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Que signifie la défaite de l’Organisation de l’État islamique pour al-Qaïda ?

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Que ce soit en Syrie ou en Irak, à Raqqa ou à Mossoul, l’Organisation de l’État islamique (OEI) recule sur tous les fronts. Alors que des rumeurs font état de la mort d’al-Baghdadi, calife autoproclamé à la tête de ce mouvement, l’effondrement territorial de l’OEI dans un futur proche ne fait que peu de doute1. La faillite de l’OEI impacte alors naturellement le paysage djihadiste et révèle toute la résilience de sa principale concurrente, al-Qaïda.

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Le 29 juin 2014, al-Baghdadi annonce la restauration du califat islamique et entérine définitivement la rupture avec al-Qaïda

Premier constat, la victoire stratégique d’al-Qaïda sur l’Organisation de l’État islamique

L’OEI, ancienne filiale d’al-Qaïda, s’est inscrite en rupture de la stratégie qui était jusque-là appliquée par la structure mère. Bien que le but final soit identique – instaurer un califat mondial et universel –, la méthode et l’ordre des priorités divergent. Pour al-Zawahiri et ben Laden2, c’est en globalisant le djihad armé, c’est-à-dire en l’exportant dans l’ensemble des pays qui ne suivent pas leur vision de l’islam, que le califat peut voir le jour. Il s’agit donc d’une entreprise décentralisée par l’ouverture de « fronts » ou de foyers « al-qaïdistes » géographiquement dispersés. L’objectif est de favoriser l’émergence de régimes idéologiquement proches, sans entrer soi-même dans une logique de possession territoriale3. Au contraire, pour al-Baghdadi, c’est en construisant d’abord les bases territoriales du califat que celui-ci peut alors croître et s’agrandir exponentiellement par le combat. La dynamique djihadiste est alors cette-fois inscrite, administrée et centralisée au sein d’une zone géographique précisément localisée. Si les allégeances de groupes djihadistes extérieurs à la zone d’action de l’OEI peuvent nuancer cette différence, l’État islamique a développé un lien identitaire quasi vital avec le sol syrien et irakien du fait de son discours milléraniste4. Il est donc difficile d’imaginer la pérennité de l’OEI en cas de perte de ces territoires car cela signifierait son échec.

Dès lors, le principal défaut stratégique de l’extrême territorialisation de l’OEI réside dans le statisme qu’induit tout ancrage au sol. En effet, ce choix facilite l’identification et le ciblage de l’adversaire. Il est plus aisé de combattre et détruire un ennemi identifié et concentré, notamment pour les armées modernes, qu’une nébuleuse aux réseaux obscurs et mouvants comme al-Qaïda. Il n’aura fallu en réalité qu’un laps de temps réduit aux forces engagées dans cette lutte pour frapper mortellement le califat en Irak et en Syrie. En revanche, malgré des revers militaires sur certains théâtres, al-Qaïda existe depuis les années 1980 et a survécu bon gré mal gré à la puissance militaire étasunienne suite au 11 septembre 2001 en multipliant les affiliations locales et en évitant la conquête de territoires de grande superficie. Elle a su en outre faire preuve d’une relative discrétion vis-à-vis d’une OEI davantage démonstrative par ses revendications, son zèle fanatique et sa violence publicitaire démesurée.

Al-Qaïda, bénéficiaire de la défaite de l’Organisation de l’État islamique

La rapide expansion territoriale et médiatique de l’OEI a fait d’elle la principale organisation djihadiste en termes d’attractivité, de recrutement et de notoriété, reléguant au second rang la structure d’al-Zawahiri. En symbolisant de manière concrète la renaissance du califat islamique, disposant d’une communication attrayante et portée par ses premiers succès, l’OEI a su incarner et amplifier la dynamique djihadiste. Elle a ainsi capté nombre de combattants d’al-Qaïda à son profit, plusieurs groupes rompant leur allégeance pour se rapprocher d’al-Baghdadi. Toutefois, la déroute manifeste de cette dernière modifie alors ce rapport de forces. La désagrégation croissante de l’OEI impacte nécessairement son prestige et son influence aux yeux des candidats au djihad et des groupuscules existants. Il est moins séduisant de s’engager du coté des perdants et al-Qaïda, qui a démontré sa résilience, est en bonne position pour profiter de cette évolution.

Dans la compétition d’offres sur le marché djihadiste, al-Qaïda est alors en mesure de retrouver une place centrale. Elle jouit toujours d’un certain prestige en tant que référent historique et apparaît comme la plus à même d’incarner la lutte après l’affaiblissement de son « frère-ennemi ». En effet, malgré l’ascension fulgurante de l’OEI, elle a conservé un important réseau et pendant que l’attention internationale était focalisée sur l’État islamique, elle a pu fortifier sa présence dans plusieurs zones comme au Yémen ou au Sahel. En Syrie, al-Qaïda demeure également présente par l’intermédiaire du Fatah el-Sham5 et peut ainsi recueillir certains combattants de l’OEI. De même, les années de guerre en Irak et en Syrie laissent une situation déplorable, notamment pour les populations sunnites – misère économique, tensions communautaires, absence d’un règlement diplomatique à court terme – sur laquelle al-Qaïda peut renforcer son influence avec la chute des derniers bastions de l’OEI.

En définitive, il est évident que le phénomène djihadiste contemporain ne prendra donc pas fin avec l’anéantissement physique de l’OEI car celle-ci n’en est qu’un des visages. Par ses choix stratégiques, al-Qaïda apparaît comme un adversaire plus flexible que l’OEI, en mesure de bénéficier de la dynamique produite par cette dernière, et par conséquent plus difficile à éliminer. Celle que certains avaient eu tendance à voir prématurément disparaître demeure un acteur prééminent du panorama djihadiste, avec des capacités de nuisances toujours importantes. Désormais, la principale interrogation est de savoir si les cadres restant de l’OEI vont rejoindre le giron d’al-Zawahiri ou tenter de faire vivre leur mouvement malgré la perte prochaine des territoires syriens et irakiens encore en leur possession.

Selon une étude du cabinet d’analyse IHS Markit, la disparition territoriale définitive de l’OEI devrait aboutir en 2018.

Après la mort du leader historique Oussama ben Laden en 2011, la direction d’al-Qaïda revient à Ayman al-Zawahiri, compagnon de route de la première heure de ben Laden.

Al-Zawahiri a exprimé de nouveau la priorité qui doit être donnée à l’action, à savoir privilégier l’usure de l’ennemi à l’acquisition territoriale. Dans ZERROUKY Madjid, LeMonde.fr, « Al-Qaida prépare une guerre d’usure en Syrie », publié le 24 avril 2017. http://www.lemonde.fr/syrie/article/2017/04/27/al-qaida-prepare-une-guerre-d-usure-en-syrie_5118506_1618247.html

L’OEI a développé un discours prophétique mêlant des références eschatologiques à des marqueurs géographiques. En l’occurrence, il s’agit de mettre en avant la concordance géographique entre d’une part, le combat actuel de l’OEI en Syrie et en Irak et d’autre part, les éléments prophétiques décrivant le combat de la fin des temps, opposant les « vrais » croyants aux apostats et infidèles, qui devrait se dérouler dans la même zone.

Nouvelle appellation du Front al-Nosra depuis 2016. Bien qu’avec ce changement de nom le Fatah el-Sham a par la même occasion officiellement rompu avec al-Qaïda, il s’agit avant tout d’une séparation stratégique et non idéologique, l’objectif étant de faciliter son intégration dans la rébellion « modérée » syrienne en blanchissant le Fatah de ses liens avec l’organisation terroriste. Cette décision, prise d’un commun accord, reflète une nouvelle fois le comportement flexible, discret et pragmatique d’al-Qaïda.

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