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L’Érythrée, la Corée du Nord africaine ?

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L’Érythrée, petit pays de la Corne d’Afrique, est considéré comme l’un des derniers États totalitaires au monde. Le régime, fermé sur l’extérieur et très autoritaire, est d’ailleurs fréquemment comparé à la Corée du Nord. 

L’armée érythréenne est l’une des plus importantes du continent, avec 200 000 personnels actifs.

Ancienne colonie italienne, l’Érythrée est placée sous mandat britannique à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les Nations Unies mettent un terme à cette occupation en 1952. Le pays acquiert alors une autonomie relative vis à vis de son voisin éthiopien, qui ne tarde pourtant pas à annexer totalement l’Érythrée en 1962. S’ensuit une guerre civile de trente ans entre les indépendantistes et l’armée éthiopienne. Depuis son indépendance en 1993, le pays est dirigé par le Front Populaire pour la démocratie et la justice (FPDJ). Jusqu’en 1998, l’Érythrée incarne l’espoir d’une nouvelle ère dans les modes de gouvernance pour les États africains. La nouvelle guerre qui éclate avec l’Éthiopie cette année-là met fin aux espoirs de paix. À la fin de la guerre, en 2001, le leader Issayas Afeworki, au pouvoir depuis 1993, se transforme en un véritable tyran, et referme peu à peu le pays sur lui même.

L’armée, pièce centrale

Depuis, l’Érythrée présente tous les aspects d’un régime totalitaire. Le pays est tenu d’une main de fer par le dictateur et son armée. Le FPDJ, parti unique, contrôle la société dans son ensemble. La population est sous menace permanente de l’État, qui s’attache à briser le moindre lien social entre les individus, empêchant ainsi toute tentative de déstabilisation du pouvoir.

Le FPDJ encourage les Érythréens à se méfier des uns des autres, à ne faire confiance à personne, sauf… au gouvernement. Si la liberté de la presse est évidemment proscrite, le fait même de protester oralement peut conduire à la prison. Dans cette lignée, le gouvernement incite à la délation « entre voisins ».

L’armée est la véritable clé de voûte du régime. Son autorité sans partage lui permet en effet de maintenir un climat de peur dans le pays. Dans un même temps, le régime tente d’attiser les braises du nationalisme, mais sans grand succès. Le service militaire est obligatoire, autant pour les filles que pour les garçons. Cependant ce patriotisme, qui tenait la jeunesse dans les années 1990, après 30 ans de guerre, n’a plus raison d’être aujourd’hui. Les jeunes ne sont tenus que par la peur d’être envoyés dans des camps, réservés aux prisonniers considérés comme ennemis de l’État, et réputés pour leur conditions de vie insalubres.

On peut d’ailleurs noter ici une différence majeure avec le régime nord-coréen. Issayas Afeworki ne cultive pas le culte de la personnalité, contrairement au leader asiatique Kim Jong-Un. Le dictateur érythréen essaie, lui, de rester le plus discret possible sur la scène internationale, contrairement à son homologue asiatique. Ce qui est mis en avant dans ses discours est avant tout l’idée de suprématie de l’identité nationale.

Indispensable diaspora

Pour une grande partie de la population, la meilleure solution reste donc l’exode. En 2014, les Érythréens étaient la deuxième population la plus nombreuse à entrer sur le territoire européen après les Syriens. Beaucoup préfèrent en effet prendre ce risque, quitte à finir leur vie dans les prisons érythréennes s’ils se font prendre. En 2015, on estimait que 5 000 personnes quittaient le pays chaque mois* avant d’être parquées dans des camps de réfugiés situés dans les états voisins comme le Soudan ou l’Éthiopie. De nombreuses personnes tentent encore aujourd’hui de continuer le voyage jusqu’en Union Européenne, et deviennent bien souvent la proie du tragique trafic de migrants libyen.

Cependant, si le régime condamne durement les tentatives de fuite, il sait aussi que la diaspora est vitale pour le pays. En effet, les devises étrangères envoyées à la famille restée au pays restent la première entrée d’argent pour l’économie érythréenne, suivie par les exportations de matières premières (notamment l’or et le cuivre). Afin de profiter au maximum de ces devises, le régime va plus loin : il menace directement certaines familles restées sur place si l’individu ayant quitté le pays n’envoie pas assez d’argent.

Recherche « parrain » en urgence

L’Érythrée inquiète moins que la Corée du Nord, et fait moins parler d’elle pour une raison très simple. Elle ne représente pas de risque nucléaire. De plus, le Président Issayas Afeworki n’est pas aussi charismatique que le leader nord-coréen, et fait donc moins parler de lui. Cependant, le régime sait qu’il ne survivra pas éternellement sans un solide soutien extérieur. Le Soudan, la Chine ou encore l’Italie sont ses principaux partenaires commerciaux, mais il y a peu de chances qu’ils soutiennent l’Érythrée si cette dernière traverse une crise (encore) plus grave.

Pour se protéger de son ennemi de toujours, l’Éthiopie, et pour la survie de son propre régime, Issayas Aferworki sait que son pays doit peser plus fortement sur la scène régionale. Il doit se créer une légitimité et ne plus être totalement invisible ou être seulement assimilé à la crise des réfugiés. Tout comme la Chine « parraine » la Corée du Nord, l’Érythrée cherche donc un nouvel allié diplomatique et économique, et se tourne pour cela vers les pays du Golfe. C’est ainsi qu’en 2016, les Émirats arabes unis construisaient leur première base militaire à Assab, au nord du pays, avec comme objectif principal : se forger une position stratégique dans la guerre au Yémen, contre les rebelles Houtistes. Avec l’aide stratégique de l’Érythrée.

 

*source : Frontex

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Pablo MENGUY

Ancien étudiant en école de journalisme, aujourd'hui en master à l'Institut français de Géopolitique (IFG).

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