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Le Canada, laboratoire international de la légalisation du cannabis ?

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Le Parlement canadien a adopté le 19 juin dernier une loi autorisant la consommation de cannabis à des fins récréatives. L’entrée en vigueur de cette mesure le 17 octobre ranime les débats sur le bien-fondé de la légalisation. Sous l’impulsion du gouvernement de M. Justin Trudeau, le Canada devient le premier pays du G20 à légaliser le cannabis, et par la même occasion, entre en contradiction avec ses engagements internationaux.  

Le Cannabis Act légalise le cannabis à des fins récréatives au Canada

Le Canada, laboratoire international de la légalisation du cannabis ?
Le cannabis devient légal au Canada le 17 octobre 2018

Le 17 octobre 2018, le Cannabis Act est entré en vigueur au Canada, avec un objectif clair et précis : légaliser la consommation de cannabis pour les adultes âgés de 18 ans ou plus, sous réserve de restrictions provinciales. La consommation de cannabis à des fins récréatives ne sera donc plus punie, mais encadrée par la loi. La consommation à des fins thérapeutiques était déjà autorisée depuis 2001.

Fédéralisme canadien oblige, les 13 provinces et territoires disposent d’une large marge de manœuvre. Sont ainsi laissés à leur appréciation l’âge légal de consommation (18 ou 19 ans), l’autorisation de culture personnelle du cannabis, ou encore les modalités de la vente (privée, publique ou hybride). Par exemple, le Québec opte pour une légalisation encadrée : la culture personnelle de cannabis restera interdite – alors que la culture de quatre plants par résidence est autorisée en Colombie-Britannique – et la vente y sera 100 % publique, contrairement au Manitoba où elle sera entièrement gérée par le secteur privé, via des licences de production délivrées par le ministère de la Santé.

La pluralité des positions des provinces canadiennes reflète l’intensité des débats ayant précédé l’adoption de la loi, qui figurait au programme électoral de Justin Trudeau en 2015. La question de l’âge légal de consommation fait notamment polémique : autorisant la consommation à partir de 18 ou 19 ans, le gouvernement canadien reconnaît toutefois que le cannabis est plus nocif chez les jeunes de moins de 25 ans, dont le cerveau n’a pas fini de se développer. Les modalités de la vente sont également soumises à débat. Le marché du cannabis est estimé à environ 6 milliards de dollars canadiens (4 milliards d’euros) par an. Dans les provinces autorisant la vente privée, les entreprises chargées de la vente du cannabis chercheront naturellement à augmenter leurs profits et donc à pousser les clients à la consommation, entrant de fait en contradiction avec l’objectif de santé publique mis en avant par le gouvernement.

Le Canada, pionnier de la légalisation du cannabis à l’international

Le Canada devient le premier pays du G20 à légaliser la consommation de cannabis à des fins récréatives, et seulement le deuxième pays dans le monde après l’Uruguay en 2013. Avec le Cannabis Act, le gouvernement canadien confère un poids international certain à la légalisation du cannabis, ajoutant ses quelques 37 millions d’habitants aux 70 millions d’humains ayant déjà accès légalement au cannabis récréatif (Uruguay et certains Etats américains). Le Canada fait donc office de laboratoire à l’international, les effets d’une telle mesure dans le pays – quant à l’évolution du niveau global de consommation ou du rôle joué par les trafics – étant susceptible de servir de points de repères en vue (ou non) de futures légalisations autour du globe. Ainsi, la Nouvelle-Zélande a d’ores et déjà prévu un référendum à l’horizon 2020. En légalisant le cannabis, le Canada assume une posture de « puissance douce » à l’international, préférant une régulation souple à un système répressif souvent inefficace.

Le Canada rattrapé par le droit international

Ainsi que l’a justement souligné en mars dernier l’Office international de contrôle des stupéfiants (OICS) affilié à l’ONU, la légalisation du cannabis au Canada entraîne la violation de 3 traités des Nations Unies signés par le Canada, à savoir la Convention unique sur les stupéfiants (1961), la Convention sur les substances psychotropes (1971), et la Convention des Nations unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes (1988).

La ministre canadienne des Affaires étrangères, Mme Chrystia Freeland, a affirmé l’intention d’Ottawa de ne pas se retirer de ces traités, qui, outre le cannabis, encadrent la circulation d’une centaine d’autres drogues et substances illicites. L’OICS ne dispose toutefois que d’un pouvoir de recommandation, et non de sanction, sur les Etats signataires des traités. Le Canada s’expose toutefois à des conséquences plus politiques que juridiques sur la scène internationale. En choisissant de violer délibérément ces traités, le gouvernement canadien prend le risque de perdre en crédibilité lorsqu’il tentera de rappeler leurs obligations internationales à d’autres Etats. Dans la foulée du G7 canadien tenu en juin dernier, la Russie avait d’ailleurs reproché au Canada d’avoir « délibérément choisi de violer ses obligations internationales », contrevenant ainsi aux principes du G7 (dont la Russie n’est pas membre) de « dominance du droit international sur les relations entre les États ». Si Moscou – contrairement à Washington – n’a pas réussi à semer la zizanie espérée entre les membres du G7, il n’en reste pas moins que le Cannabis Act affecte de manière ambivalente l’image internationale du Canada, celle d’une puissance douce, n’hésitant toutefois pas à violer ses engagements internationaux pour promouvoir ses intérêts nationaux.

Références

http://www.justice.gc.ca/fra/jp-cj/cannabis/

https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2018/06/20/canada-le-cannabis-deviendra-legal-le-17-octobre_5318577_3222.html

https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/01/06/legalise-depenalise-prescrit-le-cannabis-dans-le-monde-en-neuf-graphiques_5238203_4355770.html

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1129155/cannabis-marihuana-legalisation-decriminalisation-monde

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1118661/cannabis-legalisation-vente-commerce-alcool-prive-marijuana

http://www.lapresse.ca/actualites/politique/politique-canadienne/201806/27/01-5187443-la-russie-pourfend-le-canada-sur-la-legalisation-du-cannabis.php

 

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Thibault FARAUS

Thibault FARAUS est étudiant en 3ème année à Sciences Po Lyon et actuellement en échange à l’Université de Vancouver. Passionné par les questions diplomatiques et la marche du monde à l’heure de la mondialisation. Rédacteur aux Yeux du Monde depuis août 2018.

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