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France-Japon : tour d’horizon d’un siècle et demi de rapports inconstants

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Le défilé militaire du 14 juillet 2018 a reçu un invité d’honneur, le Japon. À l’occasion du 160e anniversaire des relations diplomatiques franco-japonaises, Emmanuel Macron a reçu le Ministre des Affaires étrangères Tarô Kôno dans la tribune officielle et des soldats des FAD – Forces japonaises d’autodéfense – ont pris part au défilé. Comment ces liens ont-ils démarré, il y a plus d’un siècle et demi ? Comment ont-ils évolué jusqu’à aujourd’hui ?

Shinzô Abe et Emmanuel Macron.
Shinzô Abe et Emmanuel Macron.

Ouverture forcée d’un Japon résolument fermé

La seconde moitié du XIXe siècle a été déterminante pour le Japon. Un seigneur de la dynastie Tokugawa domine l’archipel. Le territoire est alors plus petit que le Japon actuel. Tokugawa se fait nommer shôgun – chef d’armée – au service de l’empereur. Une manière de se légitimer en utilisant la figure impériale, considérée d’ascendance divine. En réalité l’empereur ne conserve qu’un statut d’image.

Le pays du Soleil Levant mène alors une politique isolationniste stricte. Des liens commerciaux existent avec la Chine, la Corée et les territoires hollandais, mais sur une partie très restreinte de l’archipel. À partir de 1840, l’ordre asiatique est bouleversé par les puissances européennes.  Le Japon est affaibli par une économie agricole peu dynamique – les techniques utilisées atteignent leurs limites. Certains clans de l’archipel adoptent de nouvelles technologies européennes, et la pression occidentale devient de plus en plus forte. En 1854, l’amiral américain Matthew Perry obtient, par la force, l’ouverture du Japon.  C’est le début d’une nouvelle ère, dans laquelle s’engouffrent les Français avec le traité « d’amitié et de commerce » du 9 octobre 1858. La France investit dans la modernisation japonaise. C’est notamment un ingénieur français, Henri-Auguste Pélegrin, qui installe le premier éclairage public au Japon en 1872, à Yokohama.

Une image culturelle française qui freine l’élargissement des rapports

Le contexte historique – la défaite de 1870, la situation politique française instable – amène progressivement le Japon à se détourner de la France au profit de l’Allemagne. L’archipel conserve néanmoins un certain attrait culturel, artistique vis-à-vis de la France. Cet aspect se renforce après la Seconde Guerre mondiale. Il représente alors un certain élitisme au sein de la société japonaise post-militariste [1]. Cependant, ces liens demeurent assez restreints, et la France investit peu dans l’archipel comparé aux autres puissances occidentales. Les entreprises françaises peinent à s’installer durablement.

Dans les années 90, le président Jacques Chirac se démarque par ses nombreux voyages au Japon, et relance ainsi les rapports diplomatiques étroits entre les deux pays. Cependant, en dehors de cet aspect, les retombées commerciales ne sont pas concluantes. Les acteurs industriels français rencontrent toujours de grandes difficultés à s’affirmer sur le marché japonais. Le système de relations d’affaires, basé sur des rapports de long terme et très différent du processus européen, pourrait être une des raisons. En parallèle, la France conserve une image, quelque peu surannée, centrée sur l’aspect culturel.

Les difficultés économiques japonaises de la fin des années 90 et la fulgurante ascension chinoise des années 2000 détournent l’attention française. Entre 1996 et 2013, aucun président français ne se rend sur le territoire japonais en visite d’État. Nicolas Sarkozy avait, de plus, fait des déclarations péjoratives sur la culture japonaise, la mettant en comparaison avec la Chine. Ces impairs diplomatiques avaient choqué l’opinion publique de l’archipel et participé à refroidir plus profondément les rapports.

Briser l’idée d’inaccessibilité du marché japonais

Le président François Hollande effectue une visite d’État en 2013, accompagné de chefs d’entreprise français. Le but est de rompre avec ce sentiment d’inaccessibilité du marché japonais et de relancer les relations entre les deux pays [2].

Le Japon demeure en effet plus fermé que la plupart des puissances économiques importantes notamment concernant les investissements étrangers. Néanmoins, depuis quelques années, le gouvernement mène une politique de libéralisation afin d’améliorer la compétitivité.

Au niveau européen, un accord de libre-échange, le Japon-EU Free Trade Agreement, est en phase de finalisation depuis 2017. Le JEFTA constitue une avancée cruciale pour l’Europe. Le Japon constitue le 3e marché mondial de consommation mais sa relative fermeture n’en fait que le 7e marché d’exportation pour l’UE [3]. L’intérêt pour les entreprises européennes est donc de pouvoir exporter plus – une augmentation de 16 à 24 % [4] est prévue suite à la mise en vigueur de l’accord. L’industrie automobile, la machinerie électrique et les appareils médicaux sont particulièrement concernés. Ces secteurs représentent des produits majeurs dans les importations européennes du Japon [5]. L’échelle européenne apparaît donc avantagée dans les échanges économiques.

Des liens maintenus, mais peut mieux faire

En parallèle, le gouvernement d’Emmanuel Macron semble aujourd’hui vouloir tout au moins conserver, voir renforcer la coopération avec l’archipel. Le contexte est-asiatique, avec le dossier nord-coréen, a orienté les préoccupations vers le domaine sécuritaire. Les rapports sont ainsi particulièrement maintenus sur ce plan. En janvier 2018, la Ministre française des Armées Florence Parly et le Ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian se rendent au Japon. Il s’agit de la 4e session du dialogue politico-militaire « 2+2 ».

Les rapports franco-japonais ont encore beaucoup de chemin à faire sur le plan commercial. Le Japon représente tout de même le premier investisseur asiatique en France, et le second partenaire asiatique de l’Hexagone, mais le déficit bilatéral commercial français se creuse – 3,56 milliards d’euros en 2017, contre 2,6 milliards d’euros en moyenne sur la dernière décennie [6].

[1] KESSLER Christian et SIARY Gérard, “France-Japon, histoire d’une relation inégale”, La vie des idées – Collège de France, 12 septembre 2008.

[2] MALIBEAUX Sophie, « France-Japon : une relation à reconstruire », RFI, 6 juin 2013.

[3] European Commission, « The EU-Japan agreement explained », 6 février 2018.

[4] POISSONNIER Hugues, « Pourquoi et comment le JEFTA pourrait remettre le commerce international au service de la paix », The Conversation, 1er mai 2018.

[5] European Commission, Countries and regions – Japan.

[6] Ministère de l’Économie et des Finances, Commerce et investissements France-Japon.

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Jessy PÉRIÉ

Diplômée d'un Master 2 en Géopolitique et prospective à l'IRIS, Jessy Périé est analyste géopolitique et journaliste, spécialisée sur la zone Asie orientale. Elle s'intéresse particulièrement aux questions de politique extérieure chinoise et japonaise.

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