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Purges en Arabie Saoudite : Mohammed Ben Salman joue à quitte ou double

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Le quotidien al-Riyad titrait dimanche 5 novembre « Le roi use de l’épée de la réforme pour frapper la corruption ». Quelques heures après le décret royal portant création d’une commission ad hoc chargée de lutter contre la corruption, le prince héritier Mohammed Ben Salman (MBS) passe à l’offensive. Samedi, la chaîne Al-Arabiya annonce le bilan d’une vaste purge : 4 ministres en exercice, 11 princes, des dizaines d’anciens ministres, des hommes d’affaires et figures du pouvoir sont arrêtés. La fin de l’ordre de succession adelphique décidée par le vieux roi Salman en juin dernier laisse espérer un renouveau dans cette gérontocratie où 70 % de la population a moins de trente ans. Le prince héritier tente – à  l’ombre de son père malade – d’asseoir son pouvoir en interne et d’incarner une modernité autoritaire rompant avec l’image obscurantiste dont pâtit l’Arabie Saoudite. Les postures offensives à l’égard de l’Iran et du Liban inquiètent toutefois la communauté internationale quant au risque d’une escalade militarisée.

Une purge sans précédent

Le jeune prince saoudien organise une purge sans précédent sous couvert de lutte contre la corruption
En s’attaquant aux piliers du système saoudien le prince héritier Mohammed Ben Salman joue à quitte ou double

Parmi la vague d’arrestations figure le ministre des Finances Ibrahim Al-Assaf, le ministre de l’Economie et de la Planification Adel Al-Faqieh, Abdallah Sultan le commandant en chef de la Marine saoudienne et le très puissant Met’ib, fils de l’ancien roi Abdallah et responsable de la Garde Nationale. A ces piliers du système saoudien, s’ajoutent des hommes d’affaires puissants tels que le très riche Al-Walid Ben Talal pesant près de 18,7 milliards de dollars selon Forbes, ou encore Bakr Ben Laden à la tête du groupe familial du même nom. La Banque centrale saoudienne a ainsi gelé les comptes de dizaines de princes et d’hommes d’affaire, ce qui provoque un vent de panique auprès de riches familles qui tentent de vendre leurs biens dans les pays du Golfe pour obtenir des liquidités.  Les médias sont également touchés comme en atteste la perte de liberté de Waleed Al-Ibrahim, détenteur de l’influent MBC Group. Les exemples sont légion et il convient de déceler l’enjeu sous-jacent qu’ils comportent. Si certains sont manifestement impliqués dans des scandales, deux caractéristiques communes ressortent : l’âge et l’appartenance à d’autres branches royales. Le trentenaire MBS cherche à rajeunir les cercles de décisions et à tourner la page de la gérontocratie. La récente nomination de Khaled Ben Salman au poste crucial d’ambassadeur à Washington est emblématique du virage amorcé. Pour rappel, la nomination de Mohammed Ben Salman en tant que prince héritier en juin lui a déjà permis d’écarter son principal rival en la personne de son cousin et ancien ministre de l’Intérieur Mohammed Ben Nayef. Dans la même optique, les membres du clan de l’ancien roi Abdallah sont progressivement écartés. La manoeuvre coup de poing déclenchée n’est que la partie émergée de l’iceberg. Plus qu’une simple opération « mains propres » les arrestations et assignations à résidence résonnent comme l’annonce d’un point de non retour : l’Arabie Saoudite entre dans une ère nouvelle, et elle n’aura qu’une tête … Mohammed Ben Salman.

Verticalité du pouvoir et offensive régionale

Après plusieurs décennies de statu quo, MBS adopte une stratégie agressive, fondée sur une rhétorique populiste et la personnalisation du pouvoir ; pouvoir qui était jusqu’à lors partagé entre clans, tribus et oulémas. A l’occasion d’un forum économique sur l’avenir du pays, organisé fin octobre par le français Richard Attias, à Riyad, le prince héritier a dévoilé avec enthousiasme sa vision nationale en matière économique mais aussi religieuse. Sur l’aspect économique, la Vision 2030 et le National Transformation Program 2020 sont ambitieux et veulent faire sortir le pays du tout pétrole et soulager les finances publiques du poids des subventions par le biais de réformes structurelles. Sur l’aspect religieux, Mohammed Ben Salman surprend positivement l’opinion publique internationale en déclarant avec panache que « nous ne pouvons pas perdre trente ans supplémentaires de nos vies à combattre les terroristes. Nous devons les détruire sans plus attendre » et qu’un retour à l’Islam modéré est essentiel.  Dans l’attente de la mort (ou l’abdication) prochaine de son père le prince héritier se concentre sur deux axes :

1) Une “perestroïka orientale” qui veut moderniser les équilibres économiques, religieux et politiques du pays. L’Arabie Saoudite étant pointée du doigt comme foyer et pays exportateur de l’idéologie wahhabite voire jihadiste, le prince héritier cherche à envoyer des signaux forts : réouverture prochaine des salles de cinéma, construction de stations balnéaires, visas touristiques facilités, arrestation de plus de 1000 imams en quelques semaines, autorisation de conduire pour les femmes, attribution de la citoyenneté saoudienne à une femme robot, ce qui est une première mondiale … ! En s’affichant comme un modernisateur volontariste MBS veut incarner l’espoir de toute une jeunesse saoudienne frustrée de ne pas profiter du XXIème siècle. Avant d’accéder au trône, il jouit d’un cumul de compétences (ministre de la Défense, vice Premier ministre, président du conseil des Affaires économiques et du développement, président de la commission anticorruption) ce qui lui permet de placer ses pions. Même les plus hauts dignitaires religieux semblent suivre les ambitions du jeune prince. Par exemple, le respecté Abdullah ben Sulaiman Al-Manea, membre du conseil supérieur des oulémas, vient d’émettre une fatwa indiquant que les musulmans devaient retourner à un message de tolérance et pouvaient prier dans des mosquées chiites, églises ou synagogues.

2) Une agressivité régionale visant à asseoir sa crédibilité. Connu pour son expédition chaotique au Yémen et sa rhétorique anti-iran, Mohammed Ben Salman est en quête de succès afin de se bâtir une stature d’homme d’Etat. Si la purge est un gage de détermination en interne sa posture régionale se veut agressive. L’annonce depuis Riyad de la démission du Premier ministre libanais Saad Hariri le jour même de la médiatisation de la purge est source d’hypothèses. Saad Hariri serait-il prisonnier et utilisé comme monnaie d’échange pour pousser à une séparation du Hezbollah et de l’Etat libanais ? Le 4 novembre, un missile en provenance du Yémen a été intercepté près de la capitale saoudienne. « L’implication de l’Iran dans la fourniture de missiles aux Houthis est une agression militaire directe par le régime iranien et pourrait être considéré comme un acte de guerre contre le royaume » a alors rétorqué MBS. La situation semble à deux doigts du dérapage; à un tel point que le président français a décidé de visiter inopinément le jeune prince après l’inauguration du Louvre Abu Dhabi pour proposer sa médiation. Rappelons également que Mohammed Ben fut nommé prince héritier deux semaines après le déclenchement de l’embargo contre le Qatar. Certaines informations attestent par ailleurs d’un rapprochement avec Israël. Autant d’informations qui indiquent une restructuration de l’échiquier régional.

All or nothing ? Une cohérence stratégique sous blanc seing américain

Tous les spécialistes attestent que Mohammed Ben Salman est très proche de son mentor émirati Mohammed Ben Zayed et tente de s’en inspirer pour réformer l’Arabie Saoudite. Le jeune prince avec cette purge prend le taureau par les cornes. Il lui faudra une bonne poigne et des alliances solides. A l’instar des émirats, il lui faudra sévir d’une main de fer contre l’islam politique mais aussi contre les familles mécontentes ne voulant pas s’adapter à la nouvelle ère politique esquissée. Cette cohérence stratégique fonctionne sur un triptyque : lutte contre l’obscurantisme religieux, réformes économiques comme sources d’ouverture sur la mondialisation et alliance stratégique, pour le moment tacite, avec Israël dans l’endiguement de l’expansion iranienne. Le soutien sans failles de l’administration Trump est la condition sine qua non du succès de la révolution de l’Etat saoudien. Il serait toutefois excessif de considérer ce soutien comme inconditionnel. Tout porte à croire que la nouvelle administration américaine garantit son appui sous la condition inédite que le prochain roi combatte enfin le radicalisme, du financement à l’embastillement des fauteurs de troubles. De plus, MBS devra dorénavant être le fer de lance de la lutte contre les projets d’influence de l’Iran dans la région au nom et à la place des américains. Les trois généraux expérimentés et fins connaisseurs de la région en la personne de Mattis, MacMaster et Kelly seraient les inspirateurs de cette doctrine stratégique ferme. Force reste de constater que le prince héritier fait face à un défi de taille : la stabilité du royaume repose depuis sa création sur un savant mélange de dogme religieux wahhabite, d’unité entre les différentes branches de la famille Saoud et d’un climat de prospérité des affaires. En voulant modifier aussi rapidement les trois piliers saoudiens Mohammed Ben Salman joue à quitte ou double.

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Yannis BOUSTANI

Diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, mention Droit économique spécialité Droit public économique. — — — Quis custodiet ipsos custodes ?

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