encore un peu plus la polarisation entre les pays de la région. Cette perspective est d’autant plus inquiétante que la crise des euromissiles nous offre un certain recul historique.

 

Sources

https://www.theguardian.com/world/2018/oct/20/trump-us-nuclear-arms-treaty-russia

https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/mikhail-gorbatchev-condamne-le-retrait-de-washington-d-un-traite-sur-les-armes-nucleaires-794795.html

https://foreignpolicy.com/2018/10/22/trumps-plan-to-leave-a-major-arms-treaty-with-russia-might-actually-be-about-china/

https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/retrait-traite-fni-service-apres-vente-americain-moscou

Heim, Jacob, Missiles for Asia? The Need for Operational Analysis of U.S. Theater Ballistic Missiles in the Pacific. Santa Monica, CA: RAND Corporation, 2016. https://www.rand.org/pubs/research_reports/RR945.html.

Gedement, F. Le désarmement nucléaire en Asie : l’autre volet de l’accord FNI. Enjeux internationaux. FeniXX réédition numérique, 1989. https://books.google.fr/books?id=WopYDwAAQBAJ.

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