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Diplomatie des petits pas entre Riyad et Bagdad

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L’année 2017 a marqué un tournant dans les relations entre l’Arabie saoudite et l’Irak. Rencontres entre dirigeants, promesses de signatures de contrats, ou encore réouverture d’un poste frontière, Riyad multiplie les gestes de sympathie envers le gouvernement chiite de Bagdad. Les deux pays avaient coupé tous liens diplomatiques en 1990. L’Iran ne semble pas s’en inquiéter outre mesure, du moins pour le moment. 

Les deux pays ont coupé leurs relations pendant la guerre du Golfe.

Il y a un an, en février 2017, le ministre saoudien des Affaires étrangères se rendait à Bagdad. La visite d’un haut responsable de la monarchie sunnite en Irak est une première depuis vingt-sept ans.
En août, l’Arabie saoudite faisait le choix de rouvrir le poste frontière d’Arar, situé à la frontière irakienne. Dans la foulée, elle faisait un don de dix millions de dollars en faveur des réfugiés irakiens. À première vue, ce n’est pas une somme importante pour le royaume wahhabite quand on connaît la fortune de celui-ci et sa préoccupation quasi-inexistante pour la question des réfugiés au Moyen-Orient. Mais ce don recouvre une dimension symbolique importante entre deux pays qui recommencent à peine à  dialoguer, après plus de deux décennies de silence.

Création d’un Conseil de coopération à Riyad

Le 22 octobre, le roi Salmane et le Premier ministre irakien Haïder Al-Habadi inauguraient à Riyad un Conseil de coopération conjoint, axé sur la lutte contre l’État islamique. Rex Tillerson, chef de la diplomatie américaine était également présent. Et ce n’est pas un hasard. Les États-Unis souhaitent depuis longtemps que l’Arabie Saoudite investisse en Irak pour aider à reconstruire le pays. Mais celle-ci s’y refuse depuis vingt-sept ans.

L’Arabie saoudite a en effet coupé tous liens diplomatiques avec l’Irak après que Sadam Hussein ait envahi le Koweït en 1990. Le renversement du dictateur irakien en 2003 et la mise en place d’un gouvernement chiite n’a pas amélioré les relations entre Bagdad et Riyad. Les Saoudiens refusaient en effet de dialoguer avec l’Irak, car cela se serait apparenté à reconnaître le pouvoir chiite de Bagdad et donc à le légitimer. L’Irak est aussi considéré par les Saoudiens, depuis 2003, comme totalement inféodé à l’Iran, ennemi numéro un du royaume wahhabite.

L’avancée de l’Etat islamique change la donne

Alors, pourquoi la situation a-t-elle changé aujourd’hui ? En 2014, Haïder Al-Habadi est élu premier ministre en Irak. Ce dernier est considéré comme plus indépendant vis-à-vis de l’Iran que ses prédécesseurs. L’avancée de l’État islamique en Irak la même année a contraint Riyad à changer de camp et à faire un pas en avant vers Haïder Al-Habadi. Le premier geste diplomatique a été l’envoi d’un ambassadeur saoudien à Bagdad en 2016.

Washington analyse le rapprochement entre Riyad et Bagdad comme une grande progression stratégique pour contrecarrer l’influence iranienne en Irak. Ce rapprochement est toutefois à relativiser. Les deux pays sont bien loin de devenir alliés. La diplomatie saoudienne est pragmatique. Elle ne souhaite plus, du moins à court-terme, faire tomber le gouvernement chiite de Habadi. Si elle ne peut pas agir directement sur l’influence iranienne, elle veut au moins la contrôler.

Mais avant de décider d’investir massivement en Irak, il lui faut certaines garanties. Notamment concernant l’avenir des milices chiites parrainées par l’Iran, toujours présentes sur le sol irakien. Les Saoudiens exigent qu’elles quittent le pays. Le royaume wahhabite attend aussi les résultats des élections législatives irakiennes de mai 2018, pour savoir si oui ou non, le camp « modéré » de Haïder Al-Habadi remportera la majorité des sièges.

Ce rapprochement n’inquiète pas l’Iran. Au contraire, il est dans l’intérêt de la République islamique que l’Irak se normalise et se reconstruise. Téhéran n’a en effet pas les capacités économiques pour rebâtir l’Irak à lui seul.

Reste à savoir jusqu’où ira l’Arabie saoudite. Pour l’instant, la plupart des rencontres et déclarations sont basées sur des promesses. Les actes concrets sont encore rares et reconstruire l’Irak va coûter cher. Le coût estimé pour les seules zones sunnites, principales régions détruites, est estimé à 100 milliards de dollars.

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Pablo MENGUY

Ancien étudiant en école de journalisme, aujourd'hui en master à l'Institut français de Géopolitique (IFG).

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