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Le « Non » de l’Arabie Saoudite : entre ironie et vérités aigres-douces

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Coup de tonnerre ce vendredi 18 Octobre 2013 : pour la première fois de l’histoire du Conseil de Sécurité de l’ONU, l’un de ses membres non-permanents, fraichement élu par l’Assemblée Générale, a décliné sa nomination à ce poste ! C’est un véritable pavé dans la mare que vient de jeter l’Arabie Saoudite. C’est en effet le royaume wahhabite, allié de Washington, qui a refusé son siège, poste pourtant très convoité, prétextant l’inefficacité chronique du Conseil de Sécurité ainsi que son mode de gouvernance hérité d’un autre âge.

Comment ne pas croire à une véritable farce ? L’Arabie Saoudite qui se permet de faire des leçons de morale aux Nations Unies, c’est vraiment le comble ! Quand on pense que dans ce royaume, les chrétiens sont persécutés, les juifs, persona non grata, et les femmes sont placées sous tutelle masculine dès leur plus jeune âge et n’ont toujours pas le droit de conduire, on pourrait ainsi croire que les saoudiens ont soudain acquis la capacité de sombrer dans l’humour le plus noir et le plus ridicule en même temps. Mais non, c’est bel et bien un état de fait : l’Arabie Saoudite vient de refuser son élection qui l’aurait amenée à siéger au Conseil de Sécurité de l’ONU en tant que membre non-permanent et ce, pour un mandat de deux ans.

Toutefois, même si cet acte pourrait effectivement prêter à sourire, il n’en est pas moins important, ne serait-ce que parce qu’il appuie là où ça fait mal, notamment dans les démocraties occidentales. En effet, l’Arabie Saoudite mentionne, entre autres, l’inefficacité du Conseil de Sécurité comme l’un de motifs principaux de sa décision. Force est de constater que malgré quelques réussites telles que les sanctions à l’encontre de l’Iran pour son programme d’enrichissement d’uranium, le Conseil a souvent été pris de court face aux évènements qui imposaient sa médiation. Ayant échoué à éviter la guerre en Irak, les sanctions contre la Corée du Nord ne suffisant pas à lui faire abandonner son programme d’enrichissement d’uranium et, aujourd’hui, n’ayant pu avancer sur le conflit syrien faute d’avoir obtenu l’aval de la Chine et de la Russie, le bilan global de cet organe des Nations Unies n’est effectivement guère reluisant.

L’autre argument majeur avancé par le Royaume et directement relié au premier est la gouvernance du Conseil de Sécurité où cinq pays détiennent un droit de veto et sont membres permanents quand dix autres sont élus tous les deux ans et ne disposent, bien entendu, d’aucun droit de veto. Ce mode de gouvernance est hérité de la Seconde Guerre Mondiale mais n’a aujourd’hui absolument plus lieu d’être. Et c’est bien ce qui met mal à l’aise le monde diplomatique occidental, pétri d’idéalisme et de discours moralisateurs. Promouvoir des valeurs au sein de l’ONU pour qu’elles n’y soient pas appliquées, c’est peut-être l’un des échecs les plus cuisants des démocraties occidentales et que certains autres pays prennent un malin plaisir à utiliser lorsque ceci sert leurs intérêts.

L’Arabie Saoudite s’affirme sur la scène diplomatique, une conséquence de l’élection de Rohani en Iran

Si les arguments de l’Arabie Saoudite sont à la fois risibles et porteurs d’une certaine vérité, ils lui permettent surtout de cacher la véritable raison qui pousse le Royaume à refuser son siège. En effet, l’élection d’Hassan Rohani à la présidence de l’Iran en Juin dernier donne aujourd’hui lieu à un rapprochement entre les puissances occidentales et l’ennemi juré du royaume wahhabite. Le Royaume-Uni a annoncé qu’il envisageait la réouverture de son ambassade à Téhéran et MM. Rohani et Obama se sont entretenus par téléphone, ce qui constitue une première entre les présidents de ces deux pays. Si le soutien inaltérable de Washington à la monarchie de Riyad a été constant durant ces cinquante dernières années, entretenant ainsi la haine de certains iraniens à l’égard de l’oncle Sam, l’Arabie Saoudite ne voit certainement pas d’un très bon œil un rapprochement, tout hypothétique qu’il soit pour l’instant, entre les Etats-Unis et l’ennemi chiite, ennemi qui est, de surcroît, le principal soutien à Bachar El Assad contre les insurgés financés par les monarchies du Golfe. Quitte à refuser un siège au Conseil de Sécurité. Cet acte reste donc symboliquement fort mais il n’est pas certain qu’il profite à l’Arabie Saoudite, s’exclure du Conseil de Sécurité, c’est certes faire parler de soi pendant deux semaines mais c’est surtout perdre l’opportunité de se faire entendre aux plus hauts échelons diplomatiques pendant deux ans.

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