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Le Tadjikistan : gangrené par le radicalisme religieux

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Dans un précédent article sur le djihadisme en Ouzbékistan, il avait été fait mention de rapatriement de familles de djihadistes au Levant vers Tachkent. Douchanbé a annoncé un rapatriement similaire à celui de son voisin ouzbek en mai 2019. Ainsi, 84 personnes ont ainsi été transférées des prisons syriennes vers le Tadjikistan.

Le gouvernement du Tadjikistan a pris la décision de rapatrier ses ressortissants du Levant et d'amnistier les revenants
Le  Tadjikistan a pris la décision de rapatrier ses ressortissants du Levant 

A l’inverse de l’Ouzbékistan, Douchanbé est restée relativement discrète sur sa décision. Le site Novastan a pourtant relayé l’information, et cela a de quoi interpeller. Le gouvernement tadjik a gracié 111 djihadistes revenus de Syrie et d’Irak. Pour bénéficier d’une grâce, les djihadistes devaient revenir de manière volontaire du Levant tout en présentant des excuses pour avoir rejoint une organisation terroriste.

Ce choix qui semble surprenant aux premiers abords peut s’expliquer par des problématiques internes au Tadjikistan. Douchanbé ne fait ici pas preuve de complaisance mais tente d’agir avec pragmatisme.

Que justifie cette décision ? 

Plusieurs raisons peuvent être mises en avant. Tout d’abord, le Tadjikistan possède une frontière avec l’Afghanistan de 1206 kilomètres. Dans un pays montagneux et pauvre comme l’ancienne république socialiste soviétique, il est extrêmement difficile de pouvoir contrôler une telle superficie. Or, l’Afghanistan est un des territoires qui est le plus investi par les djihadistes tadjiks. Il est donc intéressant pour Douchanbé de créer un climat de retour plus propice à une forme de « paix civile ».

Ensuite, il faut analyser l’aspect répressif du gouvernement vis-à-vis des djihadistes de retour. Ce que nous appelons en France les « revenants » offre une réponse actuellement contre-productive. La loi d’amnistie de 2015 permet ainsi de ne jeter de l’huile sur le feu dans le pays. Si 83% de la population du Tadjikistan est aujourd’hui musulmane, le pays n’a redécouvert l’islam qu’à la fin de l’ère soviétique. Une partie de ces musulmans voit d’un très mauvais œil la répression contre toute forme d’expression religieuse dans le pays.

Enfin, cette manière pragmatique d’officialiser les retours permet de pouvoir déterminer qui revient. Cela permet donc d’adapter un dispositif de surveillance ou de sécurité en conséquence. C’est une chose complexe quand un revenant entre dans le pays de manière clandestine.

Le djihadisme se répand au Tadjikistan

En outre, le radicalisme religieux et le djihadisme se répandent au Tadjikistan. Le phénomène touche ainsi certaines personnalités importantes au sein du pays. En 2015, Khalimov Gulmurod, ancien commandant des forces spéciales du ministère de l’intérieur tadjik a rejoint Daesh. Il est devenu ministre de la guerre de l’organisation terroriste en 2016.

La Russie affirme l’avoir éliminé par une frappe aérienne en Syrie. Si un commandant des forces spéciales peut rejoindre une organisation djihadiste takfiriste, cela représente une véritable publicité pour l’ensemble des islamistes tadjiks ou centrasiatiques. L’expérience militaire de Khalimov Gulmurod a également servi à Daesh et a permis l’entraînement de troupes d’élites djihadistes.

De potentiels « revenants » en cellule dormante

Un second Tadjik est suscite également attention et crainte en Asie centrale. Il s’appelle Sayvaly Sahfiev, né dans une banlieue de Douchanbé. Ce trentenaire est actuellement à la tête d’un groupe de centrasiatiques en Afghanistan. Sa katiba d’environ 200 combattants sert Daesh au Khorasan, la filiale d’Asie centrale de l’organisation Etat Islamique. Il aurait étudié dans une école coranique pakistanaise de 2014 à 2015 avant de répondre à l’appel au djihad d’Al-Baghdadi.

Il serait membre de la shura de l’Etat Islamique au Khorasan, ce centre de décision islamique prouve l’importance de ce chef militaire pour le groupe. Un rapport de l’ONU souligne l’inquiétude des autorités tadjiks à son égard. Il entraînerait militairement des tadjiks en Afghanistan avant de les renvoyer au Tadjikistan ou en Russie afin qu’ils composent des cellules dormantes. La Russie est en effet une cible car plusieurs milliers de Tadjiks y travaillent.

Des cas d’actualités ont également permis d’étayer cette fièvre djihadiste dans les pays ces deux dernières années. En juillet 2018, quatre cyclistes occidentaux se sont fait assassiner dans un attentat au Sud tadjikistanais. Les pays européens et les Etats-Unis ont tout de suite augmenté le niveau de risque centrasiatique de leurs cartographies respectives.

Des révoltes pénitentiaires au Tadjikistan, signature de Daesh

La gangrène se répand également au sein des prisons tadjiks qui deviennent des lieux de radicalisation similaires à ce qui est déjà factuel en Occident. Daesh y exerce un pouvoir d’influence croissant. Les cas de révoltes reportés en 2018 et 2019 sont un moyen d’exprimer l’influence djihadiste croissante au sein des détenus au Tadjkistan.

En novembre 2018, dans la prison de Khunjad (Nord Tadjikistan), une mutinerie a permis aux prisonniers de prendre le contrôle de la prison et de tuer deux gardiens. Les mutins radicalisés refuseront de se rendre aux forces gouvernementales. Vingt-et-un prisonniers décèdent. Le même procédé opératoire est mis en place en mai 2019 dans la prison de Vadhat (près de Douchanbé). A nouveau, des prisonniers radicalisés prennent le contrôle d’une partie de la prison, prennent des otages et assassinent des gardiens. Une trentaine de prisonniers meurent, ainsi que trois gardiens. Bekhrouz Gulmurod, un des meneurs des mutins, a été identifié et éliminé durant l’assaut des forces gouvernementales contre la prison. Il s’agit du fils de Khalimov Gulmurod, ancien ministre de la guerre de Daesh.

Dans une stratégie de reconquête médiatique, Daesh a trouvé dans le pays un foyer de radicalisme religieux qui constitue un vivier à fort potentiel pour son organisation. Ce pays montagneux permet également à l’organisation de ne pas financer des cellules presque autonomes grâce à divers trafics de pavot, d’opium et d’armes à la frontière afghane. Alors que l’accord entre les Etats-Unis et les Talibans vient d’échouer, il est évident que l’Asie centrale reste une région de choix pour le radicalisme religieux.

Sources :

-« Au Tadjikistan, Daesh toujours très actif », La Croix, 20 mai 2019, (https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/Au-Tadjikistan-Daech-toujours-tres-actif-2019-05-20-1201023275)

-« Où va l’Asie Centrale ? », IRIS, Mai 2017, (https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2017/05/Asia-focus-30.pdf)

-« Le massacre de Danghara : vers le réveil des cellules terroristes en Asie centrale », IRIS, Septembre 2018, (https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2018/09/Asia-focus-83.pdf)

-« Converging Factors Signal Increasing Terror Threat to Tajikistan », Combatting Terrorism Center, Novembre 2018, (https://ctc.usma.edu/converging-factors-signal-increasing-terror-threat-tajikistan/)

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Harold MICHOUD

Harold Michoud est étudiant de Grenoble Ecole de Management et effectue une poursuite d'étude en géopolitique au sein de l'IRIS SUP'.

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