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Iran février 2016 : un vent de changement

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La double élection du 26 février 2016 était capitale pour le gouvernement Rohani, considérée comme un référendum pour la politique qu’il mène depuis 2013, particulièrement avec l’accord sur le nucléaire de juillet 2015. Ces élections nous permettent également de nous intéresser à un des systèmes politiques les plus complexes et les plus opaques du monde.

Des Iraniennes patientant devant un bureau de vote
Des Iraniennes patientant devant un bureau de vote

La compréhension du système politique iranien et des différents centres de pouvoirs pourrait être une science comme l’était la « soviétologie » au temps de l’URSS. Si le Guide Suprême Ali Khameini est la plus haute autorité de l’Etat, le président détermine la politique gouvernementale. Le Parlement (l’Assemblée consultative islamique, le « Majlis ») n’a pas de réel pouvoir législatif, mais possède un véritable pouvoir de nuisance, qu’il peut exercer en refusant de voter les lois du gouvernement ou en destituant des ministres. Quant à l’Assemblée des experts, elle est composée de 88 religieux ayant un rôle capital : la désignation du guide suprême ou de constater son incapacité à exercer sa fonction.

Alors que l’accord sur le nucléaire était entériné en juillet dernier et que les rumeurs sur l’état de santé d’Ali Khameini se font de plus en plus inquiétantes, cette double élection du 26 février 2016 revêtait une importance particulière. Les membres de l’Assemblée des experts, désignés pour 8 ans, auront probablement à choisir sous leur mandat le nouveau guide suprême. Le président Hassan Rohani dont les deux objectifs principaux étaient de trouver un accord sur le nucléaire et de réformer l’économie du pays attendait de cette élection une validation par le peuple iranien de la politique menée depuis son élection en 2013 afin d’entamer de nouvelles réformes.

Un climat politique délétère

C’est pourquoi depuis plusieurs mois la tension devenait palpable dans la vie politique iranienne. En décembre 2015, l’ancien président Akbar Hachemi Rafsandjani avait déclaré publiquement « examiner toutes les options » pour la succession d’Ali Khameini au poste de guide suprême, évoquant même l’éventualité de la disparition de cette fonction avec la mise en place d’un conseil du leadership sous forme de direction collégiale. Cette prise de position lui a valu les foudres de ses adversaires ultraconservateurs. Pour Denis Bauchard, conseiller Moyen-Orient de l’IFRI, cette crise s’inscrit dans le conflit entre deux courants au sein des religieux : ceux supportant coûte que coûte le « Velayet-e faqih » (traduit par le gouvernement du docte) signifiant que le pouvoir politique doit rester aux mains des clercs, et ceux supportant plutôt une séparation souple entre sphère politique et religieuse.

Source France Culture d'une cartographie du pouvoir iranien
Cartographie du pouvoir iranien (source France Culture, 2013)

Les institutions de la République Islamique d’Iran sont détenues en majorité par les conservateurs. Cela leur permet d’influer directement sur l’élection, notamment par la pré-sélection des candidats au Majlis et à l’Assemblée des experts. L’organe en charge de cette sélection est le Conseil des Gardiens de la Constitution, qui supervise les élections et la législation. Cette entité religieuse, composée de 6 juristes nommés par le chef de la Justice et 6 religieux nommés par le guide suprême, est dirigé par l’ayatollah conservateur Ahmad Janati. Le Conseil des gardiens a ainsi donné un coup d’arrêt aux espoirs des réformateurs en acceptant à peine 1% des candidatures du mouvement. Les Gardiens ont prétexté que les candidats n’étaient pas assez dévoués au gouvernement du docte ou avaient des antécédents judiciaires, souvent liés à la période du Mouvement Vert de l’élection de 2009.
Pour Fariba Adelkhah, directrice de recherche à l’IEP de Paris, les arguments des Gardiens contre les candidatures cherchaient à relever plus du juridique que du politique, témoignant ainsi de la sécularisation et de la professionnalisation de la vie politique iranienne. La lutte factionnelle fait évidemment toujours rage, en témoigne l’évincement d’Hassan Khomeiny, petit-fils de Rouhollah Khomeiny, figure du camp réformateur. Très populaire auprès des jeunes, c’est un profil atypique dans le clergé iranien : apparence soigné, fan de cinéma et favorable à plus de libertés individuelles.

Une pré-sélection drastique avant des élections sans débordements

Les deux leaders du pays, Ali Khameini et Hassan Rohani, ont appelé les Iraniens à voter mais on choisit de ne pas s’engager dans la campagne politique. Le président Rohani avait donné pour consigne à ses ministres de ne pas soutenir les réformateurs ou les modérés pour que ne soit pas mis en cause son impartialité. Il s’était toutefois exprimé le 21 janvier sur l’invalidation massive des candidatures par les Gardiens de la Constitution en soulignant que « Le Parlement est la maison du peuple et non pas celle d’un seul parti ». Avec près de 5600 candidatures invalidées sur 12000 pour le Parlement et 6400 sur 8000 pour l’Assemblée des experts, l’Iran n’est évidemment pas une démocratie, mais ne peut pas plus être qualifié de dictature ou théocratie, comme en témoigne le grand nombre de candidatures aux législatives et l’alternance présidentielle.

Le 26 février, les Iraniens ont donc décidé d’approuver la politique menée par le président Rohani. L’alliance des réformistes et des modérés, ayant souvent pour nom de liste « Espoir », a réalisé une importance percée au Parlement. Au 29 février, les résultats connus nous permettent de dire que l’alliance des réformistes et des modérés remportent 95 sièges sur 290 (alors qu’ils n’en détiennent que 30 dans le Parlement actuel). Les conservateurs en remportent 105, quatorze élus se déclarent comme indépendants et cinq élus représentent les minorités religieuses. Un second tour sera organisé pour 69 autres sièges en Avril-Mai. A noter, l’entrée assurée d’au moins 14 femmes au Parlement, sans doute une vingtaine, contre 9 dans la configuration actuelle.

A Téhéran, les ultraconservateurs subissent une cuisante défaite. Sur les 30 sièges à pourvoir, l’ensemble va à la liste dite « la grande coalition des réformateurs ». Ainsi, Gholam-Ali Hadad-Adel, la tête de liste des conservateurs et ancien président du Parlement, arrive seulement en 31ème position et ne siègera pas au Parlement. Deux grandes figures conservatrices, les ayatollahs Mohammad Yazdi, actuel chef de l’Assemblée des experts, et Mohammad Taghi Mesbah Yazdi, ne seraient pas en position d’être élus à l’Assemblée des experts. Toutefois, l’ayatollah Ahmad Janati serait élu. Les réformateurs ciblaient particulièrement dans leur campagne ces trois grandes figures des conservateurs, en appelant à les battre lors des élections. Rohani et Rafsandjani sont eux élus à l’Assemblée des experts.

Les deux assemblées devraient donc logiquement rester aux mains des conservateurs, compte tenu qu’ils avaient beaucoup plus de candidats éligibles. Toutefois, la percée au Parlement des réformateurs, la victoire totale à Téhéran et les défaites de figures majeures du camp conservateur sont des symboles politiques importants.

L’émergence d’une troisième force dans le dualisme politique iranien

La particularité des résultats de cette élection se situe dans l’avènement d’un « centrisme iranien modéré et pragmatique » pour la sociologue Azadeh Kian. Depuis l’élection d’Hassan Rohani en 2013, ce pôle centriste a grossi avec l’arrivée de personnalités des deux bords, l’alimentant ainsi en idée. Certains réformateurs préfèrent éviter un affrontement frontal avec les institutions depuis 2009 et doutent de la pertinence de réformes radicales. Du côté conservateur, certains refusent de s’enfermer dans l’extrémisme au dépend du pragmatisme, ou prenant conscience du fossé se creusant entre les attentes de la population et ses représentants, rejoignent le centre par opportunisme. Ainsi, Ali Larajani, l’actuel président conservateur du Parlement, a apporté un soutien sans faille au programme du président Rohani tout en restant rigoriste sur les libertés individuelles et l’égalité homme-femme. Ainsi cette coalition centriste a attiré les électeurs, signe de leur rejet du radicalisme des deux bords.

Cette vision d’une vie politique iranienne dominée par deux pôles, l’un conservateur et l’autre réformateur, avec l’émergence d’un troisième, centriste, reste biaisée par notre vision occidentale. En Iran, il n’y a pas de partis politiques structurés et organisés comme en Europe et en Amérique du Nord, ce sont des candidatures individuelles se regroupant dans différents courants. Les liens personnels et professionnels jouent donc beaucoup dans les alliances politiques au sein du Parlement.

Des élections aux répercussions limitées sur le court terme

La percée des réformateurs et des modérés au Parlement ne devraient pas créer de changements notoires dans la politique gouvernementale. Hassan Rohani est un conservateur modéré, conscient de la nécessité de trouver une ligne dans le sens de l’équilibre des différents centres de pouvoir iraniens. Les réformes économiques devraient donc être mises en place, mais il y a peu attendre sur le court terme à propos des libertés individuelles et les discriminations contre les femmes. Ali Khameini rappelle que « le progrès du pays est l’objectif principal » tout en mettant garde contre une avancée « superficielle sans indépendance ni intégrité nationale ». La méfiance vis-à-vis de l’infiltration étrangère et le soutien sans faille à Assad en Syrie sont des éléments que les élections n’impacteront pas. Finalement, cette élection a des conséquences politiques faibles sur le pouvoir en place, puisque Rohani menait déjà sa politique depuis 2013 avec un Parlement largement dominé par les conservateurs. Elles sont plus une photographie des attentes actuelles du peuple iranien, qui aujourd’hui valident la politique pragmatique de Rohani et rejettent le radicalisme, surtout de la part des ultraconservateurs.

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