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Mauritanie, le mirage démocratique ?

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Le 22 juin 2019 fera date pour la Mauritanie. C’est du moins l’idée que partagent les citoyens mauritaniens alors que le pays s’apprête à élire un nouveau président.  Outre un simple scrutin, l’élection présidentielle représente un tournant majeur pour la République islamique. En plus de mettre fin à la décennie au sommet de l’État de Mohamed Ould Abdel Aziz, celle-ci marque la première passation de pouvoir démocratique dans l’histoire d’un pays traditionnellement miné par l’instabilité et les coups d’État à répétition. Un compromis national fragile qui inquiète autant qu’il suscite l’espoir.

Tous les ingrédients étaient pourtant réunis…

Une vue du désert mauritanien
La Mauritanie, vaste État africain aux multiples régions enclavées à l’intégration nationale complexe

Réconcilier la Mauritanie avec elle-même : tel est le maître-mot de l’élection présidentielle du 22 juin 2019. La société civile aspire plus que jamais à une passation de pouvoir saine et démocratique. C’est ce dont une grande partie de la classe politique se fait l’écho en proposant tout d’abord une certaine pluralité. Six candidats sont en lice dans la course à la magistrature suprême. Pluralité de candidats, mais également d’idées. Des thématiques délicates et parfois taboues sont abordées sans ambages dans le cadre des débats. Les questions de la cohabitation nationale et du désenclavement, ainsi que la réforme de l’armée sont mises sur la table par Kane Hamidou Baba,  quand Biram Dah  Abeid, opposant historique tire à boulets rouges sur le laisser-faire présidentiel quant à l’esclavage.

Le jour du scrutin, les observations pourraient inciter à l’optimisme. A la diversité de l’offre politique vient rapidement s’apposer une forte mobilisation. Dès la fermeture des bureaux de vote, certains membres de la Commission électorale nationale et indépendante (Céni) font état alors d’une participation avoisinant les 55% dans le pays, pour une mobilisation finale de 62,67%. De plus, la Commission salue un calme relatif et bienvenu en marge du scrutin comme l’explique alors RFI : « Le président de la Céni quant à lui, Mohamed Vall Ould Bellal, a indiqué un peu plus tôt que le scrutin s’est globalement bien déroulé sur l’ensemble du territoire ». Pluralité, mobilisation et civisme semblent avoir été au rendez-vous. Cependant, les prochaines heures n’auront de cesse de mettre à mal cet état de fait. Tous les ingrédients étaient pourtant réunis.

Mohamed Ould Ghazouani, bis repetita ?

Une photographie du général Ghazouani, nouveau président de la Mauritanie
Le candidat élu Mohamed Ould Ghazouani, alors général au poste de Ministre de la défense

Dans la nuit du 22 au 23 juin, la promesse du changement semble s’éloigner inexorablement. Avant même l’annonce des résultats officiels, Mohamed Cheikh Ould Ghazouani s’autoproclame vainqueur dès le  premier tour, avec 50,56% des voix sur la base de 80% des dépouillements. Le scénario du pire est à l’œuvre du point de vue de l’opposition. Ce dernier, considéré officieusement comme le « dauphin » de Mohamed Ould Abdel Aziz s’achemine avec certitude vers les sommets de l’Etat. Militaire de formation, le Général Mohamed Ould Ghazouani occupa notamment la fonction de Ministre de la défense, qualifié par ses contempteurs de « compagnon de route » de l’ancien président mauritanien.

Dès cette annonce prématurée, l’opposition procède à une véritable levée de boucliers à l’encontre de ce qu’elle qualifie de « hold-up », « coup de force » ou encore de « coup d’État électoral ». Les principaux partis opposés au statu quo pointent alors de nombreuses irrégularités, allant de la fraude électorale et du bourrage d’urnes à l’expulsion de leurs représentants dans certains bureaux de vote. Une véritable guerre de tranchées entre mouvances politiques est à l’œuvre dans le pays, jusqu’à la conférence de presse commune de quatre candidats déboutés le mercredi 26 juin 2019. MM. Baba, Boubacar et Abeid annoncent dans ce cadre le dépôt d’un recours en invalidation auprès de la Cour constitutionnelle. Toutefois, la lutte ne se borne pas qu’au contexte politico-institutionnel. Le candidat anti-esclavagiste pointe en ce sens « un état de siège qui ne dit pas son nom ».

Une Mauritanie sous haute tension

En parallèle de la prise de parole de Mohamed Ould Ghazouani, des violences éclatent, notamment à Nouadhibou et Nouakchott. La Mauritanie entre alors dans une véritable semaine noire. Le pouvoir, encore entre les mains de Mohamed Ould Abdel Aziz opte pour une stratégie répressive assumée. De nombreux opposants sont arrêtés en marge des cortèges, quand la police et l’armée opèrent un déploiement national. Internet et le réseau mobile sont également coupés dans l’ensemble du pays. Justifiant une posture « préventive », l’État contribue dès lors à attiser les braises de l’inimitié entre communautés arabo-berbères haratines et afro-mauritaniennes, historiquement déchirées. La promesse électorale du 22 juin s’est muée en un réel détonateur pour la reprise de l’instabilité au long cours.

Au-delà de la stricte sphère nationale, Nouakchott prend de court les observateurs en désignant ses coupables pour le moins inattendus : « l’étranger proche ». Ahmedou Ould Abdallah, Ministre de l’intérieur évoque « une main étrangère venue des pays voisins ». Cette position se voit renforcée par la convocation de trois représentants par le Ministre des affaires étrangères. Ismael Ould Cheikh Ahmed reçoit en ce sens les ambassadeurs gambien, malien et sénégalais à des fins de « justification » sur la présence d’étrangers présumée dans les manifestations. Malgré cet imbroglio généralisé, la Céni déclare bel et bien Mohamed Ould Ghazouani vainqueur de l’élection présidentielle avec 52,01% des voix le 1er juillet 2019. Ou quand la promesse d’un changement devient celle d’une situation sclérosée.

Un tableau des scores des candidats à l'élection présidentielle mauritanienne
Résultats définitifs de l’élection présidentielle mauritanienne du 22 juin 2019. Chiffres de la Céni – Commission électorale nationale indépendante du 1er juillet 2019. Crédits : Antoine Vandevoorde

Sources :

BAYO Ibrahima Jr. « « Main étrangère » en Mauritanie : comment réagissent le Sénégal, le Mali et la Gambie ». La Tribune Afrique, 28 juin 2019 [lien]

FRANCE 24. « Présidentielle Mauritanienne : l’opposition dénonce un « état de siège » ». France 24, 26 juin 2019 [lien]

LE MONDE. « En Mauritanie, Mohamed Ould Ghazouani se proclame vainqueur de la présidentielle ». Le Monde, 23 juin 2019 [lien]

MOCTAR Mohamed. « Présidentielle mauritanienne : un taux de participation aux alentours de 55% ». Agence de Presse Africaine – APA, 22 juin 2019 [lien]

1 – RFI. « Présidentielle en Mauritanie : paroles de candidats ». RFI, 20 juin 2019 [lien]

2 – RFI. « Mauritanie: les autorités justifient le renforcement sécuritaire ». RFI, 28 juin 2019 [lien]

3 – RFI. « Présidentielle en Mauritanie: la victoire du général Ghazouani confirmée ». RFI, 1er juillet 2019 [lien]

VERDIER Marie. « En Mauritanie, l’élection du président est un « nouveau coup d’État » pour l’opposition ». La Croix, 26 juin 2019 [lien]

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Antoine Vandevoorde

Antoine Vandevoorde est analyste en stratégie internationale, titulaire d'un Master 2 Géoéconomie et Intelligence stratégique de l'IRIS et de la Grenoble Ecole de Management depuis 2017. Ses domaines de spécialisation concernent la géopolitique du cyberespace, les relations entreprises - Etats, l'intelligence économique et l'Afrique. Il est rédacteur aux Yeux du Monde depuis mars 2019.

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