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Jair Bolsonaro, visage d’un Brésil et d’une Amérique Latine en crise

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Par son accession à la présidence du Brésil en battant aisément le candidat du Parti des Travailleurs (PT), Jair Bolsonaro illustre la crise économique et sociétale brésilienne, et plus largement d’une Amérique latine à un tournant de son histoire de ce début de XXIe siècle.

Élection tendue, programme radical

Après la destitution de Rousseff et l’emprisonnement de Lula, cette défaite marque-t-elle un coup de grâce pour le PT ?

Avec un programme de droite dure – voire d’extrême-droite pour nombre de commentateurs – Jair Bolsonaro a remporté l’élection présidentielle brésilienne avec 55,13% des voix face à Fernando Haddad, ancien maire de São Paulo et candidat de gauche du Parti des Travailleurs (PT, au pouvoir de 2003 à 2016). Cet ex-capitaine de l’armée est particulièrement controversé en raison de déclarations ouvertement homophobes, racistes, misogynes et pro-dictature. Néanmoins, alors que le pays est englué dans un état de crise mêlant stagnation économique, violence exacerbée et corruption politique, cette figure populiste a émergé irrésistiblement au cours des dernières années, profitant des déconvenues du PT. Il n’a pourtant jamais été que député et est isolé sur l’échiquier politique brésilien. Pendant de nombreux mois les débats ont été phagocytés par la question de la candidature de Lula da Silva. L’ancien président est en effet incarcéré pour corruption dans le cadre de l’immense affaire Lava Jato. Son éviction définitive de la compétition électorale – alors qu’il était en tête des sondages – a ouvert un boulevard à Bolsonaro.  Cette condamnation, la destitution de Dilma Rousseff, ainsi que cet échec électoral devraient plonger la gauche brésilienne dans une grave crise pour les prochaines années.

Le nouveau président de la première puissance latino-américaine souhaite mélanger libéralisme économique, autoritarisme étatique et conservatisme sociétal. En matière économique, Bolsonaro mise sur des privatisations afin de réduire la dette de l’État brésilien, une réduction des dépenses sociales et des baisses d’impôt pour les classes moyennes et supérieures. Une politique déjà initiée par le président par intérim Michel Temer depuis 2016. Les milieux financiers semblent satisfaits de ce programme néo-libéral puisque la bourse de São Paulo est à un pic historique.

C’est avant tout sur la question de la sécurité que Bolsonaro a construit son succès. Avec des mesures d’autoritarisme pour endiguer la vague de violence que vit le pays depuis plusieurs années son discours a pris dans l’opinion. Il a d’ailleurs été lui-même blessé lors d’une tentative d’assassinat au couteau deux mois avant l’élection. Nul doute qu’il tentera d’user de tous les instruments coercitifs à sa disposition pour réaffirmer la puissance de l’État. Il s’est en outre déclaré favorable à la torture et à la légalisation du port d’arme. De plus Sergio Moro, le juge qui a condamné Lula à 12 ans de prison, a été nommé ministre de la Justice. Bien qu’il ait déclaré vouloir respecter la démocratie, les prises position de Bolsonaro concernant la dictature militaire (1964-1985), affirmant notamment qu’elle n’était pas allée « assez loin », laissent planer le doute sur ses véritables intentions. Cependant, alors qu’il a frôlé l’élection au premier tour, son Parti Social-Libéral (PSL) ne dispose pas de la majorité  parlementaire. La nécessité de compromis afin de pouvoir gouverner devrait ainsi freiner les possibles velléités autoritaires du nouveau président brésilien.

Un tournant pour la politique étrangère brésilienne ?

José Antonio Kast, le Bolsonaro chilien?

Sur le plan diplomatique, il est encore difficile d’évaluer la politique étrangère qu’adoptera Bolsonaro après son investiture en janvier. Cette dimension a été absente de la campagne, mais une rupture devrait s’opérer avec la ligne diplomatique antérieure du Brésil. Jair Bolsonaro est avant tout guidé idéologiquement par un anticommunisme qui l’a amené à fortement critiquer les régimes cubain et vénézuélien et remettre en cause tous les accords passés entre le Brésil et ces pays. En outre, cela devrait l’amener à se rapprocher des États-Unis et de Donald Trump. Il l’avait félicité lors de sa victoire face à Clinton et celui-ci lui a rendu la pareille. Une nouvelle rupture quand on se souvient que la recherche d’une émancipation brésilienne sur la scène internationale (jusqu’à postuler à un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU) et la promotion du multilatéralisme avaient été les lignes directrices du pays pendant les années Lula. Le Mercosur pourrait se retrouver fragilisé : le futur ministre de l’économie – Paulo Guedes – a affirmé que  l’institution « ne sera pas une priorité ».

Le virage à droite adopté dernièrement par l’Amérique latine devrait permettre à Jair Bolsonaro de trouver des alliés de circonstance en matière économique. On peut penser notamment à Mauricio Macri en Argentine ou Sebastián Piñera au Chili. D’ailleurs, il a été annoncé que son premier voyage à l’étranger serait à Santiago, alors que la tradition était d’aller à Buenos Aires. Toutefois, ces dirigeants de droite de la région sont proches du néo-libéralisme économique de Bolsonaro, sans partager son autoritarisme. Pourtant, cette droite bien plus radicale commence à s’étendre ailleurs qu’au Brésil, où les circonstances exceptionnelles ont accéléré son émergence. Par exemple, entre les deux tours de l’élection Bolsonaro a reçu la visite de dirigeants de la droite dure chilienne, la présidente de l’Union Démocratique Indépendante (UDI) Jacqueline Rysselberghe, et surtout de l’ancien candidat à la présidentielle José Antonio Kast. Ce dernier, qui avait réalisé un score de 8%, est le pendant chilien de Bolsonaro, avec qui il partage nombre de positions. Il s’agit notamment d’un défenseur de longue date de l’héritage de la dictature de Pinochet. Il sera intéressant dans les prochains mois d’observer si l’élection brésilienne a des répercussions à l’échelle de l’Amérique latine. Celle-ci patauge dans un marasme économique (1,3% de croissance annoncée pour 2018) et plusieurs pays sont en pleine crise politique (Venezuela, Pérou). Le Brésil pourrait être le départ d’une vague réactionnaire et néo-populiste latino-américaine ?

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Lucas MAUBERT

Doctorant en Histoire à l'Université de Tarapacá (Chili). Diplômé de l'IEP de Rennes et de l'Université Rennes 2. Rédacteur pour Les Yeux du Monde depuis 2016.

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