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L’Ouzbékistan, un foyer djihadiste en Asie centrale

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Le 30 mai 2019, 156 citoyens d’Ouzbékistan, majoritairement des femmes et des enfants, ont été rapatriés des prisons syriennes. Un avion affrété par Tachkent a ainsi relié les deux capitales pour ce transfert de détenus djihadistes.

Pourtant, ce pays d’Asie centrale ne semble pas, aux premiers abords, être un haut lieu de l’islam rigoriste. En effet, le pays est issu de la longue tradition soufie de l’Islam d’Asie centrale. Les anciennes républiques socialistes qui la composent ont conservé la nature laïque de leurs nations respectives. Pourtant, l’Ouzbékistan et les ouzbeks des autres républiques d’Asie centrale représentent une part non négligeable des djihadistes présents en Syrie, Irak ou encore Afghanistan.

Une sinistre liste d’attentats originaire d’Ouzbékistan

Djihadisme en Ouzbékistan
L’Ouzbékistan, d’une culture millénaire, est malheureusement sous la lumière des projecteurs pour son vivier de djihadistes

Cette vérité s’est imposée à tous dans les années 2016 et 2017. A Istanbul tout d’abord, l’aéroport Atatürk subit un triple attentat suicide de l’Etat Islamique. Un Ouzbek était membre du trio kamikaze. Une quarantaine de personnes décèdent.

En novembre 2016, un attentat, à nouveau revendiqué par Daesh, frappe un lieu saint du soufisme au Pakistan et fait 52 morts. L’auteur de l’attaque est là aussi un adolescent ouzbèke.

Le 1erjanvier 2017, à Istanbul, encore une fois, un Ouzbek affilié à Daesh ouvre le feu à la Kalashnikov dans la boîte de nuit Reina, tuant 39 personnes.

Le 3 avril 2017, une explosion survient sur la ligne 2 du métro de Saint-Pétersbourg. L’explosion fait 16 victimes. L’auteur présumé est un Kirghize d’ethnie ouzbèke lié à Al-Qaïda.

Enfin, le 7 avril 2017, une voiture bélier tue 5 personnes à Stockholm. L’auteur, d’ethnie ouzbèke et de nationalité tadjike, avait prêté allégeance à l’Etat Islamique.

Ouzbékistan : une présence djihadiste d’ampleur

Ce radicalisme s’exprime par la présence de véritables groupes armés d’ouzbeks sur le théâtre syrien. Un rapport de l’ONU pointe en particulier du doigt une katiba (brigade de combat) commandée par un ouzbèk : Souleymanov. Ce chef djihadiste a pris le commandement d’un pan d’une brigade d’Asie centrale affiliée à Hayat Tahrir al-Sham.

Une partie du Mouvement Islamique d’Ouzbékistan, mentionné en début d’article, va trouver refuge en Afghanistan après ses tentatives d’attentat en Ouzbékistan. Cette présence en territoire afghan génèrera une alliance entre Al-Qaïda et le MIO.

Cependant, la présence ouzbèke est surtout notable au sein de Daesh. L’un des leaders de l’Organisation Etat Islamique était Abdul Rahman al-Ouzbeki. Il meurt en avril 2017 à Deir ez-Zor. Sa kunya (nom de combattant) est très évocatrice de son origine.

Selon les estimations, entre 2000 et 5000 combattants originaires d’Asie centrale auraient rejoint Daesh au Levant. Parmi eux, une proportion importante est originaire d’Ouzbékistan et de la vallée d’Osh. Certains seraient actuellement présents au sein de l’Etat Islamique au Khorasan.

Comment expliquer ce phénomène ?

Tout d’abord, l’agressivité du pouvoir ouzbek à l’égard de toute forme de religion a poussé une partie des musulmans ouzbeks vers la revendication religieuse. En effet, ce pays majoritairement musulman est toujours tenu par un pouvoir issu d’une tradition soviétique. Sa religion majoritaire définit en partie l’Ouzbékistan actuel, pays d’Asie centrale multiethnique, lieu de passage millénaire des routes de la Soie. Il y a donc eu la volonté de créer des partis islamistes à la fin de l’ère soviétique. Toutefois, ceux-ci subissent les foudres de Tachkent. La répression de partis ou groupes islamistes indépendants va pousser ceux-ci vers un islam plus rigoriste proche du wahhabisme. C’est le cas notamment du groupe islamiste non violent Hizb al-Tahir qui prône un califat pan-islamique. Cette volonté de « retour aux sources », en partie financée par les puissances sunnites du Golf, s’articule autour de groupes clandestins.

Cette « négation » identitaire d’un pan entier de l’histoire et de la culture d’Asie centrale par le président Islam Karimov est sans doute un facteur de la radicalisation en Ouzbékistan.

L’engrenage de tensions va encore s’accentuer après une tentative d’assassinat du président en 1999. Cet événement, appelé les « bombes de Tachkent », est attribué au Mouvement Islamique d’Ouzbékistan. Cette organisation classée terroriste par l’ONU veut établir un régime théocratique basé sur la charia.

En 2005, un soulèvement dans la ville d’Andijan est réprimé par le pouvoir. Un demi-millier de personnes sont y meurent. L’origine de ce soulèvement prend forme dans l’arrestation de 23 entrepreneurs locaux accusés d’être des extrémistes islamistes.

Une présence d’Ouzbeks étrangers

Une partie des Ouzbeks présents dans les rangs de l’Etat Islamique ou de groupes djihadistes affiliés à Al-Qaïda sont de nationalité différente. Certains sont Kirghizes, d’autres Tadjiks. Cela s’explique par le partage entre les trois anciennes républiques soviétiques de la vallée de Ferghana. Des membres d’ethnie ouzbèke ont ainsi été répartis au Tadjikistan ou Kirghizistan en fonction de leur lieu d’habitation dans la vallée. Le Mouvement Islamique d’Ouzbékistan a ainsi trouvé refuge dans la vallée et pu y développer son idéologie. De plus, les affrontements d’Och en 2010 ont engendré des massacres d’Ouzbeks kirghizes, causant la mort d’environ 77 personnes, majoritairement ouzbèkes.

Ces violences ethniques ainsi que la perte d’un certain niveau de vie après l’arrivée brutal du capitalisme après la chute de l’URSS ont ainsi encouragé en partie le radicalisme religieux.

La présence de frontières communes avec l’Afghanistan laisse malheureusement présager un enracinement djihadiste supplémentaire en Asie centrale et le développement de ces poches extrémistes issues majoritairement d’un Etat Islamique retourné à la clandestinité.

Sources :

– « L’Ouzbékistan rapatrie des femmes et des enfants partis en Irak et en Syrie », Novastan, 2 juin 2019, (https://www.novastan.org/fr/ouzbekistan/louzbekistan-rapatrie-des-femmes-et-enfants-partis-en-irak-et-en-syrie/)

-« Islam radical et djihadisme ouzbek : suite aux attentats d’Istanbul, de Saint-Pétersbourg et Stockholm », Sciences Po, Thierry Zarcone, mai 2017, (https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/oir/islam-radical-et-djihadisme-ouzbek-suite-aux-attentats-d-istanbul-de-saint-petersbourg-et-stockh)

-« Les menaces terroristes en Asie centrale, réalité ou fiction ? », Novastan, 2 juin 2019, (https://www.novastan.org/fr/kirghizstan/les-menaces-terroristes-en-asie-centrale-realite-ou-fiction/)

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Harold MICHOUD

Harold Michoud est étudiant de Grenoble Ecole de Management et effectue une poursuite d'étude en géopolitique au sein de l'IRIS SUP'.

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